Le crossover annuel des séries DCW aura cette année un parfum un peu particulier. En plus de l'habituel cahier des charges de cet évènement attendu chaque automne avec impatience par tous les votants aux Drawas, l'édition 2018 aura pour mission d'introduire très officiellement le personnage de Batwoman, aka Kate Kane, dont la série attitrée devrait débuter sur la chaîne début 2019. On ne sait quasiment de cette dernière si ce n'est que Ruby Rose jouera le rôle principal (une bonne idée de casting a priori) et que Caroline Dries (ex-The Vampire Diaries) en sera la showrunneuse (hum)1. Ce qui ne laisse en revanche aucune place au doute, c'est que la pauvre Kate aura probablement bien du mal à se sortir indemne d'une introduction dans un crossover DCW, dont on rappellera que le cahier des charges susmentionné consiste avant tout à :
- mettre le plus de personnages possibles dans le cadre à chaque plan ;
- produire le plus mauvais épisode de l'année pour chacune des séries incriminées, notamment en proposant le scénario le plus con et simpliste possible alors même qu'il y a trois fois plus de temps que d'habitude pour le développer.
Si cet arc plutôt bref est rapidement devenu culte, au point qu'il ne fasse aucun doute que la série s'en inspirera très largement, c'est que de tous les personnages de Bat Family, Batwoman est certainement celui qui fut le plus mal traité au fil du temps – ce quelle que soit son incarnation. Tout comme Batgirl à ses débuts, l'approche de l'héroïne est tristement représentative de la vision pour le moins utilitaire et sexiste que l'on eut longtemps des femmes dans les comics, mais si Babs s'en est assez rapidement sortie en raison de son charisme (et du succès de la série télé, pour laquelle elle fut initialement imaginée), Kathy Kane, lancée sans filets une dizaine d'années plus tôt, ne dépassa jamais le statut de love-interest de Bruce Wayne/demoiselle en détresse/femme dans le frigo. Le tarif habituel, en somme, même si en fait de femme dans le frigo, sa mort définitive au début des années 80 ne laissa aucun souvenir à qui que ce soit, au point que le personnage finisse par être purement simplement effacé de la continuité.
Ce n'est qu'en 2006, soit cinquante ans après l'apparition de la Batwoman originelle, que le personnage eut droit à sa réinvention dans la série 52, sous les traits désormais bien connus de Kate Kane, cousine de Bruce Wayne du côté de sa mère. Fille de militaire et ex-militaire elle-même, dont le Papa très réac mais attachant fait officie à la fois d'Alfred et de Robin, Kate va d'abord défrayer la chronique en raison de son homosexualité. A l'époque, le sujet est encore très tabou dans l'univers très conservateur des comics mainstream ; les personnages explicitement LGBT sont rares et presque toujours secondaires, ce qui fait alors de Batwoman une espèce d'allégorie ambulante : vraisemblablement réintroduite pour des raisons de politiquement correct, l'héroïne ne l'est que très peu et va progressivement s'arracher à sa condition de sidekick pour devenir l'un des personnages les plus populaires de l'époque DC récente, seule membre de la Bat-Family à réellement s'affranchir de l'ombre tutélaire du Chevalier Noir et/ou oser s'opposer à lui quand tous les Robin serrent les fesses au moindre désaccord. C'est d'ailleurs l'une des lignes directrices du run de James Tynion IV sur Detective Comics, que nous évoquions le mois dernier et qui s'était offert vers le début un interstice intitulé Batwoman Begins : personnage complexe et même ambivalent, profondément marquée par son éducation militaire et son passé dans une armée qui l'aura pourtant rejetée, Kate est tout à la fois respectueuse de la chaîne de commandement (donc de l'autorité naturelle de Batman) et un électron libre n'hésitant pas à prendre les commandes sans attendre qu'on les lui remette. En fait, et c'est ce qui la différencie fondamentalement de tous les autres justiciers de Gotham, Batwoman est une leadeuse dans l'âme et la seule de cette immense galerie de héros plus ou moins intéressants à n'avoir jamais fait équipe avec le "Caped Crusader"2 : comme le raconte (en partie) Elegy, qu'il faut mettre en regard par exemple de l'excellent Batgirl : Year One pour réellement mesurer la différence de traitement, Batwoman ne demande pas l'autorisation d'arpenter les rues de Gotham et, surtout, n'est pas en quête de validation par Batman et Robin. Elle s'impose à eux, les oblige à compter avec elle, ce qui fait qu'elle ne s'insèrera jamais complètement dans l'organigramme tacite de la Bat-Family – ou alors vers le haut, quelque part entre Bruce et Alfred, assez nettement sur le côté du Powerpoint.
