On m'a souvent fait remarquer, à juste titre, que lorsque je traitais de comics sur Le Golb, je m'arrêtais plus volontiers sur des graphic novels, des events voire des specials... que sur de véritable séries "régulières". Cela vient bien sûr de ce que ceux-là se prêtent mieux à l'exercice de la chronique, puisque (dé)limités dans le temps – je n'écris pas non plus de chroniques sur des séries TV en plein milieu de leur diffusion (c'est la raison d'être de la rubrique Golbeur en séries). Une autre raison, moins évidente, est que je ne suis pas forcément le même ordre de publication selon les titres – j'en lis certains en VF et d'autres VO, ce qui crée un décalage dans mes appréciations. Cela fait ainsi un moment que j'ai envie de faire un point sur le DC Rebirth (qui a débuté en mai... 2016), mais ne trouve jamais de point d'achoppement – où s'arrêter pour faire ce point, et comment en faire un digne de ce nom lorsque mon degré d'avancement est très variable d'un titre à l'autre ?1
L'annonce par Urban Comics d'une publication en volume du Batman Annual 2017 (sous le titre Batman : à la vie, à la mort) paraissait une bonne occasion d'appuyer sur pause. Entendons-nous bien : ce choix de publication est absolument réprouvé en ces pages, dicté uniquement par l'appât du gain, puisque tous les Batman Annuals depuis des années sont toujours parus "normalement", en kiosque... sauf celui-ci qui, comme par hasard, se trouve être le plus encensé et attendu depuis des lustres (et, de fait, c'est une véritable splendeur que je vous recommande en dépit d'un prix pour le moins rédhibitoire compte tenu de sa brièveté). Mais, véritable consécration du run de Tom King, annonciateur si vous ne le saviez pas encore du mariage de Bruce Wayne et Selina Kyle, ce hors-série proposait effectivement une matière suffisamment riche pour générer un article. Qui n'a donc jamais été écrit. Impossible de ne pas en profiter pour jeter un regard plus global sur la série en cours, et même sur les séries, puisque le travail de James Tynion IV sur Detective Comics est tout aussi digne d'intérêt. Le moment précis où en est la publication française, soit fin 2017/début 2018, correspond en effet à un véritable sommet pour les deux principales séries Batman, ce qui méritait tout de même de s'y arrêter trois secondes. De mémoire de quelqu'un lisant ces titres depuis qu'il sait lire ou quasiment, il n'était jamais arrivé – ou plus depuis très longtemps – que les deux séries-reines du Batverse se retrouvent simultanément à un tel niveau d'excellence et d'originalité, tout en étant parfaitement distinctes (et différentes) l'une de l'autre.
Tom King, pourtant, n'était pas franchement celui sur qui l'on aurait misé pour prendre ce Batman Rebirth. Peu connu en regard des poids lourds habituellement missionnés sur le titre, ses principaux faits d'armes (une mini-série Vision pour Marvel et, chez DC, la série Grayson, dans laquelle ce brave Dick se la joue agent secret) étaient aussi sympathiques que peu marquants, et son patronyme royal mis à part, rien ne laissait supposer que le jeune scénariste aurait les épaules pour supporter près de quatre-vingts ans de mythologie gothamienne. Comme si cela ne suffisait pas, il s'agissait de succéder à Scott Snyder, auteur d'un run aussi long qu'adulé par les fans, probablement de manière excessive (en tout cas sur la fin) mais qu'importe : cela faisait une sacrée pression pour un type actif dans l'industrie depuis à peine trois ans et demi. De fait, ses débuts furent pour le moins laborieux, parfois nourris de bonnes idées (l'arrivée de nouveaux héros à super-pouvoirs à Gotham, par exemple, renvoyant Batman à ses propres limites), mais assez confus en terme d'écriture et se prenant beaucoup trop au sérieux pour... être pris au sérieux, justement. Franchement glauque mais surtout franchement pesant et répétitif, l'arc I Am Suicide, son deuxième, brillait plus par la qualité du travail de Mikel Janin au dessin que par un scénario totalement erratique et bourré de lacunes. Ironiquement, c'est pourtant là que King paraît avoir trouvé matière à s'affirmer, en amorçant ce qui deviendra progressivement la grande affaire de son run : la relation amoureuse entre Bats et Catwoman, consommée et pleinement assumée, qui aboutira donc à leur mariage (mais pas avant très longtemps si vous suivez la publication française). L'espace d'un très joli interlude en deux parties intitulé "Rooftops", King abandonne la surenchère dans le poisseux et se lance dans la comédie romantique tordue, revenant sur les moments forts de cette relation vieille de tant de décennies en superposant le point de vue – forcément différent – de chacun sur ces anecdotes (un procédé narratif qui deviendra par la suite la marque de fabrique de King). Un peu maniéré mais bien plus raffiné que ce qui l'a précédé, ce double-épisode marque un véritable tournant au sein d'une série qui ne fera dès lors que se bonifier. Mieux : il donne un sens aux treize épisodes qui viennent de s'écouler, ainsi qu'une direction à leur protagoniste – un type fracassé, presque aussi malade que les monstres qu'il affronte, que l'amour (ou un truc qui y ressemble) arrache peu à peu aux ténèbres.
