[Mes livres à moi (et rien qu'à moi) - Hors-série N°4]
Batman fête ce week-end ses 80 ans. Ou demain. Ou au mois de mai. Les dates varient selon le point de départ choisi. Nous ferons simple : Batman est apparu pour la première fois dans le Detective Comics #27 paru le 30 mars 1939. Le compte est donc bon chez nous et Le Golb pouvait difficilement laisser passer l'évènement. Certes, je n'étais pas là ce jour-là – selon toute vraisemblance, vous non plus. Je ne me rappelle même pas avec certitude de ma première rencontre avec Batman, ce qui m'a laissé songeur jusqu'au jour où je me suis aperçu qu'il en allait de même pour énormément de gens et que ce n'était pas un problème. C'était au contraire la preuve de la popularité, de l'universalité... de l'ampleur du personnage. Je suis né dans un monde où Batman existait déjà depuis plus de quarante ans. Hormis mes grand-parents, je ne connais personne qui ait jamais vécu dans un monde où Batman n'existait pas. D'ici dix, quinze ans, à l'exception de quelques Jeanne Calment, il n'existera plus personne sur Terre qui soit né dans un monde sans Batman. Et Batman, là encore selon toute vraisemblance, sera encore là, à veiller sur Gotham City, à botter le cul du Pingouin et j'en passe. Les superhéros, on l'a souvent écrit ici, ne sont pas de simples de personnages de fiction – c'est encore plus vrai des superhéros de l'Âge d'Or des comics, qui entrent un par un dans le quatrième âge (Superman l'an passé, Captain America et Flash l'an prochain, Wonder Woman dans deux ans). Ils sont ce qui se rapprochent le plus, dans la culture populaire contemporaine, des personnages de la mythologie antique. Ils existent en une infinité de versions, ont été réécrits et revisités par une infinités d'auteurs, et ont une influence que l'on pourra déceler dans une infinité d'histoire n'ayant a priori aucun rapport avec eux. Il n'y a plus depuis longtemps d'approche parfaite de Batman, de définition incontestable, d'élément absolument indispensable. L'ultime tabou, à savoir le fait que Batman soit nécessairement Bruce Wayne, a été levé une fois pour toute il y a déjà plus de vingt-cinq ans. En 2019, Batman fête ses 80 ans mais il n'a jamais été si multiple et n'est plus, depuis longtemps, qu'une simple affaire d'interprétation. Ce qui le différencie toutefois d'un Ulysse ou, pour prendre un personnage plus immédiatement comparable, d'un Dracula, c'est qu'outre qu'il demeure une marque déposée (et assez mal traitée dans ses adaptations hors comics), Batman a ses fans, ses haters, ses puristes. Des gens qui ont fondamentalement tous raison et qui ont pourtant systématiquement tort, pour se baser sur une définition forcément limitative.
Le commentaire vaut bien sûr autant si ce n'est plus pour les dessinateurs, ici Neal Adams, artisan majeur du Batman des 70's.
Il y avait bien des manières de célébrer cet anniversaire sur Le Golb et je me suis pas mal creusé à ce sujet. Cet article est en chantier depuis août 2018, c'est vous dire si la chose fut prise au sérieux. Il y avait pleins de manières de procéder mais pourtant, en relisant ce qui s'écrivait il y a quelques années pour les 75 ans, puis en découvrant peu à peu les premiers articles sur ces 80 ans, l'évidence c'est faite que la meilleure manière de faire était tout simplement de proposer une sélection d'histoires présentant le personnage sous différents angles et rendant hommages aux innombrables auteurs s'étant frottés à lui, certains durant des années (Bill Finger, Dennis O'Neil, Chuck Dixon, Grant Morrison...), d'autres juste une seule et mémorable fois. Le projet initial était une série en quatre-vingts épisodes reprenant les quatre-vingts histoires les plus fondamentales. Il a vite avorté faute de temps et de peur, aussi, de vous perdre en route. L'idée a évolué progressivement en une simple sélection, sans limite de nombre, avec pour seule contrainte de n'offrir qu'une histoire par scénariste à l'exception des quatre susnommés, qui ont tellement travaillé sur le personnage, à tellement d'époques différentes et en l'abordant de tellement de manières qu'ils en méritaient bien deux.
A l'instar de ce qui avait été fait il y a quelques années à l'occasion des 70 ans de Stephen King, il n'est bien évidemment pas question ici d'aspirer à une quelconque exhaustivité ni de délivrer une liste de lecture « ultime ». Peu de gens peuvent de toute façon se targuer d'avoir lu la totalité des histoires de Batman écrites depuis quatre-vingts ans, moi pas plus qu'un autre. Le tout se résume à proposer une liste écartelée entre importance historique et choix purement subjectifs, éparpillée sur toutes les époques (même si certaines me sont plus chères que d'autres), avec pour seule contrainte de s'interdire la poignée d'incontournables que vous trouverez dans absolument TOUTES les listes de lecture consacrées à Batman. Les véritables marronniers multi-réédités que sont devenus le diptyque de Jeph Loeb et Tim Sale (The Long Halloween et Dark Victory), les différentes séries de Miller (Year One, The Dark Knight Returns et toutes ses suites sans intérêt) ou le Killing Joke d'Alan Moore, vous trouverez déjà des centaines voire des milliers d'articles vous les recommandant. Aucun intérêt de s'attarder sur des œuvres sur-commentées et souvent totalement arrachées à leur contexte par la postérité, quitte à leur affubler parfois une dimension qu'elles n'ont pas. Cela n'enlève rien à leur valeur (sauf pour The Dark Knight Returns, prétentieux, vulgaire, original pour l'époque mais incroyablement daté et fatigant à lire de nos jours) ; l'envie est simplement de s'intéresser à autre chose, en ratissant le plus large possible tant en terme d'époques que de formats. Le plus long titre de cette sélection fait cent-cinquante-deux épisodes ; le plus court, deux pages. Batman/Bruce Wayne en est l'élément central, ou pas. Le tout vous est offert dans un joyeux désordre suivant une forme de logique interne qui vous échappera parfois, mais cela n'a aucune importante. Allez, bon anniversaire Batounet !
Strange Apparitions (Detective Comics #669-679, 1977-78 | Scénario : Steve Englehart ; Dessins : Marshall Rodgers)
« Le Joker doit avoir le Batman ! Non, le Joker MERITE le Batman ! Quel intérêt d'humilier de vulgaires flics ? »
Cet article n'a pas réellement vocation à faire découvrir Batman à qui ne l'aurait jamais lu, mais en admettant que vous soyez cette personne, autant vous économiser une heure de lecture en commençant par-là : Strange Apparitions est le premier que vous devrez acquérir, celui qui résume sans doute le mieux le personnage et son univers. Pour mesurer l'importance de cette histoire, qui ne nécessite aucune connaissance de la continuité pour l'aborder, il suffit sans doute de savoir que ce titre n'en est pas un : c'est un surnom donné par les fans qui a fini par devenir une appellation officielle de l'éditeur. Strange Apparitions était tellement monumentale qu'il semblait incroyable de ne pas lui trouver un titre, histoire d'illustrer les futures rééditions intégrales qui arriveraient forcément par la suite. À la décharge de DC, ils n'avaient pas l'habitude : Strange Apparitions est tout simplement le premier véritable arc narratif longue durée jamais publié par l'éditeur. Un chef-d’œuvre signé par un scénariste qui voulait se retirer du business et un gamin inconnu qui bossait chez DC depuis très exactement... deux mois. Steve Englehart à ma droite, Marshall Rodgers à ma gauche, le passé autoproclamé (Englehart est déjà un auteur installé mais il n'a que 30 ans) et le futur qui se marient pour réaliser ce que l'on nomme encore, en baissant la voix, « Le Batman Définitif ». Peu importe que ce soit vrai au ou non (si vous avez bien suivi l'intro, ça ne l'est pas), le simple fait qu'on puisse le penser en dit long sur l'importance de dix épisodes dont l'impact se retrouvera par la suite partout, tout le temps, quel que soit l'époque où le format. D'une manière ou d'une autre, quiconque souhaite adapter Batman se doit de faire étape ici, dans ce shaker de violence hardboiled et de glamour ironique, avec un héros plus romantique qu'il en a l'air, une police de Gotham moins compétente que jamais, le seul et unique Rupert Thorne, Silver fuckin' St. Cloud et un Joker qui, lui, mérite bien le terme de « définitif » – le personnage tel qu'on le connaît aujourd'hui, meurtrier psychopathe et énigme ambulante, imprévisible et insaisissable, est né ici, sous la plume d'Englehart, et ne changera plus jamais par la suite.
There Is No Hope in Crime Alley! (Detective Comics #457, 1976 | Scénario : Dennis O'Neil ; Dessins : Dick Giordano)
Je suis sûr que quelqu'un quelque part sur le Net a déjà dû s'amuser à recenser le nombre d'épisodes rejouant la scène du meurtre des parents Wayne. Je ne saurais dire combien de fois je l'ai lue, mais je sais en revanche qu'à la longue, j'en suis venu à ne plus pouvoir la supporter et à détester la tendance (très marquée depuis, disons : le milieu des années 90) à toujours et inlassablement revenir aux origines du personnages, comme si c'était la seule chose qui importât réellement chez lui. Cet épisode est dans le fond le seul qui m'ait véritablement marqué dans ce registre, peut-être parce qu'il se focalise réellement sur le traumatisme du héros et ne cherche ni le sensationnalisme ni l'action gratuite. There Is No Hope... est une histoire simplement triste, qui introduit pour la première fois Leslie Thompkins et qui ne poursuit d'autre but que de faire mentir son titre à la dernière case. C'est une histoire de Dennis O'Neil, l'un des auteurs les plus importants et prolifiques parmi les innombrables à s'être penchés sur le cas du Chevalier Noir (durant presque toute les années 70 en y revenant très régulièrement jusqu'à l'orée des années 2010). O'Neil a offert la quintessence de tellement d'éléments du Batverse qu'il mériterait un article à lui seul, lequel ne lui rendrait finalement que très partiellement hommage puisqu'il s'est illustré sur quasiment tous les titres DC avant de tout simplement en devenir l'un des pontes. C'était comme ça, les seventies : il n'y avait pas cinquante séries Batman et soixante-douze types écrivant simultanément des histoires redondantes sur les mêmes personnages. Ceux qui ont géré le titre à l'époque ne sont que quatre ou cinq et ils ne l'ont pas fait à moitié – la preuve avec une histoire courte, efficace et finalement fondamentale.