Parce qu'avant d'être militaire ou lesbienne ou poursuivie par une secte glauque et une prophétie... Kate Kane est surtout une putain de badass dont Elegy demeure, à juste titre, l'aventure la plus célèbre et la plus unanimement acclamée. Parfois surnommée de manière trompeuse Batwoman Zero, celle-ci n'a rien d'un reboot mais remet effectivement les compteurs à zéro, en réorchestrant les débuts d'une justicière pas franchement sûre de vouloir en être une, surveillée et traquée par des ennemis dont elle ne comprend pas les objectifs et se sentant plus menacée que franchement rassurée par les apparitions fugaces du Batman. Rien de très original, a priori, dans cette énième histoire d'ennemi intime oublié, dont la révélation finale se voit venir de tellement loin qu'elle tombe totalement à plat. Pourtant, Elegy fonctionne – fascine, même – et les dessins sublimes de J.H. Williams III n'y sont pas pour rien. Associés à l'écriture vive et subtile de Greg Rucka, qui outre qu'il est probablement le champion absolue de l'écriture de personnages féminins dans l'industrie contemporaine sait mieux qu'aucun autre à quel moment faire taire les personnages pour laisser les images s'exprimer à leur place, ils confèrent à cette histoire à la fois très simple et très dure une indicible poésie qui n'est pas pour rien dans le fait qu'aujourd'hui, la présence de Batwoman au sein de l'univers de Gotham ne soit plus discutée par qui que ce soit. Ironiquement, cet arc (auquel est souvent associé, dans les éditions en volumes, sa suite : Go, qui revient sur le passé de Kate et son licenciement de l'armée sous l'égide du Don't Ask Don't Tell) ne signifia pas (loin de là) que le personnage serait toujours associé par la suite à des aventures mémorables. Mais il n'en demeure pas moins, qui plus est d'assez loin, l'une des meilleurs histoires de Batman sans Batman jamais écrites.
👍👍👍 Batwoman : Elegy [Detective Comics #54-60]
Greg Rucka & J.H. Williams III | DC Comics, 2009
1. Bon, on sait aussi que Renee Montoya et Batwing version Luke Fox devraient être de la partie. Cela reste tout de même bien peu pour une série qui démarre dans un mois.
2. C'est, littéralement, le concept de 52, qui introduit Kate et raconte ce qu'il s'est passé durant une année où les principaux héros de l'univers DC (dont Batman) étaient portés disparus.
La dernière fois j'ai dit "encore Batman" pour rigoler mais là eh... encore Batman ?! (enfin Batwoman) (mais arrête c'est pareil)
RépondreSupprimerC'est un peu un hasard de l'actu. Je pense que comme tout lecteur plus ou moins habitué du Golb tu sais que j'essaie au maximum d'alterner les sujets parce que j'ai moi-même horreur de la répétition...
SupprimerCe qu'il y a aussi, je vais l'avouer car ça va être plus clair, c'est que l'été dernier, j'envisageais de préparer les 80 ans de Batman en faisant 80 courts articles sur les 80 meilleures histoires de Batman. J'ai donc commencé à les écrire, avant de m'apercevoir que je n'aurais jamais le temps non pas de les écrire, mais de les publier (à tout le moins sans noyer Le Golb sous la Batmania... tu vois finalement, on revient à l'idée d'essayer d'éviter la répétition). Tant et si bien que, même si je n'avais pas écrit les 80, je me retrouve avec au moins une trentaine de mini-articles sur Batman dont je ne sais pas quoi foutre et que je retape donc à la moindre occasion. Dont celui-ci qui à la base était un court texte sur Elegy et Go, tout comme l'article du mois dernier était un assemblage de trucs assez brefs écrits sur différents arcs.