Le temps de se débarrasser de Bane une fois pour toutes (c'est-à-dire sans doute pour pas très longtemps) et voici qu'à la surprise générale, ce qui aurait pu ou dû n'être qu'une intrigue secondaire va progressivement devenir l'intrigue principale : The War of Jokes & Riddles, l'arc suivant, rivalise avec les meilleurs arcs des meilleures époques de la série, s'offrant quelques épisodes remarquables (l'issue #29 est sensationnelle), mais ce qui motive avant tout ce long flashback, ce sont les scrupules et les regrets du justicier. Alors que dans les premiers temps du run, Bruce était plus mutique que jamais, il va s'ouvrir progressivement à la femme qu'il aime, à sa manière parfois elliptique, et prendre sa vie en main, apprenant peu à peu à recevoir et non plus seulement à donner. Ce n'est certes pas la première fois que le Chevalier Noir a une relation amoureuse ; rarement cependant un univers accordant par définition très peu de place à l'amour se sera si bien marié avec le romantisme. Il est frappant de voir comme l'ironie et la dérision s'invitent de plus en plus fréquemment à la table du manoir Wayne : Batman Rebirth est toujours une série sombre, mais ce nouvel espoir l'autorise désormais à se laisser parcourir par des moments vraiment drôles, enlevés voire poétiques, ce qui n'était franchement pas gagné au départ et présage du meilleur pour la suite (je fais comme si je ne savais rien de celle-ci). Les débuts un brin pénibles, dont le dépouillement donnait surtout une impression de cheap, paraissent à présent bien loin.
On pourrait en dire presque autant du run de James Tynion IV sur Detective Comics, à cette nuance près toutefois qu'on ne doutait pas du tout des capacités d'un scénariste qui avait souvent admirablement suppléé Scott Snyder lors de son mandat à Gotham (pour ne pas dire que durant l'event Endgame, ses histoires secondaires étaient bien meilleures que la principale). Son Detective Comics, qui vient pour sa part de s'achever aux États-Unis, n'a pourtant absolument rien à voir avec le Batman de King, à aucun point de vue, si ce n'est qu'il est lui aussi excellent et fait souffler un vent de fraîcheur qu'on n'avait plus senti depuis longtemps dans le Batverse.
S'il est en effet un reproche que je ferais sans problème aux différents auteurs du Batman contemporain... et, à vrai dire, à la plupart des auteurs de la plupart des trucs de superhéros de notre époque, c'est bien leur frilosité dans les choix d'antagonistes. Si l'on peut comprendre que certains puissent être impressionnés par le poids de décennies d'aventures (Grant Morrison raconte dans la préface de l'anthologie The Black Casebook que lorsqu'il a commencé à réfléchir à son run il s'est aperçu que toutes ses idées sans exception avaient déjà été utilisées), tenter de créer un nouveau méchant de temps à autre ne mange pas de pain non plus – au pire, ça ne fonctionne pas. Tynion en créée un paquet, en dépoussière d'autres, et si le résultat n'est pas toujours parfait, l'ensemble tient sacrément bien la route. Là aussi, le premier arc fut plutôt hésitant, même si la problématique de Tynion était fort différente de celle de King, Detective Comics étant depuis longtemps une série à la qualité et à la continuité beaucoup plus aléatoires que Batman – au moment où il débarque, elle est même en état de vassalisation avancée, Snyder ayant multiplié durant des années les twists si énormes qu'ils ne pouvaient pas ne pas impacter l'autre série Batman. Dans Rise of the Batmen, histoire légèrement capillotractée dont on n'a pas vu tout de suite l'intérêt, il s'agissait somme toute surtout d'installer la nouvelle équipe (menée par Batwoman) et de refaire de Detective Comics une série à part entière ne se laissant plus constamment parasiter par les 272 autres titres de la Bat Family. Par la suite, James Tynion IV s'est lancé sans filet en appuyant sur l'un des aspects les plus sombres et les moins souvent évoqués de la plupart des actions supérhéroïques : l'absence de droit de suite.