The Legend of Batman: Who Is He and How He Came to Be (Detective Comics #33, 1939 ; Batman #1, 1940 | Scénario : Bill Finger ; Dessins : Bob Kane)
Deux pages. Telle est la taille de l'origin-story la plus connue de toute l'histoire des comics, voire de l'histoire de la bande-dessinée (bon, avec celle de Spidey, quand même). Du simple, de l'efficace. Une sortie au cinéma, un braquage qui tourne mal, et un enfant traumatisé qui jure de passer le reste de sa vie à traquer les criminels. Aucun voyage en Orient et aucun entraînement semi-ninja n'est alors au programme, tout au plus de la muscu et des études de chimie (si si), mais tout y est déjà. À l'époque, Kane et Finger n'imaginent vraisemblablement pas du tout ce qu'ils sont en train de faire. The Legend of Batman n'est qu'un insert introduisant une autre histoire (The Batman Wars Against the Dirigible of Doom), plus longue et plus ou moins oubliée aujourd'hui. Il s'agit avant tout de répondre aux questions que se posent les lecteurs face au succès grandissant du personnage (dont il s'agit, seulement ou déjà, de la septième apparition), qui n'est pas encore devenu la tête de gondole de Detective Comics mais le sera dès le numéro suivant. Les auteurs vont donc à l'essentiel – ils augmenteront et remanieront leur récit un an plus tard au moment de l'édition du premier magazine Batman, ouvrage séminal (OUI!) s'il en est puisque les quatre autres épisodes (pour leur part inédits) marquent entre autres les deux premières apparitions du Joker et de La Chatte (future Catwoman). Feuilleter ces histoires complémentaires permet de mesurer à quel point tout ou presque a changé dans le Batverse depuis cette époque, ne rendant que plus impressionnante cette introduction. Quand la quasi totalité des héros de DC ont vu leurs origines réinventées durant les suivantes, celles de Batman n'ont pas varié d'un iota, bien qu'elles aient été rappelées, reprises ou rejouées jusqu'à plus soif. « Légende », ils ne croyaient pas si bien dire...
Anodyne (Catwoman #1-4, 2002 | Scénario : Ed Brubaker ; Dessins : Darwyn Cooke & Matt Hollingsworth)
Le grand Ed Brubaker pourrait à lui seul résumer la fameuse "logique interne" de cet article. Il a en effet la particularité d'avoir peu écrit sur Batman, et énormément sur le Batverse. Avec Gotham Central, il signa au début des années 2000 la (les) meilleure(s) histoire(s) consacrée(s) à la ville de Gotham elle-même, ou quand la toile de fond devient toile de maître. Ce n'est pourtant pas cette formidable série ni même son Man Who Laughs (remake sublime de la première apparition du Joker) qu'il convenait de retenir pour cette sélection. Car s'il est un personnage que Brubaker a su transcender, c'est assurément Catwoman, apparue pour la première fois dans le paragraphe ci-dessus. Quand de nombreux personnages du Batverse se figèrent plus ou moins vite dans une version proverbialement "définitive", Selina Kyle, elle, fut de tout temps un personnage changeant et versatile, tant au niveau de son apparence que de sa personnalité et de ses allégeances. Brubaker s'y consacrera durant trois ans et à défaut de la réinventer, il la caractérisera mieux qu'aucun autre avant ou après lui. Si le zénith de la série survient un plus tard, lors de sa confrontation traumatisante avec ce connard de Black Mask, il faut vraiment reprendre les choses au début pour apprécier le travail de Brubaker et de Darwyn Cooke (cantonné une fois n'est pas coutume au poste de dessinateur, nous en reparlerons plus bas), qui tentent de se rapprocher du personnage des sixties, distinguée, brillante, subtile, caustique et bien plus cool que badass. Enfin, une Catwoman était un plus qu'une méchante (très) sexy ou un love-interest de Bruce Wayne (qui n'apparaît d'ailleurs quasiment jamais dans ce run). Très populaire à l'époque, la série durera bien après le départ des artistes d'origine et finira par péricliter dans l'indifférence générale, mais son impact demeure et Selina Kyle n'a que très peu changé depuis – et n'est définitivement plus une vilaine.
Batman : Ego (OGN, 2000 | Scénario & Dessins : Darwyn Cooke)
Les meilleures Bat-Stories du début des années 2000, comme le suggérait l'insert précédent, mettent très rarement en scène Batman. Cette période heureusement brève, qui se situe en gros entre le titanesque arc No Man's Land et le début du long run de Grant Morrison, constitue un moment charnière où les pointures des nineties (Alan Grant, Chuck Dixon) passent une à une la main à une nouvelle génération manquant pas mal d'idées et beaucoup d'ambitions. L’œuvre la plus célèbre de cette époque, qui fut également l'un des plus gros succès commerciaux de l'histoire de DC, en est particulièrement symptomatique : il s'agit du run surcoté de Jeph Loeb et Jim Lee (Hush), en apparence original et futé mais dans le fond profondément superficielle, à l'image de dessins prébupères présentant Batman comme un bodybuilder et ajoutant trois bonnets à toutes les meufs de Gotham. Il y a réelleement très peu de choses à sauver dans cette période de cinq-six ans où le personnage semble tourner en rond et où plus personne ne semble avoir quoi que ce soit à dire à son sujet. Mais au milieu de tout cela et pour sauver l'honneur, il y a Ego, de Darwyn Cooke. Une œuvre étrange, métaphysique, très difficile à résumer mais absolument passionnante à parcourir en plus d'être très agréable à regarder pour tous les amateurs de la série télé des nineties (dont Cooke fut l'un des animateurs). Pour un grand détective, Batman a été impliqué dans bien peu de thrillers psychologiques – dans Ego, comme son nom l'indique, son adversaire n'est autre que lui-même, et Cooke prend un malin plaisir à illustrer l'idée selon laquelle DC traite trop souvent Batman et Bruce Wayne comme des entités séparées. Cela apparaîtra comme une lapalissade pour tous ceux qui connaissent cette œuvre mais jamais (si ce n'est peut-être, dans le prochain paragraphe) Bruce Wayne n'aura été à ce point poussé dans les retranchements des tréfonds des limbes de sa âme profondément malade. Et c'est ici que je dois tout de même vous prévenir que de tous les titres de cette sélection, c'est sans doute celui que vous aurez le plus de mal à trouver si vous ne lisez pas l'anglais, qui vous coûtera vraisemblablement le plus cher, pour une grosse cinquantaine de pages de bonheur. Mais ça vaut le détour.
The Black Glove/Batman R.I.P. (Batman #667-681, 2007-08 | Scénario : Grant Morrison ; Dessins : J.H. Williams III & Tony S. Daniels)
S'il est souvent cité à juste titre comme l'une des périodes les plus grandioses de l'histoire du Chevalier Noir, le long run de Grand Morrison à la fin des années 2000 (trois ans et à peu près 272 séries) est loin d'être le plus accessible au néophyte et ne constitue en rien la porte d'entrée idéale au personnage. Très riche et touffu, ultra-référencé, ultra-méta et presque trop "écrit" par moment, le lecteur en perdra parfois facilement le fil. Celles et ceux qui s'y sont intéressés connaissent déjà les prémices de ces arcs mythiques : pour Morrison, pas de dimensions parallèles ni de reboots, la totalité des aventures de Batman peuvent être concentrées dans une chronologie d'une petite quinzaine d'années. Son Bruce Wayne à lui est donc encore dans la fleur de l'âge, mais usé physiquement et ravagé psychologiquement par une succession de combats ininterrompus et d'alliances d'un soir ou deux avec des gens finissant toujours par mourir et/ou se retourner contre lui. Si l'on considère souvent que Batman R.I.P. est une histoire à part entière, celle-ci est absolument incompréhensible sans lire d'abord The Black Glove, l'une des aventures les plus aumaxdutrop du Dynamic Duo, dans laquelle Batman et Robin retrouvent le Club des Héros, éphémères accolytes apparus une seule fois dans les fifties (dans The Batmen of All Nations, d'Edmond Hamilton). Ridicules et anecdotiques à la base, ces personnages ont vieilli, sont devenus tristes, aigris, et renvoient à Batman le miroir de ses propres échecs et de sa propre incapacité à travailler en équipe. Les thèmes principaux de Batman R.I.P., qui confronte le héros à « un destin pire que la mort » (pour reprendre les mots de l'auteur), sont posés. Le résultat est aussi violent que complètement barré, prend le contrepied total des histoires très réalistes dans lesquelles le Chevalier Noir est souvent impliqué, et peut aisément déplaire dans sa manière de partir dans les sous-sens et de multiplier les twists toutes les trois pages. Fasciné par la « mauvaise » période de la publication (en gros, les années 60 et surtout 50, dans lesquelles Batman et Robin s'embarquaient dans des aventures SF souvent totalement nawak), Morrison en livre la jumelle maléfique, toute aussi psychédélique mais profondément névrosée. C'est presque un exercice de style, mais quelle brillance !
Batman Impossible (Batman & Robin Annual #1, 2013 | Scénario : Peter J. Tomasi ; Dessins : Ardian Syaf & Vincent Cifuentes)
C'est presque anecdotique en regard de sa profondeur, mais Batman R.I.P. installe aussi définitivement dans le rôle de Robin l'un des personnages les plus clivants du Batverse : Damian Wayne, fils (caché) de Bruce et de Talia al Ghul, écrasé par le double héritage de la Bat-Family et de la Ligue des Assassins. Irritant souvent, occasionnellement drôle et plus rarement touchant, il donne encore l'impression, près de quinze ans après sa première apparition, d'être un nouveau personnage ne demandant qu'à être approfondi. Sa propre série (Robin, Son of Batman) fut ainsi l'une des plus mauvaises de toute l'ère New 52 et l'on ne peut s'empêcher de nourrir une certaine appréhension à chaque fois que se présente l'occasion de le voir porter une histoire sans qu'il soit associé à son père ou à Dick Grayson. Parmi tous ceux s'étant attelés à le faire vivre depuis Grant Morrison, Peter Tomasi fut sans nul doute l'un des plus inspirés. Son run sur Batman & Robin a la réputation, exagérée mais pas totalement infondée, d'être l'une des meilleures séries Batman de l'époque récente. Sa seconde partie la disqualifie, ployant sous le parisitage permanent de non pas une, mais deux continuités (celle du run de Scott Snyder et celle du Batman, Incorporated de Morrison), mais elle contient en revanche et en effet quelques superbes fulgurances. A l'image de cette histoire courte et particulièrement émouvante dans laquelle Damian, plus facétieux que jamais mais tellement moins relou qu'ailleurs, entraîne son père dans un jeu de pistes l'amenant à découvrir des secrets de famille les trémolos dans le masque.