SupprimerUn article par mois sur Batman, quelle horreur, un vrai matraquage ;)
SupprimerCe serait plus parlant de dire "tous les 5 articles" si tu veux aller par là.
SupprimerMais c'était pas vraiment une critique, je faisais juste par de mon étonnement. Keep cool (et merci Toto pour les précisions).
Je ne l'ai pas mal pris, rassure-toi. Mais ta remarque faisait écho à une réserve que j'avais moi-même au moment de poster, et en plus PAF, c'était le premier com' ;-)
SupprimerBon normalement, je vous fiche la paix avec Batman jusqu'en mars, là ^^
J'ai souvent vu cette histoire citée en référence sans jamais la lire (alors qu'elle a l'air de se trouver facilement). Assez balèze comme article car tu réussis à en parler longuement sans raconter une histoire qui a l'air très courte !
RépondreSupprimerFaudra que je me penche dessus à l'occasion, mais tellement de trucs à lire...
Je te confirme que ça se trouve très facilement (beaucoup moins les arcs suivants de la même série, qui n'ont je crois pas été traduits ou pas intégralement...)
SupprimerPour le temps par contre, je ne peux rien faire pour toi ^^
J'ai toujours eu du mal avec ce personnage.
RépondreSupprimerJe trouve Kate Kane assez antipathique. Je devrais aimer le fait que ce soit une nana qui dise fuck à tout le monde (et beaucoup de mecs) mais le truc, c'est qu'elle est assez désagréable et monomaniaque (Huntress est dans le même style mais on peut entrer en empathie avec elle... Kate, pas du tout). C'est peut-être sa cause qui me dérange, parce qu'elle n'en a pas ou une complètement débile (elle combat le crime parce qu'elle est une militaire et qu'elle ne sait que se battre... ok, ok).
Bref, aussi réussies soient ses aventures (elles le sont souvent), je n'ai jamais pu accrocher.
Je vois un peu ce que tu veux dire... même si je ne suis pas vraiment d'accord. Personnellement je m'en fiche un peu d'entrer "en empathie" avec Batwoman, je n'entre pas non plus en empathie avec Batman la plupart du temps (hé, c'est pour ça que les Robin existent, non ? ^^)
SupprimerEt puis Kate ne me paraît pas si antipathique. Elle est dure, certes, mais elle a toutes les raisons de l'être. Elle n'est pas une "privilégiée" comme Bruce et ses divers pupilles, ni socialement, ni moralement. Elle n'a pas été élevée par un majordome compatissant dans un immense manoir mais par un putain de colonel psychopathe dans un appartement tout pourri.
--> hé, c'est pour ça que les Robin existent, non ?
SupprimerJustement. La plupart des personnages secondaires du batverse sont là pour amener de la lumière à un univers ténébreux. Batwoman est juste une variation féminine de Batman, avec les mêmes limites. Mais sans l'attachement qu'on peut avoir pour un héros de légende. Je comprends la volonté de vouloir montrer qu'une femme peut "être comme Batman" de la manière la plus littérale du mot, mais cela ne prend pas avec moi.
Non, tu exagères. Batwoman n'est pas un simple ersatz féminin de Batman, elle a ses propres problématiques et sa propre complexité. Je ne comprends même pas qu'on puisse dire ça...
SupprimerJ'exagère bien sûr un peu. C'est une manière de dire que pour moi, c'est un personnage qui apporte peu car elle n'a pas une vision du monde très différente de celle de Batman (contrairement à chacun des Robin ou à Batgirl, qui voient plus loin... ou autrement.)
SupprimerEt même pas la couronne pour Elegy?? Si c'est pas la preuve qu'une femme doit bosser dix fois plus dur qu'un homme pour être reconnue! :D
RépondreSupprimerHA HA HA :-)
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