Nous l'avions déjà évoqué en creux dans ce texte sur Flash : Batman, à l'instar de la plupart de ses confrères, n'assure ni service après-vente ni suivi psychologique. Les victimes collatérales, c'est à peine s'il a conscience qu'elles existent ; elles n'ont ni visage ni identité. Dans le terrifiant arc The Victim Syndicate, extrêmement éprouvant pour nos héros (voire le lecteur) en dépit sa brièveté, celles-ci se fédèrent en une équipe de vilains n'ayant d'autre but que l'éradication des vigilantes, que leur meneuse, la mystérieuse Première Victime, rend responsable de l'émergence de criminels de plus en plus cinglés et violents. Tynion pouvait difficilement trouver meilleur moyen de lancer un run dont les différents arcs, en apparence isolés les uns des autres, vont finir par se rejoindre en une véritable apothéose (qui vient de débuter en kiosque et paraîtra en volume VF courant 2019). Ici aussi, le scénariste fait plus que raconter de simples "histoires de Batman" : il pousse le héros dans ses retranchements et l'interroge, l'interpelle sur des sujets rarement évoqués par ses prédécesseurs. Ce run bien plus que celui de King paraît d'ailleurs le direct produit de celui de Snyder, qui mettait en scène un Batman de plus en plus technophile, sur-armé, sur-assisté et sur-militarisé. Chez Snyder, c'était supposé être cool et spectaculaire, dans la droite ligne des blockbusters de Nolan. Sous la plume de Tynion, le résultat se révèle bien plus inquiétant : pour la première fois depuis longtemps, le lecteur est amené à remettre en question la direction prise par le justicier (et par une Batwoman plus droitière que jamais), dont l'équipe de sympathiques gamins ressemble de plus en plus à une milice organisée n'obéissant à aucun contrôle, et dont les membres eux-mêmes peinent à parfaitement comprendre le cap imposé par leurs leaders introvertis et autoritaires.
Un peu hétéroclite de prime abord, le line-up ne tarde pas à s'imposer et les arcs successifs s'autorisent de jolies focales sur des personnages souvent peu exploités ou mal écrits (Spoiler, Orphan, Clayface). Tynion trouve un équilibre entre action pure et suspens psychologique qu'on n'avait plus vu depuis longtemps dans une série du Batverse, et parvient in fine à rendre fluide une intrigue extrêmement touffue courant sur quasiment cinquante épisodes.
Cette version de Detective Comics est aussi complexe, détaillée et sinueuse que Batman Rebirth est simple, directe et dépouillée, mais les deux pourtant se répondent dans un même mouvement : à l'approche de son quatre-vingtième anniversaire, il reste encore des tas de choses passionnantes à dire sur le Chevalier Noir.
1. Pour prendre l'écart le plus criant : j'ai quasiment un an et demi de décalage entre Flash et la (plus si) nouvelle mouture des Teen Titans.
2. Pour les éditions VF en volumes chez Urban Comics : Batman Rebirth en est volume 5 et Detective Comics au volume 4 ; dans les deux cas, cet article fait parfois allusion à des évènements restant à paraître en France sous ce format.