Dark Knight, Dark City (Batman #452-54 / Detective Comics #629-633, 1990-91 | Scénario : Peter Milligan ; Dessins : Kierion Dwyer sur Batman, Jim Aparo puis Tom Mandrake sur DC)
À l'échelle de quatre-vingt ans de Batverse, le passage du singulier Peter Milligan sur ses principaux titres équivaut approximativement à vingt minutes. Un double-épisode de Batman ; un run de cinq petits numéros sur Detective Comics, avant que le futur auteur d'Enigma ne se lasse et décide de se consacrer à des projets plus personnels. Autant dire que dans le genre travail oublié, celui de Milligan se pose sacrément, d'autant qu'il s'agit dans les deux cas de faire le tampon entre des runs beaucoup plus populaires (notamment de ceux Wolvman et Grant). Paradoxalement et avec le recul, Milligan a certainement signé, en ce temps ultra-rammassé, le meilleur du Batman des années 90. Des histoires sombres, mystérieuses, teintées de fantastique et profondément engagées, à l'image de The Hungry Grass ou And the Executioners Wore Stiletto Heels, dans lesquelles le héros s'interroge constamment sur le cycle de la violence et la damnation de Gotham City – personnage central si ce n'est principal de la plupart des ces épisodes. Entendons-nous bien : ranger tout cela sous la même appellation relève en partie de la vue de l'esprit. Ces histoires ont toute été composées comme des one-shots totalement lisibles individuellement et n'ont été compilées ensemble que très tardivement, après que l'aventure éponyme a servi de matrice au run de Grant Morrison (qui reprend l'énigme du démon Barbathos). Mais au moment de se lancer dans Identity Crisis, ultime et meilleur volet du Batman de Milligan, on observe une telle résonnance avec les précédents, une telle harmonie dans les thèmes et une logique narrative si implicite que l'on peut et doit considérer qu'il vient conclure un ensemble – et quel ensemble ! Chaque fois en une poignée de pages, le scénariste, associé sur Detective Comics à l'immense Jim Aparo, réussit à créer une atmosphère ambigüe, une intrigue dynamique et hyper-solide, et une problématique à double-lame.
The Eye of the Beholder (Batman Annual #14, 1990 | Scénario : Andrew Helfer ; Dessins : Chris Sprouse & Steve Mitchell)
Andrew Helfer n'a pas eu de bol. En toute logique, il aurait dû marquer à jamais l'histoire des comics, pour avoir réussi la prouesse de faire tenir en un seul annual la première véritable origin-story d'un des plus mythiques antagonistes de Batman : Harvey Dent, aka Double-Face. Tout y est, de A à Z. La double personnalité. Le père abusif. La pièce. L'épouse dévastée. La brillante carrière. L'agression. L'amitié profond et, dans le fond, indéfectible le liant à Batman et Gordon. Reprenant le Double-Face moderne réinventé par Dennis O'Neil au début des années soixante-dix (dans l'épisode Half an Evil, qui marquait son retour plus de vingt ans après sa dernière apparition), Helfer en fait l'antihéros le plus tragique de toute l'histoire de Gotham City et signe une histoire brillante, originale, emplie de références subtiles à ses illustres prédécesseurs et transcendée par les desssins de Chris Sprouse. Presque trente ans après, tout le monde connaît l'histoire imaginée par Helfer, qui reste la matière fondatrice de Dent tel qu'on le met en scène aujourd'hui. Sauf que seuls les fans (et encore, pas tous) savent que c'est l'histoire de Helfer. La faute à Batman : The Animated Series, d'abord, qui l'a adaptée en en faisant un épisode tellement culte qu'il a fini par reléguer le matériau original dans l'ombre. La faute à Jeph Loeb et Tim Sale, surtout, qui en reprenant l'intrigue de Eye of the Beholder dans sa quasi totalité, avec à peine une ou deux petites variations scénaristiques (mais une sacrée virtuosité dans la mise en scène), ont fait de leur Long Halloween une histoire d'une popularité sidérante, que vous pourriez qualifier de meilleure histoire de Batman de tous les temps sans que quiconque ne trouve à y redire. Il est temps de remettre l'église au milieu du village, car The Eye of the Beholder est un des plus grandes sommets de l'histoire de DC.
Robin, the Boy Wonder (Detective Comics #38, 1940 | Scénario : Bill Finger ; Dessins : Bob Kane)
Je n'aime pas l'admettre lorsque je ne suis pas sous l'influence de l'alcool, mais le Batman de l'Âge d'Or est extrêmement inégal, y compris par rapport aux standards de son époque. S'il peut m'arriver d'être bluffé par la modernité de telle ou telle vieille histoire de Superman ou Wonder Woman, leur contemporain se feuillette un peu trop souvent à mon goût pour l'histoire. Ce qui est pour le moins paradoxal sachant que l'univers de Batman, arrivé à la fin des années quarante, paraît déjà bien plus établi que ceux de tous ses concurrents – au sens où la plupart des personnages et des concepts inhérents à cet univers ont déjà été introduits. Cet épisode est en cela intéressant car il ne se contente pas d'introduire un héros iconique : c'est également une excellente lecture, originale et bien rythmée, dans laquelle tout le discours méta entourant le Dynamic Duo est déjà présent en filigranes. Si certains trucs de l'époque donnent parfois le sentiment de s'être inscrits dans le temps sans trop qu'on sache pourquoi, on comprend instantanément le succès de Robin et la raison pour laquelle il reviendra dès l'épisode suivant (et le suivant, et celui encore après). Batman est assurément Batman, personne n'est comme lui et dans le fond, personne ne veut l'être. Robin, c'est nous, lecteurs émerveillés, parfois imprudents mais jamais totalement inquiets, qui accompagnons le plus grand des justiciers dans ses aventures.
Year Three/A Lonely Place of Dying (Batman #436-42 ; New Titans #60-61, 1989-90 | Scénario : Marv Wolfman & George Pérez ; Dessins : Pat Broderick, George Pérez & Jim Aparo)
Jason Todd est mort. Vous le savez, je le sais, tout le monde le sait et tout le monde s'en branle. Dans le public, s'entend. Il n'a certes pas voté pour qu'il meure, comme on le raconte souvent à tort, mais il n'a en tout cas pas voté qu'il survive. La suite, si vous vous êtes déjà vaguement intéressés à Batman, vous la connaissez, ne serait-ce que visuellement. C'est à peu près tout ce qu'il y a en savoir car si contrairement aux idées reçues, Jason n'était pas un personnage intintéressant, il reste associé et de loin à la pire période de Batman et au run pénible, vulgaire et limite fascisant de Jim Starlin (pourtant auteur de plein de trucs cools par ailleurs... chez Marvel). Fréquemment cité dans les incontournables du Batverse, A Death in the Family n'a en réalité aucun intérêt en soi – ce sont ses conséquences, admirablement mises en scène par le légendaire duo Wolfman/Pérez, qui donnent un tant soit peu de sens à ce qui n'en avait que très peu sur le coup. Batman Needs a Robin, répètent-ils tels un mantra que je ferais assurément mien. Pas tout le temps ni en toutes circonstances mais, oui : Batman a besoin d'un Robin, évidemment accrobate puisqu'il n'est après tout qu'un filet de sécurité vivant. Si j'ai souvent pu écrire que Tim Drake était le Robin que j'aimais le moins, cela vient surtout de ce qu'il fut un dommage collatéral de la politique éditoriale de DC à partir des années quatre-vingt-dix, consistant à enchaîner les events englobant tout le Batverse et faisant indirectement de lui un simple personnage secondaire. En résulte que ses seules aventures mémorables sont ses débuts pétaradants et assez singuliers en regard de ceux des autres Robin, puisque Tim ne se destine pas prioritairement à revêtir le costume : son ambition, à la base, est de convaincre Dick Grayson de redevenir le sidekick de sa jeunesse. Sa transformation en Robin, qui culminera par la suite dans les séries dédiées que lui consacrera Chuck Dixon, est donc lente, progressive, subtile voire incertaine, et s'illustre en parallèle du deuil douloureux que tente de réaliser Bruce. Car si A Death in the Family n'a d'intérêt que pour la mort de Jason, ce double arc-ci va bien plus loin que la simple introduction de Tim. Ce qui explique peut-être la molesse de sa postérité : même lorsqu'il était le sujet, il n'était jamais autre chose qu'un faire-valoir. Ce qui est tout de même tristement ironique pour un personnage ayant plus qu'aucun autre théorisé ce qu'était Robin pour Batman.
Under the Hood (Batman #635-641 ; 645-650 / Batman Annual #12, 2005-06 | Scénario : Judd Winnick ; Dessins : Doug Mahnke, puis Shane Davis & Eric Battle)
Il aura fallu que je le relise plus de dix ans après pour réellement apprécier un arc que j'avais toujours trouvé franchement surestimé. Il est vrai qu'à l'époque j'ignorais qui était Red Hood et que la déception fut à la hauteur de l'attente. Sans doute le récit lui-même, qui ne lésine pas sur l'étalage et les cliffhangers, invite-t-il à la méprise et se repose-t-il trop sur l'identité du mystérieux justicier expéditif qui apparaît un beau soir à Gotham. On ne peut que l'en excuser s'agissant d'une intrigue conçue pour s'étaler sur plus d'une année de parution. Une fois ce présupposé intégré et l'identité de Red Hood connue de tous (c'est Jason Todd, revenu défier son ancien mentor plus que véritablement se venger), force est de constater que le personnage n'est pas réellement au cœur du propos – plus et mieux sera fait plus tard en ce qui concerne la rédemption de Jason. Ici, il sert avant tout d'élément narratif permettant de confronter Batman à ce qui demeure son pire échec, ainsi qu'aux limites de ses méthodes, puisqu'aux yeux de ce nouveau frenemy, Batman ne se salit pas assez les mains, ne va jusqu'au bout des choses – bref : ne tue pas, contradiction profonde du personnage tant le meurtre nécessaire devrait être la suite logique de son action. Red Hood n'est pas le premier à le placer face à cette contradiction, mais on lui reconnaîtra de savoir de quoi il parle. Parce que le Joker est toujours en vie lorsqu'il revient des années après. Et parce qu'il sait, lui, ce que presque tous les lecteurs de Batman font semblant d'ignorer : que le vertueux Bruce Wayne emmène des enfants se faire matraquer sur le champ de bataille, le plus souvent sans l'assumer ni en affronter les conséquences.
The Vigilante Business/Robin War/Jokers (We Are... Robin #1-12 / Robin War #1-2 / Grayson #15 / Detective Comics #47 / Robin : Son of Batman #7, 2015-16 | Scénario : Lee Bermejo (pour les séries principales), avec Tom King, Tim Seeley, Ray Fawkes et Patrick Gleason ; Dessins : ob Haynes & Khary Randolph)
N'y allons pas quatre chemins : We Are... Robin est l'une des toutes meilleures séries DC des dernières années, et Robin War l'un des meilleurs events. Alors oui, en vrai et à l'instar de beaucoup des meilleurs séries DC des dernières années (Green Lanterns, les anciens-nouveaux Titans), c'est quasiment du Marvel. Oui encore, la tentative de séduire un public plus jeune est évidente. Mais après tout, c'était la base du personnage de Robin. Or, ça tombe bien : la base du personnage de Robin est au cœur de ces histoires, notamment la première. Le pitch ? Alors que Batman est supposé mort (au terme du crossover Endgame) et que la police Gotham a décidé de mettre en place son propre Batman sur-militarisé (cf. l'arc Superheavy), les jeunes de la ville, emmenés par Duke Thomas, s'organisent via les réseaux sociaux et décident d'entrer en dissidance en devenant tous « des » Robin. L'idée, vaguement repiquée sur V for Vendetta et teintée d'un zest de Kick-Ass, est terriblement efficace et permet d'introduire une foultitude de nouveaux personnages particulièrement attachants dont les aventures, très orientées action et pleines de moments puissants, ont un petit côté retour aux sources à une époque où la série Batman ressemble de plus en plus à un énorme blockbuster. Lorsque l'un d'eux provoque accidentellement la mort d'un flic, la mignonne aventure dégénère en guerre des autorités contre le symbole et même la couleur rouge, ce qui finit par rameuter les « vrais » Robin pour une seconde partie particulièrement jouissive tant leurs personnalités sont différentes, leurs relations compliquées et leurs sentiment mitigés vis-à-vis de ces gamins inexpérimentés se réclamant d'eux. Accessoirement, l'évènement enterrinera la fin du voyage de rédemption de Damian et le retour de Dick sous le masque de Nightwing, qu'il avait quitté depuis quelques années. Mais ce sont surtout les mioches, Duke, Riko, Dax et les autres qui se taillent la part du lion dans ce crossover unique en son genre qui ramène le fameux symbole du « R » à sa substantifique moëlle. Bien décidé à ne pas s'arrêter en si bon chemin, Lee Bermejo continuera l'aventure le temps d'un dernier arc (légèrement moins bon) où les Robinz seront bien évidemment confrontés à des Jokerz, amorçant une réflexion à la fois fun et troublante sur la transmission du Mal. Depuis le DC Rebirth, ces personnages refont surface de temps à autres sans avoir de titre attribué, mais nul doute qu'ils reviendront au premier plan un de ces quatre.
Child of Justice (Nightwing #1-3 | Scénario : Chuck Dixon ; Dessins : Scott McDaniel, 1996)
Comment ne pas conclure cette mini-série dans la série avec le premier, le plus beau, le plus fort et le plus cool des Robin, Dick Grayson lui-même. Beaucoup de choses sont étonnantes à son sujet, à commencer par le fait qu'il ait dû attendre cinquante-cinq ans pour avoir droit à sa propre série, quand des personnages infiniment plus anecdotiques eurent cet honneur au bout d'approximativement cinq minutes. Il est vrai que depuis le milieu des années soixante-dix, c'est surtout dans les différents titres Teen Titans que celui-ci s'illustre, au point que ce soit là et non dans Batman qu'ait eu lieu sa métamorphose en Nightwing. Sans doute pour compenser, lorsqu'il décroche enfin la timballe, ça tape très fort, très haut et très vite – durant la décennie suivant, Nightwing sera fréquemment le meilleur titre du Batverse. Difficile d'ailleurs de se décider entre la mini-série inaugurale de Dennis O'Neil, l'excellent run de Peter J. Tomasi préparant secrètement le moment où Dick va devenir Batman, ou les plus de soixante-dix numéros composés par Chuck Dixon. C'est évidemment et logiquement vers ce dernier que penche la balance, tant le spécialiste des histoires de sidekicks lui consacra de temps, dans sa propre série comme dans de nombreux one-shots (dont un Year One pour chacune de ses identités superhéroïques), sans oublier ses innombrables featurings chez les Birds of Prey. Aujourd'hui encore, l'un va difficilement sans l'autre. De nombreux auteurs, souvent talentueux, ont su capter les sentiments ambigus nourris par Dick à l'égard de son mentor, ce qui l'en rapproche régulièrement comme ce qui l'en a séparé des années plus tôt de manière irrémédiable. Dixon, lui, est parvenu à en faire un personnage à part entière, ne se définissant plus jamais en creux par rapport à Bruce Wayne ou à ses successeurs sous le masque de Robin.
Robin Dies at Dawn (Batman #156, 1963 | Scénario : Bill Finger ; Dessins : Sheldon Moldoff)
C'est probablement l'histoire la plus connue de la « mauvaise période » de Batman, et l'on comprend très vite la raison de cette notoriété. Elle est très représentative de son époque et propose dans le même temps une histoire assez puissante, à tout le moins tant qu'on n'en connaît pas la chute. Si vous n'avez jamais lu d'épisode de cette ère, il vous faudra toutefois une certaine préparation psychologique et une bonne dose de contextualisation pour en venir à bout. On raconte souvent que c'est à cause du Comic Code que Batman, comme toutes les séries de l'Âge d'Or n'ayant pas eu la chance de s'arrêter, a lentement dérivé vers quelque chose de radicalement différent de son ADN habituel. C'est vrai et faux à la fois : si Batman a enchaîné les histoires SF tordues à partir de la fin des années cinquante, c'est aussi en grande partie parce que c'était tout simplement la mode. Des auteurs comme Ray Bradbury sont alors au faître de leur popularité auprès de la jeunesse et, en toute logique, c'est dans leur direction que regardent les auteurs de comics. Robin Dies at Dawn est un exemple d'autant plus flagrant que c'est une histoire de Bill Finger, scénariste originel de la série, qui n'a personnellement que peu surfé sur la vague et ne le fit pas n'importe comment, comme en témoigne cet épisode qui, débarrassé des oripeaux et des stigmates, est avant tout un énième hommage à la relation ambiguë mais profonde qui unit le Dynamic Duo.
The Court of Owls/The City of Owls (Batman #1-12, 2011-12 | Scénario : Scott Snyder ; Dessins : Greg Capullo)
Scott Snyder l'avoue avec un zest de fausse modestie : tout le monde n'a pas la chance (il n'ose pas dire le talent, ce grand timide) d'inventer quelque chose d'inédit et de durable dans un univers aussi ancien et codifié que celui de Batman. Son run est une terre de constrastes à laquelle on pourra reprocher bien des choses, mais pas de manquer d'originalité ni d'ambition. Snyder se perdra, bien sûr, comme tous les scénaristes passant trop de temps (plus de cinq ans !) sur un même titre. Trop d'action, trop d'idées, trop de personnages. Si l'idée derrière l'ère New 52 était de nettoyer les mythologies afin de rendre les titres DC plus accessibles aux novices, le Batman de Snyder et Capullo , à l'exact opposé de la Wonder Woman d'Azzarello et Chiang, fut un ratage total. Mais c'est justement pour cela qu'il est si bon. Parce que la mythologie qui écrase la ville est le principal sujet de ce run, tout particulièrement de ses incroyables débuts. Snyder n'a pas eu que de bonnes idées en cinq ans, et son manque de modestie l'a parfois amené à se fourvoyer, mais il restera dans tous les cas mémorable pour deux choses : avoir fait porter le costume mythique à un Gordon plus que jamais trop vieux pour ces conneries, et avoir créé la Cour des Hiboux, inquiétante société secrète qui depuis des siècles réuni la Haute société de Gotham et qui, peut-être, est responsable de toutes les exactions qui y sont commises. Métaphore à peine déguisée des gardiens du temple bloquant par principe toute évolution sur le titre, la Cour deviendra vite la ligne directrice d'un run où Gotham est plus que jamais un personnage à part entière, mégalopole moderne et froide conservant en ses tréfonds des centaines d'années d'histoire et de mystères. « Ils essaient d'utiliser les légendes de Gotham contre moi, mais je suis la seule légende de Gotham. »
The Last Arkham (Shadow of the Bat #1-4, 1992 | Scénario : Alan Grant ; Dessins : Norm Breyfogle)
En commençant cette liste, il était clair que je n'évoquerais qu'un seul titre par auteur, exceptions faites des quatre cités plus haut. Alan Grant est cependant un cas à part qui aurait sans doute mérité autre chose qu'une simple citation. À l'instar de Chuck Dixon à la même époque, mais dans une moindre mesure (il fut moins prolifique sur le titre), Grant s'est énormément exprimé dans la périphérie du Batverse, voire du DC-verse dans son ensemble puisque ses œuvres les plus notables sont consacrées à des personnages comme Lobo ou Jason Blood. Lorsqu'on lui propose de prendre en main une nouvelle série Batman, il est aussi honoré qu'emmerdé, puisqu'il y en a déjà trois en cours, chacune ayant des frontières à peu près définies, et qu'il ne voit pas bien ce qu'il pourrait dire de plus sur Batman. Dont acte : Grant décidera de faire comme d'hab' et de s'intéresser aux autres, les personnages d'arrière-plan, voire carrément les lieux mythiques de Gotham ainsi que leur histoire. Bien sûr, The Last Arkham est une aventure très glauque dans laquelle Batman affronte pour la première fois l'un de ses ennemis les plus terrifiants, le serial-killer Mr. Zsasz. Mais c'est surtout une vertigineuse plongée dans l'histoire de l'asile d'Arkham lui-même et dans les méandres de la psyché effrayante de son sadique administrateur, Jeremiah Arkham. Souvent dans l'ombre de l'excellent Arkham Asylum (de Grant Morrison et Dave McKean, en 89), c'est cependant bien The Last Arkham qui est LE récit fondateur de tout ce pan de la mythologie de Gotham, devenu si essentiel à cet univers qu'il deviendra le titre de l'une des séries de jeux vidéos les plus populaires de notre époque.