L'annonce par Urban Comics d'une publication en volume du Batman Annual 2017 (sous le titre Batman : à la vie, à la mort) paraissait une bonne occasion d'appuyer sur pause. Entendons-nous bien : ce choix de publication est absolument réprouvé en ces pages, dicté uniquement par l'appât du gain, puisque tous les Batman Annuals depuis des années sont toujours parus "normalement", en kiosque... sauf celui-ci qui, comme par hasard, se trouve être le plus encensé et attendu depuis des lustres (et, de fait, c'est une véritable splendeur que je vous recommande en dépit d'un prix pour le moins rédhibitoire compte tenu de sa brièveté). Mais, véritable consécration du run de Tom King, annonciateur si vous ne le saviez pas encore du mariage de Bruce Wayne et Selina Kyle, ce hors-série proposait effectivement une matière suffisamment riche pour générer un article. Qui n'a donc jamais été écrit. Impossible de ne pas en profiter pour jeter un regard plus global sur la série en cours, et même sur les séries, puisque le travail de James Tynion IV sur Detective Comics est tout aussi digne d'intérêt. Le moment précis où en est la publication française, soit fin 2017/début 2018, correspond en effet à un véritable sommet pour les deux principales séries Batman, ce qui méritait tout de même de s'y arrêter trois secondes. De mémoire de quelqu'un lisant ces titres depuis qu'il sait lire ou quasiment, il n'était jamais arrivé – ou plus depuis très longtemps – que les deux séries-reines du Batverse se retrouvent simultanément à un tel niveau d'excellence et d'originalité, tout en étant parfaitement distinctes (et différentes) l'une de l'autre.
Tom King, pourtant, n'était pas franchement celui sur qui l'on aurait misé pour prendre ce Batman Rebirth. Peu connu en regard des poids lourds habituellement missionnés sur le titre, ses principaux faits d'armes (une mini-série Vision pour Marvel et, chez DC, la série Grayson, dans laquelle ce brave Dick se la joue agent secret) étaient aussi sympathiques que peu marquants, et son patronyme royal mis à part, rien ne laissait supposer que le jeune scénariste aurait les épaules pour supporter près de quatre-vingts ans de mythologie gothamienne. Comme si cela ne suffisait pas, il s'agissait de succéder à Scott Snyder, auteur d'un run aussi long qu'adulé par les fans, probablement de manière excessive (en tout cas sur la fin) mais qu'importe : cela faisait une sacrée pression pour un type actif dans l'industrie depuis à peine trois ans et demi. De fait, ses débuts furent pour le moins laborieux, parfois nourris de bonnes idées (l'arrivée de nouveaux héros à super-pouvoirs à Gotham, par exemple, renvoyant Batman à ses propres limites), mais assez confus en terme d'écriture et se prenant beaucoup trop au sérieux pour... être pris au sérieux, justement. Franchement glauque mais surtout franchement pesant et répétitif, l'arc I Am Suicide, son deuxième, brillait plus par la qualité du travail de Mikel Janin au dessin que par un scénario totalement erratique et bourré de lacunes. Ironiquement, c'est pourtant là que King paraît avoir trouvé matière à s'affirmer, en amorçant ce qui deviendra progressivement la grande affaire de son run : la relation amoureuse entre Bats et Catwoman, consommée et pleinement assumée, qui aboutira donc à leur mariage (mais pas avant très longtemps si vous suivez la publication française). L'espace d'un très joli interlude en deux parties intitulé "Rooftops", King abandonne la surenchère dans le poisseux et se lance dans la comédie romantique tordue, revenant sur les moments forts de cette relation vieille de tant de décennies en superposant le point de vue – forcément différent – de chacun sur ces anecdotes (un procédé narratif qui deviendra par la suite la marque de fabrique de King). Un peu maniéré mais bien plus raffiné que ce qui l'a précédé, ce double-épisode marque un véritable tournant au sein d'une série qui ne fera dès lors que se bonifier. Mieux : il donne un sens aux treize épisodes qui viennent de s'écouler, ainsi qu'une direction à leur protagoniste – un type fracassé, presque aussi malade que les monstres qu'il affronte, que l'amour (ou un truc qui y ressemble) arrache peu à peu aux ténèbres.