Where were you the Night Batman was Killed? (Batman #291-94, 1977 | Scénario : Julius Schwarz & David Vern Reed ; Dessins : John Calnan)
Si les années soixante-dix sont peut-être la meilleure période de Batman, ce n'est pas uniquement en raison de la rédifinition de ce que doit être le personnage ou des pointures et futures pointures qui se succèdent sur les différents titres. C'est aussi parce qu'elles établissent des concepts qui, s'ils existaient souvent depuis des années à l'état embryonnaire, n'avaient jamais été rendus aussi explicites et deviendraient par la suite consubstantiels de ce que doit être une bonne histoire de Batman pour n'importe quel auteur s'y attaquant. C'est ainsi à cette époque que les pontes de chez DC semblent prendre conscience que les adversaires hauts en couleur du Chevalier Noir sont un argument de vente tout aussi efficace (voire encore plus percutant) que le Chevalier Noir lui-même, ce qui peut paraître étonnant pour une série déjà vieille de trente années. Ce n'est pourtant pas un hasard si l'époque regorge de nouveaux méchants ni si le Joker y connaît la consécration avec sa première série rien qu'à lui. Délice d'humour noir comme Batman n'en offre plus vraiment de nos jours, ce mini-arc s'inscrit parfaitement dans la tendance en racontant un bien étrange procès au cours duquel le mafieux Van Cleeve et le juge Ra's Al Ghul essaient de terminer qui, de Catwoman, du Riddler, de Lex Luthor ou du Joker doit être récompensé pour avoir réussi à tuer Batman. Les quatre épisodes sont un véritable défilé de super-vilains, de Double-Face à l'Épouvantail en passant par le Chapelier, Poison Ivy, Killer Moth, Mister Freeze, Signalman et on en passe. La chute est éminemment prévisible, d'autant que l'histoire en a inspiré de nombreuses autres en comics ou en cartoon. Mais c'est un vrai régal.
The Joker Walks the Last Mile (Detective Comics #64, 1942 | Scénario : Bill Finger ; Dessins : Bob Kane)
J'ai longuement hésité dans le choix des histoires mettant en scène le Joker. Il n'en manque pas de mémorables, dans presque toutes les époques, et son évolution jusqu'à la créature presque mythologique qu'il est devenu depuis le DC Rebirth est tout à fait fascinante. Le Joker est en effet un personnage qui a été construit, déconstruit, reconstruit puis re-déconstruit par les auteurs les plus talentueux de l'industrie. À la différence d'autres personnages du Batverse, il était presque « parfait » dès sa première apparition – comprendre qu'on tenait presque, déjà, son incarnation contemporaine. Il était certes mû, à l'instar de tous les premiers ennemis de Batman, par la cupidité, mais il était déjà plus fort et plus fou, plus brillant et plus violent que tous les autres. C'est ce qui lui coûtera sa place : le Joker fut rayé de la carte durant cinq longues années vers la fin de l'Âge d'Argent des comics. Trop barré, trop violent, même dans la version très adoucie qui en était donné depuis le milieu des années 50. Il reviendra petit à petit et sera toujours plus cinglé, toujours plus sanguinaire et toujours plus impénétrable, ce qui donnera naissance à sa première série régulière, mineure mais tout à fait intéressante pour mesurer sa réinvention progressive. Si j'ai choisi cette histoire précise au détrimant de ses deux premières apparitions (The Joker et The Joker Returns, que je vous recommande néanmoins), c'est parce qu'on mesure peu à quel point son intrigue, qui nous paraît juste complètement aumaxdutrop aujourd'hui, était perturbante pour le public des années 40, et tout à fait symptomatique des chausses-trapes dans lesquelles le personnage enfermait tous ses auteurs. En gros, il y est exécuté, puis ressuscite avec un casier judiciaire vierge – la sentence a été purgée. N'importe quoi ? Peut-être. À vous de voir.
Penguin's Big Score/Catwoman's Killer Cape/ Joker's Late Night Lunacy (The Batman Adventures #1-3, 1992-93 | Scénario : Kelley Puckett ; Dessin : Rick Burchett)
On le sait peu en France, où elle ne fut traduite que de nombreuses années plus tard, mais Batman : The Animated Series était accompagnée lors de sa diffusion sur FOX Kids d'une série de comics de grande qualité qui, sous l'apparence anecdotique de tie-in se situant de l'univers du D.A., permit à des auteurs de tous horizons de se faire les dents sur un personnage qui leur aurait été inaccessible autrement. Certains épisodes seront de simples supports, d'autres seront de beaux inédits, d'autres encore des genres de "novélisation" des épisodes de la série... et quelques uns, comme Joker's Late Night Lunacy, feront oublier totalement leur inspiration pour avoir parfaitement usé de l'esthétique imposée. Dans cette histoire qui conclut le premier mini-arc de Batman Adventures, le Joker, égal à lui-même, décide de créer son propre late-show dans lequel se bouscule tout le gratin de Gotham City... pas franchement de son plein gré. Très en verve, les auteurs détournent admirablement l'aspect cartoon qu'ils se doivent d'utiliser pour proposer une histoire incroyablement crue et violente sous ses airs délirants et rigolote – ce qui est dans le fond la définition exacte du Joker. The Batman Adventures reste une série méconnue et souvent réduite à un produit dérivée, mais elle trouva sans peine son public à l'époque et Joker's Late Night Lunacy va vite vous faire comprendre pourquoi.
Friends (Batman Annual #3, 2014 | Scénario : James Tynion IV ; Dessins : Roge Antonio)
Le Golb a déjà chanté les louanges de James Tynion IV, un mec qui à à peine trente ans a déjà dépassé le statut de star montante de DC, rédigé le meilleur run de Detective Comics depuis au moins quinze ans, relancé Hellblazer, porté Red Hood & The Outlaws dans des sphères jamais atteintes, remis en scelle la souvent inégale Justice League Dark et même réalisé un crossover entre Batman et les Tortues Ninja sans être (totalement) ridicule. Friends est l'histoire qui, à défaut de m'avoir réellement fait découvrir le disciple numéro un de Scott Snyder (au sens littéral du terme : il était son étudiant à la fac), m'a fait le remarquer et me dire ce truc un peu con qui vous fait vous sentir plus esthète que vous ne l'êtes : « ce mec-là, va falloir le suivre de près ». Véritable must pour tous les fans du Joker, dont c'est une des toutes meilleures histoires jamais imaginées toutes époques confondues, Friends est un récit d'autant plus impressionnant que sa brièveté ne l'en rend que plus dense et haletant. Un sacré tour de force si l'on considère que Tynion s'y coltine un cahier des charges particulièrement salé : 1) c'est une histoire de Batman-sans-Batman (Batman et Robin n'y sont que des figurants), ce qui est quasiment un genre en soi ; 2) c'est une histoire du Joker... ce qui est aussi un genre en soi ; 3) c'est une histoire du Batverse centrée sur un personnage inventé pour l'occasion, ce qui n'est jamais sans risque ; 4) c'est un annual, avec en conséquence une pagination et une structure pour le moins limitées ; 5) c'est un tie-in de l'évènement Endgame qui a pour mission non-officielle de combler les vides narratifs de tout le run de Snyder en ce qui concerne les activités off-screen du Joker. Ajoutons, puisqu'il faut bien meubler et qu'il serait cruel de dévoiler l'intrigue d'un récit aussi compact, que les deux derniers point sonts pour le moins contradictoires, l'Annual devant être par définition lisible par n'importe qui ne suivant pas le titre régulier. Malgré ou peut-être à cause de cela, Tynion s'en sort à merveille et signe un épisode somptueusement glauque et creepy. Et drôle, évidemment – ce que beaucoup d'auteurs d'histoires du Joker ont tendance à oublier en route.
Joker (OGN, 2008 | Scénario : Brian Azzarello ; Dessins : Lee Bermejo)
Tenez : celle-ci par exemple, vous aurez du mal à la trouver la drôle (mais ici, ce n'est pas grave). La manière expéditive de présenter ce graphic novel est de dire qu'il est le pendant de Lex Luthor : Man of Steel et applique à l'arch-nemesis de Batman le même traitement qu'à celle de Superman. Ce serait cependant faire sacrément injure aux deux auteurs que de laisser entendre qu'ils y reprendraient une formule, aussi brillante fût-elle. Joker est en réalité un ouvrage très différent de Luthor – aussi différent que les deux personnages le sont. Si le premier se proposait en effet de pénétrer la psyché de Lex sur le mode Et si, en fait, il avait raison de voir Superman comme une menace ?, le résumé de Joker serait plutôt Et si, en fait, il avait r... nan, laisse tomber, ce mec est un monstre. Pour le dire plus joliment et plus précisément : la psyché du Joker est pour sa part impénétrable. Quand bien même serait-il possible de l'approcher que le personnage perdrait assurément tout de son pouvoir de fascination. Dès le début de leur projet, Azzarello et Bermejo se heurtent à ce problème et à son principal corolaire (personne n'a envie de savoir que le Joker est méchant parce qu'il a eu une enfance difficile ou que l'acide lui a grillé le cerveau), pour mieux décider de le mettre en abyme en racontant l'histoire d'un voyou lambda s'étant précisément beaucoup approché du personnage. C'est ultra-glauque, sans fioritures – sans issue. Dans le fond, le duo touche à l'essence de ce personnage : le Joker est un être sans morale, sans âme et sans surmoi, qui fait ce qu'il veut comme il veut au moment où il veut. Mais en appliquant à tout cela un parti-pris ultra-réaliste, ils en font ressortir la monstruosité asbolue. On sera libre de lui préférer Lex Luthor, qui avait pour lui de faire vaciller la mythologie de Superman dans ses fondements, quand Joker ne fait que conforter celle de Batman. Mais il est indéniable que ce graphic novel figure parmi les meilleurs publiés ces dernières années sur le Batverse.