Le temps de se débarrasser de Bane une fois pour toutes (c'est-à-dire sans doute pour pas très longtemps) et voici qu'à la surprise générale, ce qui aurait pu ou dû n'être qu'une intrigue secondaire va progressivement devenir l'intrigue principale : The War of Jokes & Riddles, l'arc suivant, rivalise avec les meilleurs arcs des meilleures époques de la série, s'offrant quelques épisodes remarquables (l'issue #29 est sensationnelle), mais ce qui motive avant tout ce long flashback, ce sont les scrupules et les regrets du justicier. Alors que dans les premiers temps du run, Bruce était plus mutique que jamais, il va s'ouvrir progressivement à la femme qu'il aime, à sa manière parfois elliptique, et prendre sa vie en main, apprenant peu à peu à recevoir et non plus seulement à donner. Ce n'est certes pas la première fois que le Chevalier Noir a une relation amoureuse ; rarement cependant un univers accordant par définition très peu de place à l'amour se sera si bien marié avec le romantisme. Il est frappant de voir comme l'ironie et la dérision s'invitent de plus en plus fréquemment à la table du manoir Wayne : Batman Rebirth est toujours une série sombre, mais ce nouvel espoir l'autorise désormais à se laisser parcourir par des moments vraiment drôles, enlevés voire poétiques, ce qui n'était franchement pas gagné au départ et présage du meilleur pour la suite (je fais comme si je ne savais rien de celle-ci). Les débuts un brin pénibles, dont le dépouillement donnait surtout une impression de cheap, paraissent à présent bien loin.
On pourrait en dire presque autant du run de James Tynion IV sur Detective Comics, à cette nuance près toutefois qu'on ne doutait pas du tout des capacités d'un scénariste qui avait souvent admirablement suppléé Scott Snyder lors de son mandat à Gotham (pour ne pas dire que durant l'event Endgame, ses histoires secondaires étaient bien meilleures que la principale). Son Detective Comics, qui vient pour sa part de s'achever aux États-Unis, n'a pourtant absolument rien à voir avec le Batman de King, à aucun point de vue, si ce n'est qu'il est lui aussi excellent et fait souffler un vent de fraîcheur qu'on n'avait plus senti depuis longtemps dans le Batverse.
S'il est en effet un reproche que je ferais sans problème aux différents auteurs du Batman contemporain... et, à vrai dire, à la plupart des auteurs de la plupart des trucs de superhéros de notre époque, c'est bien leur frilosité dans les choix d'antagonistes. Si l'on peut comprendre que certains puissent être impressionnés par le poids de décennies d'aventures (Grant Morrison raconte dans la préface de l'anthologie The Black Casebook que lorsqu'il a commencé à réfléchir à son run il s'est aperçu que toutes ses idées sans exception avaient déjà été utilisées), tenter de créer un nouveau méchant de temps à autre ne mange pas de pain non plus – au pire, ça ne fonctionne pas. Tynion en créée un paquet, en dépoussière d'autres, et si le résultat n'est pas toujours parfait, l'ensemble tient sacrément bien la route. Là aussi, le premier arc fut plutôt hésitant, même si la problématique de Tynion était fort différente de celle de King, Detective Comics étant depuis longtemps une série à la qualité et à la continuité beaucoup plus aléatoires que Batman – au moment où il débarque, elle est même en état de vassalisation avancée, Snyder ayant multiplié durant des années les twists si énormes qu'ils ne pouvaient pas ne pas impacter l'autre série Batman. Dans Rise of the Batmen, histoire légèrement capillotractée dont on n'a pas vu tout de suite l'intérêt, il s'agissait somme toute surtout d'installer la nouvelle équipe (menée par Batwoman) et de refaire de Detective Comics une série à part entière ne se laissant plus constamment parasiter par les 272 autres titres de la Bat Family. Par la suite, James Tynion IV s'est lancé sans filet en appuyant sur l'un des aspects les plus sombres et les moins souvent évoqués de la plupart des actions supérhéroïques : l'absence de droit de suite.