Night Cries (OGN, 1992 | Scénario : Archie Goodwin ; Dessins : Scott Hampton)
Night Cries est un OVNI dans la vaste bibliographie de Batman. Œuvre tardive d'un scénariste culte et d'un artiste virtuose mais au style très clivant, il ne se rattache à aucune période (sans connaître sa date de parution on aurait d'ailleurs bien du mal à le situer tant il est intemporel) et ne s'inscrit dans aucune véritable continuité (tout au plus peut-on supposer à différents indices qu'il s'agit d'un Batman débutant), ne déserte quasiment jamais le terrain du polar et tape dans un registre outrageusement sombre et premier degré qui, sans trop qu'on parvienne à s'expliquer pourquoi, dégage une incontestable poésie. La violence y est réaliste, oppressante au possible, et le récit avare en personnages et en références – entièrement centré sur les enquêtes de Batman et Gordon, au point que, chose rarissime, même Alfred ne soit pas de la partie. On peut aisément détester ce livre qui réussit à donner le sentiment de partir dans tous les sens tout en offrant une vision pour le moins uni-dimensionnelle de ses héros, a fortiori si l'on est très fan de Batman et très pointilleux sur ce qu'il doit être ou non. Mais au-delà de ses qualités propres (c'est un excellent graphic-novel qui se lit d'une traite) et de sa volonté plus ou moins appuyée d'actualiser la période hardboiled du héros, Night Cries a le mérite d'appuyer sur l'un de ses aspects les plus séduisants du personnage : à la manière d'un Sherlock Holmes ou d'un Dracula, tout et n'importe quoi ont tellement été faits avec lui, parfois simultanément sur des séries différentes, qu'on peut l'aborder en toute liberté et vouloir en faire ce qu'on veut – en l'occurrence un justicier tentant de garder ses esprits dans un monde constellé d'horreur.
The Rupert Thorne Saga (Detective Comics #506-520 / Batman #339-356, 1981-83 | Scénario : Gerry Conway ; Dessins : Dick Giordano)
Probablement l'arc le plus long de cette sélection, même s'il est entrecoupé de fillers et que je vous ai fait un prix de gros, The Rupert Thorne Saga ne porte pas officiellement ce titre et mérite bien mieux que ce que l'on dit d'elle à l'époque – à savoir qu'elle était une grosse pompe, si ce n'est carrément un remake, de Strange Apparitions. Il est vrai que reprendre tant de concepts novateurs si peu de temps après peut encourager à la confusion, mais le traitement de Gerry Conway est pour le moins différent et cette longue saga a une importance cruciale à plus d'un titre. Structurellement, tout d'abord, puisqu'elle marque le moment où Batman et Detective Comics commencent à être traités comme deux titres différents et complémentaires, amenés à se répondre mutuellement et à avancer dans la même direction narrative. Mythologiquement parlant, aussi, puisqu'il s'agit de la dernière grande aventure du Dynamic Duo originel (Dick deviendra Nightwing quelques mois plus tard), et que l'ensemble propose la meilleure histoire de Poison Ivy, vilaine souvent mal comprise et/ou malmenée par les scénaristes. Enfin et surtout, si l'influence du run d'Englehart est évidemment prégnante, d'autant que Conway n'essaie même pas de se cacher et semble volontairement forcer la comparaison, l'approche est bien plus moderne, que ce soit dans les dialogues, le sous-texte (nettement plus appuyé et politique) ou la thématique de l'identité secrète de Batman. Dans les mois suivants, Conway continuera à creuser dans la mythologie en introduisant Killer Croc ou en orchestrant la passation de pouvoirs entre les deux Robin – nous sommes à un moment charnière de l'histoire de Gotham, et sur le coup, seul le scénariste mésestimé paraît en avoir pleinement conscience.
Oracle : Year One – Born of Hope
(Batman Chronicles #5, 1996 | Scénario : John Ostrander & Kim Yale ; Dessins : Karl Story)
Batgirl : Year One
(mini-série en 9 épisodes, 2003 | Scénario : Chuck Dixon ; Dessins Scott Beatty)
Si un Batman ne peut aller sans un ou deux Robin, Batgirl, elle, peut marcher seule (no pun intended). C'est ce qu'elle fait bien, voire ce qu'elle fait de mieux : s'émanciper. Et c'est plutôt pas mal, pour une nana qui lors de sa première apparition (The Million-dollar Debut of Batgirl, en 1967), s'est vue rétorquer par les héros en chefs qu'ils n'avaient pas de temps à perdre avec une fille. Ces deux origin-stories n'ont dans l'absolu rien à voir. Leurs approches et leur styles diffèrent radicalement, Oracle étant une histoire sombre et dure quand Batgirl est une merveille d'humour et de légèreté. Pourtant, en y regardant de plus près, elles ont leurs similitudes. Elles sont tout d'abord les œuvres d'artistes accomplis connaissant le Batverse sur le bout des doigts et ayant (très) longtemps tourné autour du personnage avant d'avoir l'autorisation de s'y atteler. On osera même dire que sans John Ostrander et Kim Yale, Babs aurait vraisemblablement disparue après sa fameuse agression par le Joker dans The Killing Joke. Ce sont eux qui, outrés de réaliser que DC n'entend plus rien faire du personnage, décident de la réinventer dans les pages de Suicide Squad sous les traits (longtemps mystérieux) d'Oracle, dont le succès lui permettra de réapparaître de plus en plus fréquemment dans différents titres. Il faudra toutefois attendre près d'une décennie pour qu'ils puissent enfin lui consacrer une histoire unique et poignante, comblant autant de vides narratifs qu'elle procure d'émotions. La meilleure preuve de la popularité d'Oracle ? Sa longévité, tout simplement. A l'exception de Robin/Nightwing, aucun autre personnage DC ne peut se targuer d'avoir eu deux identités superhéroïques différentes sur des périodes aussi longues. Et s'il faudra attendre 2011, soit près de vingt-cinq ans (!) pour que Barbara Gordon redevienne Batgirl, il est évident que c'est à la mini-série de Chuck Dixon qu'on le doit. L'auteur le plus prolifique de toute l'histoire du Batverse (après Bill Finger en personne), initiateur des premières séries Robin et Nightwing ainsi que des events les plus marquants de l'histoire de Gotham, ne pouvait pas se foirer... et réussit dans les grandes largeur en re-faisant d'un personnage devenu presque aussi torturé que son (ex-)mentor une héroïne lumineuse aux aventures spectaculaires (prenant au passage le parfait contre-pied de tout ce qu'il avait écrit sur le Batverse à ce jour). Bien sûr, il réactualise les origines du personnage en y injectant une touche subtile de féminisme. Mais Dixon la ramène surtout à une certaine réalité tacite concernant une héroïne dont les capacités athlétiques, par exemple, n'avaient jamais été explicitées dans les années soixante (on s'en foutait royalement en ce temps-là, le fait qu'elle soit une femme était en soi un évènement suffisant). Sous sa plume, Babs devient officiellement ce qu'elle est implicitement depuis toujours : une vraie justicière humaine, qui n'a pas subit un entraînement de taré et risque littéralement sa vie chaque soir, gratuitement, pour le bien d'autrui et non par vengeance ou parce qu'elle trouve que Batman porte vraiment bien la cape. Il était temps.
My Beginning... and My Probable End (Detective Comics #574, 1987 | Scénario : Mike W. Barr ; Dessins : Alan Davis & Paul Neary)
Le titre n'est pas une référence au début de run catastrophique de Mike Barr. Ou peut-être que si, mais ça n'est pas d'une grande importance. Cette histoire devenue un immense classique est depuis longtemps sortie de l'orbite de la série. Histoire d'être précis, elle fait le tampon entre le début du run de Barr (donc), dont elle n'est que le sixième épisode, et le début de l'arc Batman : Year Two, mais ne s'insère pas réellement dans la continuité. Si elle fait bien suite directe à un très mauvais épisode, il n'est pas utile de le savoir. Elle se suffit à elle-même, pour ne pas dire qu'elle est bien plus forte et troublante lorsque l'on ne connaît pas le contexte débile d'un mini-arc au cours duquel Batman affronte des ennemis plus ridicules que jamais et fait même alliance avec Sherlock Holmes (vous êtes prévenus). C'est précisément ici que le run de Barr trouve réellement son ton, pour ne pas dire qu'il introduit le Dark Age de la série, lequel culminera avec... la mort du même Jason Todd qui est ici grièvement blessé (et qui n'a donc vraiment pas de bol). Le début et la fin du titre ? Un revolver, celui qui abat les parents du Bruce Wayne et celui qui, un jour ou l'autre, mettra fin à la carrière de Batman. Le résultat de ce parallèle est un récit presque totalement introspectif et porté, surprise, par Leslie Thompkins, personnage encore relativement nouveau à cette époque (depuis sa première apparition évoquée plus haut, il n'y en a pas eu beaucoup d'autres). Il y a une certaine ironie à ce que l'idée de placer une figure féminine au centre de la Bat-Family vienne de l'auteur d'un des Batman les plus machos de tous les temps, mais c'est bien Barr qui en fait ce qu'elle sera par la suite pour l'éternité, à savoir un genre de double inversé d'Alfred Pennyworth, figure d'autorité elle aussi, maternelle assurément, mais désapprouvant profondément le chemin de la violence et se résignant à panser des plaies qu'elle estime indues. « Tais-toi ! Tu fais passer cela pour de l'héroïsme, mais tu le fais avant tout pour toi-même... tu es toujours ce petit garçon que j'ai ramené à la maison il y a 25 ans, prêt à déchaîner sa vengeance sur quiconque a eu la malchance de naître du mauvais côté de la barrière. » On dira que c'est un autre sytle que les vannes passives-agressives d'Alfred.
Dark Knight over Metropolis (Superman #44 / Adventures of Superman #466-467 / Action Comics #653-654, 1989-90 | Scénario : Jerry Ordway, Roger Stern & Dan Jurgens ; Dessins : Jerry Ordway, Dan Jurgens & Bob McLeod)
Tout ce que vous savez d'eux, de leur relation complexe, de leur amitié indéfectible – et puis encore tout le reste, prend sa source ici. Après avoir posé les bases des versions modernes de ses deux plus grands héros, respectivement dans Batman : Year One (de Miller) et dans The Man of Steel (de John Byrne), il ne restait plus à DC qu'à les faire se côtoyer, ce à quoi s'attèle ce crossover traversant toutes les séries Superman de l'époque, même si Batman s'y taille la part du lion. Qualitativement, on est au niveau de Man of Steel, où s'était jouée la première rencontre (dans le troisième épisode, Some Night in Gotham City). Soit donc dans le meilleur du mieux de ce qu'on peut trouver en matière de comics superhéroïques à l'époque. D'un point de vue canon, il suffit de constater que les origines de cette relation et ses développements n'ont quasiment pas bougés trente ans après pour mesurer l'importance de ce crossover. Si je vous dis que c'est à la fin de cette histoire que Superman confie un morceau de kryptonite à Batman pour le cas où il deviendrait incontrôlable, vous savez probablement presque toutes et tous ce dont je vous parle, même si vous n'avez pas ouvert le moindre comic-book depuis vingt ans. C'est peu dire que la Warner aurait été bien inspirée de l'adapter plutôt que de produire cette chose balourde et stressante qu'on nomma Batman V. Superman.