Nous l'avions déjà évoqué en creux dans ce texte sur Flash : Batman, à l'instar de la plupart de ses confrères, n'assure ni service après-vente ni suivi psychologique. Les victimes collatérales, c'est à peine s'il a conscience qu'elles existent ; elles n'ont ni visage ni identité. Dans le terrifiant arc The Victim Syndicate, extrêmement éprouvant pour nos héros (voire le lecteur) en dépit sa brièveté, celles-ci se fédèrent en une équipe de vilains n'ayant d'autre but que l'éradication des vigilantes, que leur meneuse, la mystérieuse Première Victime, rend responsable de l'émergence de criminels de plus en plus cinglés et violents. Tynion pouvait difficilement trouver meilleur moyen de lancer un run dont les différents arcs, en apparence isolés les uns des autres, vont finir par se rejoindre en une véritable apothéose (qui vient de débuter en kiosque et paraîtra en volume VF courant 2019). Ici aussi, le scénariste fait plus que raconter de simples "histoires de Batman" : il pousse le héros dans ses retranchements et l'interroge, l'interpelle sur des sujets rarement évoqués par ses prédécesseurs. Ce run bien plus que celui de King paraît d'ailleurs le direct produit de celui de Snyder, qui mettait en scène un Batman de plus en plus technophile, sur-armé, sur-assisté et sur-militarisé. Chez Snyder, c'était supposé être cool et spectaculaire, dans la droite ligne des blockbusters de Nolan. Sous la plume de Tynion, le résultat se révèle bien plus inquiétant : pour la première fois depuis longtemps, le lecteur est amené à remettre en question la direction prise par le justicier (et par une Batwoman plus droitière que jamais), dont l'équipe de sympathiques gamins ressemble de plus en plus à une milice organisée n'obéissant à aucun contrôle, et dont les membres eux-mêmes peinent à parfaitement comprendre le cap imposé par leurs leaders introvertis et autoritaires.
Un peu hétéroclite de prime abord, le line-up ne tarde pas à s'imposer et les arcs successifs s'autorisent de jolies focales sur des personnages souvent peu exploités ou mal écrits (Spoiler, Orphan, Clayface). Tynion trouve un équilibre entre action pure et suspens psychologique qu'on n'avait plus vu depuis longtemps dans une série du Batverse, et parvient in fine à rendre fluide une intrigue extrêmement touffue courant sur quasiment cinquante épisodes.
Cette version de Detective Comics est aussi complexe, détaillée et sinueuse que Batman Rebirth est simple, directe et dépouillée, mais les deux pourtant se répondent dans un même mouvement : à l'approche de son quatre-vingtième anniversaire, il reste encore des tas de choses passionnantes à dire sur le Chevalier Noir.
👍👍 Batman Rebirth
Tom King, Mikel Janin & Joelle Jones | DC Comics2, 2016-18
👍👍👍 Detective Comics
James Tynion IV et divers dessinateurs | DC Comics2, 2016-18
1. Pour prendre l'écart le plus criant : j'ai quasiment un an et demi de décalage entre Flash et la (plus si) nouvelle mouture des Teen Titans.
2. Pour les éditions VF en volumes chez Urban Comics : Batman Rebirth en est volume 5 et Detective Comics au volume 4 ; dans les deux cas, cet article fait parfois allusion à des évènements restant à paraître en France sous ce format.
Juste "pimpant", c'est tout ? ;)
RépondreSupprimerEt sûrement fringant aussi, mais j'aime bien le mot "pimpant" ^^
SupprimerEncore Batman? Non mais ça suffit maintenant, on t'a dit qu'on voulait du Marvel :-D
RépondreSupprimerJ'ai failli rigoler.
Supprimer(en plus, ça faisait longtemps qu'on n'avait pas causé de Batman sur Le Golb... pas loin d'un an, il me semble)
SupprimerPersonnellement j'aurais inversé les notes, je trouve le run de Tom King plus méritoire (si ça veut dire quelque chose). Pour le coup il s'éloigne vraiment beaucoup des figures imposées et il a vraiment trouvé un ton bien à lui alors que Tynion sur DetCom propose quand même un truc plus classique (même si très bien écrit).
RépondreSupprimerPour ce qui est de faire un point tu peux toujours lâcher un top des meilleures séries du Rebirth, c'est pas non plus compliqué et je suis sûr que ça intéresserait plein de gens.
Oui, moi, par exemple.
SupprimerCe commentaire a été supprimé par l'auteur.
SupprimerSERIOUS >>> eh bien figure-toi que j'ai hésité, à inverser les notes. Voire à mettre 3 pouces à tout le monde. Cela reste de toute façon très indicatif, on parle de multiples arcs étalés sur deux années entières. Les deux séries ont bien évidemment eu leurs hauts et leurs bas (pour Detective Comics, l'arc autour d'Azrael était vraiment pas terrible, par exemple).