The Tower of Babel (JLA #43-46, 2000 | Scénario : Mark Waid ; Dessins : Howard Potter)
Ce n'est peut-être pas un arc narratif de Batman, mais c'est assurément une histoire de Batman – c'est peut-être même la meilleure de toutes, en tout cas pour ce qui concerne l'analyse de la personnalité du héros. Pas un hasard si cette intrigue est la plus populaire d'une série, la JLA de Waid & Morrison, comptant elle-même parmi les plus populaires de toute l'histoire de DC. Connu d'à peu près tous les amateurs de comics de l'univers, le pitch est d'une simplicité et d'une efficacité renversante : Ra's al Ghul parvient à neutraliser simultanément tous les membres de la Ligue de Justice en utilisant les fichiers top secret que Batman conserve afin de... neutraliser la Ligue de Justice, cette bande d'inhumains aux pouvoirs quasi divins, au cas où celle-ci deviendrait incontrôlable. Le scénario, particulièrement hâletant, joue autant sur le sentiment d'urgence et une action survoltée (Batman va-t-il comprendre à temps ce qui se passe et parvenir à contrer son propre plan ?) que sur la psyché trouble d'un héros dont la paranoïa lui éclate (littéralement) au visage. Bruce Wayne, après tout, n'est qu'un simple humain légèrement plus fort que la moyenne, dont la principale qualité est son intelligence, qui a néanmoins réussi à se faire accepter des dieux. De cela, Geoff Johns fera plus tard d'excellentes vannes dans son propre run de Justice League, où Hal Jordan notamment ne peut pas encadrer le justicier de Gotham et passe son temps à demander ce qui justifie sa présence. Mark Waid, lui, en fit une tragédie poignante et l'une des histoires les plus allègrement pompées de tous les temps.
Dream of Me/Superfriends (Batman #33-37 ; 39-40, 2017-18 | Scénario : Tom King ; Dessins : Joëlle Jones)
Après quatre-vingts ans d'histoires, concilier les attentes d'un lectorat aussi vaste que divers peut s'apparenter à un sacerdoce, ce qui explique sans doute que certaines pointures contemporaines de chez DC se soient souvent tenues à une distance respectueuse du personnage. Surprendre des lecteurs connaissant tout des codes et de l'univers du titre n'est pas donné au premier venu, encore moins renouveler la forme et lesdits codes. Actuel mandataire dans ce dossier, Tom King, dont nous avions déjà parlé il y a quelques mois, s'en sort avec plus que simples honneurs, réussissant notamment à user de deux registres généralements proscrits des aventures de Batman : la romance et la comédie. C'est particulièrement notable dans ces deux histoires fillers imbriquées l'une dans l'autre : pour résumer sommairement, Bruce doit annoncer à ses proches qu'il va épouser Selina après l'avoir (plus ou moins) combattue durant une éternité. La Bat-family, tout d'abord, qui ne réagit pas très bien. Talia al Ghul, la mère de son fils (et accessoirement meurtrière de masse – son propre fils inclus – mais il semble que Batman Incorporated ait été opportunément rayé des mémoires), qui le prend bizarrement encore plus mal. Et enfin ses super-amis de la Ligue de Justice, à tout le moins les plus proches, Superman et Wonder Woman. Ceux deux triplettes d'épisodes montrent bien ces deux registres (presque) inédits dans lesquels King et les divers dessinateurs l'accompagnant excellent : Dream of Me est un récit mélancolique appuyant subtilement sur les quêtes de rédemption opposées mais tout aussi profondes de Bat & Cat, qui se conclura par un renversement des valeurs habituelles des comics puisque le proverbial combat de coqs opposera deux femmes ; Superfriends, quant à elle, est une merveille de comédie romantique jouant avec bonheur avec les images et les personnalités de Bruce, Clark et Diana, dont le prologue est certainement l'un des trucs les plus drôles qu'on n'ait jamais écrit sur Batman et Superman. Alors bien sûr, vu la qualité du run de King, j'aurais pu ou dû choisir un arc plus long, conséquent et raccord avec ce qu'on attend du Batverse (au hasard, l'excellent The War of Jokes & Riddles). Mais il me semble que c'est décidément dans ces histoires courtes et en apparence secondaires que le talent de l'auteur s'exprime de la manière la plus criante.
The Silent Night of the Batman (Batman #219, 1969 | Scénario : Mike Friedrich ; Dessins : Neal Adams)
J'ai toujours trouvé assez extraordinaire la propension de Batman à générer des Christmas Specials alors que très franchement, peu de superhéros sont aussi peu compatibles avec le principe-même de Noël. La liste est pourtant sans fin et le plus surprenant, c'est que les résultats sont souvent très réussis. The Silent Night of the Batman serait bien entendu une histoire assez anecdotique si elle n'était la quintessence de ce type de récit, voire leur matrice : réussir à marier le sacro-saint esprit de Noël, avec tout ce qu'il sous-tend d'optimisme et d'espoir, avec la personnalité ténébreuse (et même ombragueuse, en l'occurrence), du Chevalier Noir, le plus souvent en tournant celle-ci en dérision. Très effiace, très fin et très drôle, l'épisode doit bien entendu largement plus aux dessins de l'immense Neal Adams qu'au scénario, ultra-basique même s'il fallait bien entendu y penser à l'époque. C'est sans doute l'une des aventures de Batman que j'ai le plus relue tant elle a été rééditée à toutes les sauces, un peu à la manière des rediffs d'E.T. au moment des fêtes de fin d'année. La différence, c'est qu'alors même que c'est typiquement le genre de scénario qui ne peut fonctionner qu'à la première lecture, je n'arrive jamais à m'empêcher de la parcourir une nouvelle fois.
The Many Death of the Batman (Batman #433-435, 1989 | Scénario : John Byrne ; Dessins : Jim Aparo)
John Byrne est connu pour énormément de choses sur énormément de titres, des X-Men à la Doom Patrol en passant les Fantastic Four et bien évidemment Superman, mais pas pour ses histoires de Batman. De fait, il n'en a écrit que trois, dont un crossover avec... Captain America. The Many Death of the Batman est la seule qui soit véritablement notable et elle a une particularité assez piquante : située en plein dans la période la plus sombre du titre et écrite par le type qui fut à Superman ce que Frank Miller fut à Batman, elle prend totalement le contrepied de l'héritage de Year One pour s'avérer au fil des pages une pure aventure de Batman façon seventies – elle est d'ailleurs dessinée par Môssieur Jim Aparo. Le pitch est assez simple et, si vous connaissez les prémices du run de Grant Morrison, il s'agit de la même chose mais à l'envers : un mystérieux tueur assassine des victimes apparemment sans lien en les revêtant après coup d'un costume de Batman. Simple, accrocheur, The Many Death of the Batman est un parfait petit polar totalement intemporel où le style de Byrne, dont on ne rappellera jamais assez la modernité par rapport à son époque, est immédiatement reconnaissable, notamment dans les dialogues, exquis.
Tales of the Demon (Detective Comics #411 ; 485 ; 489-90 / Batman #232 ; 235 ; 240 ; 242-44 / DC Special Series #15, 1971-80 | Scénario ; Dennis O'Neil ; Dessins : Neal Adams, Michael Holden, Don Newton)
Il y a l'embarras du choix pour évoquer le très long run de Dennis O'Neil, la plupart du temps associé à son compère Neal Adams. On l'a déjà dit, le duo peut être raisonnablement considéré comme les pères du Batman « moderne », dont ils révolutionnèrent l'univers de la cave au grenier, y ajoutant du gothique, du fantastique et même de l'horreur, replaçant la thématique de la vengeance au cœur du personnage et inventant ou réinventant tant de ses adversaires, dans tant d'histoires mémorables, que les citer toutes nécessiterait presque une encyclopédie. Paradoxalement, il en est une qui les relègue toutes en retrait (c'est dire son impact) et qui s'avère sans doute l'une des aventures les plus connues de Batman, pour avoir été reprise un nombre impressionnant de fois dans tous les médias possible : il s'agit bien entendu de Daughter of the Demon, qui marque en 1971 la première apparition de Ra's al Ghul (et la seconde de Talia, introduite quelques temps auparavant en guise de, hum, préliminaires). Fascinant, le véritable pire ennemi de Batman, longtemps seul à connaître sa véritable identité et à pouvoir rivaliser avec lui en terme d'intelligence, réapparaîtra régulièrement durant les années soixante-dix, le plus souvent au moment où personne ne s'y attend. Ses plans seront toujours plus complexes et globaux, toujours plus dangereux, et flirteront toujours plus avec le terrorisme – en faisant assurément l'un des antagonistes les plus signifiants et contemporains du Chevalier Noir. Captivant du premier au dernier, les Tales of the Demon ne sont pas un véritable arc narratif au sens où ils sont trop étalés dans le temps pour être vus comme tels, mais ils enrichissent pourtant bien une véritable continuité tant la mythologie entourant Ra's se construit progressivement à chaque épisode (rencontre puis love-story avec Talia, révélation des puits de Lazar, découverte de la Ligue des Assassins... etc.) Pour avoir été la propriété quasi exclusive du même auteur durant une très longue période, Ra's a-Ghul est sans doute l'antagoniste de Batman qui aura le mieux été caractérisé d'entrée, celui qu'il n'y a guère eu besoin de beaucoup faire évoluer pour le moderniser ou pour combler les vides. Au point que durant toutes les années quatre-vingts, les successeurs de l'immense O'Neil y regarderont à deux fois avant de le reprendre à leur compte (c'est finalement O'Neil lui-même qui finira par reprendre la plume pour apporter la touche finale dans Birth of the Demon en 1992).