SupprimerMAEVA >>> j'ai essayé vite fait et franchement c'est impossible, ne serait-ce parce qu'il y a trop de titres (je les lis ou les ai lus quasiment tous à l'exception de Batgirl, que je n'ai pas encore attaqué). Disons que les deux séries de Dan Abnett (Aquaman et Titans) se détachent assez nettement, tout comme les deux séries Superman et les deux séries Batman (du moins le run de Tynion pour ce qui est de Detective Comics, ce qui suit est bien moins intéressant). Et puis Flash même si c'est un peu inégal. Toutes les autres sont plus dispensables à mes yeux, même si certaines ont leur petit charme.
Article très intéressant... vu que j'ai abandonné Batman Rebirth après l'arc "Suicide", pour toutes les raisons invoquées dans l'article. Je sais donc ce qu'il me reste à faire.
RépondreSupprimerEh oui ^^
SupprimerPerso j'aime beaucoup la série de Tom King depuis le début, après je me suis mis à Batman récemment donc je n'ai pas autant de point de comparaison que d'autres. C'est vrai par contre qu'il y a eu une grosse évolution à un moment, plein du truc du début ont été mis de côté (Gotham Girl et Duke ont complètement disparu par exemple).
RépondreSupprimerNe t'inquiète pas pour Duke, il ne tardera pas à réapparaître. Gotham Girl en revanche...
SupprimerJe n'ai pas lu Detective Comics depuis un moment, mais je te trouve un peu sévère, avec ce que la série "serait devenue" (selon toi). J'aimais bien la période de Tomasi (il me semble), où il prenait ses distances avec Batman pour des histoires plus orientées, justement, "détective", souvent menée par Bullock ou Gordon. Ce que fait Tynion IV, d'après ce que j'en ai vu, me paraît bien éloigné de cet esprit. Cela ne me tente pas plus que cela, malgré tes louanges (et son équipe ressemble à une Nightmare Team de tous les personnages que je déteste le plus : Tim Drake, Spoiler, Batfuckingwing...)
RépondreSupprimerJe suis beaucoup plus impressionnée par ce que fait Tom King, même s'il retombe parfois dans ses travers (une certaine grandiloquence, entre autres.) Comme tu le notes, ce n'était pourtant pas gagner d'introduire du "romantisme" dans l'univers de Batman.
Tu ne cites pas les autres séries Batman post-Rebirth, notamment les deux de Snyder. Parce qu'elles sont "limitées", peut-être, en tout cas, ce sont vraiment des catastrophes. J'avais beaucoup aimé son "run" sur Batman, ainsi que les "Eternal", dans une moindre mesure, mais autant All Star Batman que Batman Metal, c'est vraiment nimp'.
Il me semble que le run de Detective Comics auquel tu fais allusion est plutôt celui de Robert Vendetti, mais je me trompe peut-être, ça commence à dater. Je ne dis pas que c'était mauvais au demeurant, simplement que c'était totalement écrabouillé par ce que faisait Snyder en parallèle.
SupprimerLe run de Tynion n'est effectivement pas du tout dans le même esprit.
Je suis un peu comme toi, Snyder me soûle et j'ai désormais tendance à esquiver la plupart de ses séries. Pour tout te dire, je n'ai pas lu Metal, le concept ne m'intéresse pas du tout et le simple fait que ce soit Snyder m'a découragé. J'ai lu All-star Batman en revanche mais j'ai abandonné vers le début du dernier arc, ça me faisait chier, c'était trop inégal d'une issue à l'autre, parfois excellent et parfois totalement con, et je n'ai fondamentalement jamais compris quel était le principe de cette série.
C'est quand ses 80 ans, à Batounet ? Je veux un article spécial du Golb pour l'occasion ! Les 80 meilleures histoires de Batman de tous les temps. Les 80 personnages de Batman sans lesquels Batman ne serait pas Batman (le N°67 va vous surprendre !) Les 80 pires méchants de l'histoire de Batman. Les 80 restaurants à ne pas manquer si vous vous arrêtez à Gotham City.
RépondreSupprimerPlein de choses restent à dire, en effet ;)
Fin mars, et ne t'inquiète pas, quelque chose est prévu :-)
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