Cataclysm/No Man's Land/New Gotham (1998-2001 | Scénario : Chuck Dixon, puis Bob Gale puis Greg Rucka pour les trames générales)
Dans les années quatre-vingt-dix, porté par le succès de ses différents events, DC s'est dit que ce serait une excellente idée de faire des events « internes » à l'univers de son héros le plus populaire. Les crossovers ont donc commencé à s'enchaîner de manière effrennée, obéissant à une certaine logique (un événement majeur arrivant à Batman ne peut qu'avoir une influence sur tous ses comparses et adversaires) mais usant énormément le lecteur et transformant de nombreux personnages autrefois essentiels en simple figurants au sein d'intrigues plus globales. Je n'ai jamais aimé Knightfall (que j'avouerai toutefois ne pas avoir parcouru depuis un bail). Trop sombre, trop violent, trop aumaxdutrop. Dans l'époque récente, Death of the Family et Endgame ont plus souvent handicapé les séries dérivées qu'ils ne les ont portées, et se lisent finalement comme de simples histoire de Batman avec pas mal de tie-in. Batman Eternal est encore un autre cas de figure, plutôt ambitieux mais un peu trop éclaté (et puis j'avoue tout, je ne l'ai pas – encore – terminé des années après). Reste No Man's Land, sans oublier la série qui le précède, et celle qui le conclut. Les trois ne sont pas d'un seul tenant et peuvent être pris séparément, mais racontent la même vaste histoire. Une fois n'est pas coutume, je ne listerai pas tous les épisodes – cela n'aurait pas réellement de sens et en plus ce serait très long (on parle au total de 152 issues réparties sur la totalité des séries du Batverse et d'innombrables specials). Cela n'enlève rien à la portée de ces évènements qui, en passant outre les innombrables changements de scénaristes, de dessinateurs, ainsi que les inévitables temps faibles, forment l'arc le plus long et le plus important en terme d'impact et d'ambitions qui ait jamais été tenté au sein du Batverse. L'histoire commence en 1998 avec le tremblement de terre qui coupe Gotham du reste du monde. Elle s'achève trois ans plus tard (!) avec la refondation de la ville et une flamme d'espoir pour le moins vacillante. Entre temps, celle-ci sera donc devenue un véritable No Man's Land et aura été traversée de mille histoires mettant en scène mille protagonistes, du plus petit dealer au plus haut notable, du vigilante ultime au plus anecdotique de ses ennemis. Il est difficilement imaginable que quelqu'un puisse s'envoyer la totalité de cette saga en un temps trop rammassé (pas un hasard si elle est elle-même découpée en trois énormes rondelles). Moi-même, je n'ai jamais eu le temps de tenter le coup de cette manière. Mais il est certain que tout cela mis bout à bout compose une fresque assez extraordinaire dépassant de très loin, en terme d'ambitions et de prise de risque, tout ce qui a été tenté en matière de comics mainstream jusqu'alors. Batman lui-même mettra du temps à s'en remettre et ses principaux scénaristes avanceront par la suite durant quelques années comme des poulets sans têtes, incapables de rivaliser avec un tel gigantisme ni à l'inverse de réussir un retour à des sources plus old-school. Il faudra plus d'une décennie pour revoir un crossover d'envergure au sein du Batverse, mais lorsque l'on parvient à la dernière page du Gotham Knights #13, on se dit que tout de même, le jeu en valait la chandelle.
Batman Reborn/Revenge of the Red Hood (Batman & Robin #1-6, 2009-10 | Scénario : Grant Morrison ; Dessins : Frank Quitely puis Philip Tan)
Batman Reborn, c'est avant tout un crossover, presque un event, installant un nouveau statu quo à Gotham City après la mort (supposée) de Bruce Wayne. Pour la première et à ce jour unique fois dans l'histoire du Batverse, tous les justiciers de la ville sans exception changent d'identité : Damian Wayne devient officiellement Robin, obligeant Tim Drake à devenir le Red Robin. Stephanie Brown s'empare du masque de Batgirl, Kate Kane (re)prend celui de Batwoman (voir par ailleurs)... surtout, c'est l'occasion d'assister à un événement attendu depuis des décennies par les fans : voir Dick Grayson accepter son destin et assumer l'héritage de son mentor. Vous l'avez compris : dans Batman Reborn, Batman n'est pas Bruce Wayne mais le premier des Robin, devenu un adulte plus humaniste mais tout aussi tourmenté que son prédécesseur. Les deux premiers arcs de la série Batman & Robin sont consacrés à cette prise de pouvoir, et tout spécialement à la relation naissante entre Dick et Damian, le fils spirituel et l'héritier légitime, qui se connaissent peu, se ressemblent encore moins, et se retrouvent forcés de cohabiter jusqu'à devenir inséparables. La singularité de cette relation rend la série assez unique en son genre : pour la première fois, Batman et Robin ne sont pas unis par un lien filial – ce sont des frères. Même après dix lectures, on ne se lasse toujours pas de ce duo plus explosif que dynamique, des réparties cinglantes d'un Damian convaincu que le droit du sang ferait de lui un bien meilleur Batman, de la manière dont Dick l'envoie gentiment bouler ou des aventures rocambolesques dans lesquelles les deux compères sont embarqués, la plus notable voyant (dans le deuxième arc) le retour de la revanche d'un Jason Todd entendant bien, lui aussi, réclamer l'héritage à sa manière. Ce qui est très fort dans le début de cette série (qui fera date mais sera malheureusement plombée par la volonté de l'auteur de faire converger tous les titres Batman dans un gros bordel aussi cool que... bordélique), c'est la manière dont Grant Morisson, tout en paraissant foutre un coup de pied dans la fourmilière du Batverse, réussit à en capter la substantifique moelle. Épiques, funs, héroïques mais aussi graves dans cette manière qu'a l'auteur de dépuceler brutalement le nouveau Robin, Batman Reborn et Revenge of the Red Hood sont des aventures de Batman presque quintessencielles, et sans doute plus typiques que ce que le même Morrison avait fait jusqu'à présent avec le « vrai » Batman. Mais peut-être est-ce justement le message qu'il entend nous faire passer : il n'y a pas de « vrai » Batman, il y a juste « the » Batman – un concept, une idée et un symbole, au-delà de la seule personnalité de Bruce Wayne.
Dark Night : A True Batman Story (OGN, 2016 | Scénario : Paul Dini ; Dessins : Eduardo Risso)
Auteur chéri de toute une génération depuis Batman : The Animated Series, Paul Dini a depuis écrit de nombreuses Bat Stories, dans presque tous les formats possibles. Pourtant, c'est une histoire hors canon et même hors Batverse qui s'impose le plus naturellement en clôture de cette sélection. Récit étonnant puis de plus en plus émouvant au fil des pages, Dark Night (sans « K ») est une autobiographie fantasmatique où l'artiste évoque pour la première fois l'agression brutale, gratuite, humiliante et traumatisante dont il fut victime au début des années quatre-vingt-dix, sans qu'aucun Chevalier Noir ne vienne à sa rescousse. Dans ce petit précis de victimologie, la drôlerie le dispute au glaçant et Dini n'épargne personne, expliquant certes en quoi ce traumatisme va faire évoluer son approche du personnage, mais ne manquant pas non plus de souligner à quel point il lui a ouvert les yeux sur le monde et sur les autres, lui qui était jusqu'alors une caricature de geek inhibé et renfermé sur lui-même et son petit univers de poche. Car Dini vit depuis toujours avec les héros de ses dessins animés préférés quelque part dans un coin de son esprit – c'est ce qui fait toute la spécificité de cette œuvre où la réalité se mélange sans cesse au cartoon et où les personnages de Gotham vienne lui secouer les puces lorsqu'il se laisse aller à l'auto-complaisance. Les dessins d'Eduardo Risso, dont on sait qu'ils ne plaisent pas toujours à tout le monde, collent parfaitement à ce mélange des genres qui va vous délivrer un énorme spoiler de la vraie vie : Batman ne viendra jamais vous sauver, mais il peut vous sauver tous les jours d'une autre manière, si vous le laissez faire.
A l'instar de ce qui avait été fait il y a quelques années à l'occasion des 70 ans de Stephen King, il n'est bien évidemment pas question ici d'aspirer à une quelconque exhaustivité ni de délivrer une liste de lecture « ultime ». Peu de gens peuvent de toute façon se targuer d'avoir lu la totalité des histoires de Batman écrites depuis quatre-vingts ans, moi pas plus qu'un autre. Le tout se résume à proposer une liste écartelée entre importance historique et choix purement subjectifs, éparpillée sur toutes les époques (même si certaines me sont plus chères que d'autres), avec pour seule contrainte de s'interdire la poignée d'incontournables que vous trouverez dans absolument TOUTES les listes de lecture consacrées à Batman. Les véritables marronniers multi-réédités que sont devenus le diptyque de Jeph Loeb et Tim Sale (The Long Halloween et Dark Victory), les différentes séries de Miller (Year One, The Dark Knight Returns et toutes ses suites sans intérêt) ou le Killing Joke d'Alan Moore, vous trouverez déjà des centaines voire des milliers d'articles vous les recommandant. Aucun intérêt de s'attarder sur des œuvres sur-commentées et souvent totalement arrachées à leur contexte par la postérité, quitte à leur affubler parfois une dimension qu'elles n'ont pas. Cela n'enlève rien à leur valeur (sauf pour The Dark Knight Returns, prétentieux, vulgaire, original pour l'époque mais incroyablement daté et fatigant à lire de nos jours) ; l'envie est simplement de s'intéresser à autre chose, en ratissant le plus large possible tant en terme d'époques que de formats. Le plus long titre de cette sélection fait cent-cinquante-deux épisodes ; le plus court, deux pages. Batman/Bruce Wayne en est l'élément central, ou pas. Le tout vous est offert dans un joyeux désordre suivant une forme de logique interne qui vous échappera parfois, mais cela n'a aucune importante. Allez, bon anniversaire Batounet !
Strange Apparitions (Detective Comics #669-679, 1977-78 | Scénario : Steve Englehart ; Dessins : Marshall Rodgers)
« Le Joker doit avoir le Batman ! Non, le Joker MERITE le Batman ! Quel intérêt d'humilier de vulgaires flics ? »
Cet article n'a pas réellement vocation à faire découvrir Batman à qui ne l'aurait jamais lu, mais en admettant que vous soyez cette personne, autant vous économiser une heure de lecture en commençant par-là : Strange Apparitions est le premier que vous devrez acquérir, celui qui résume sans doute le mieux le personnage et son univers. Pour mesurer l'importance de cette histoire, qui ne nécessite aucune connaissance de la continuité pour l'aborder, il suffit sans doute de savoir que ce titre n'en est pas un : c'est un surnom donné par les fans qui a fini par devenir une appellation officielle de l'éditeur. Strange Apparitions était tellement monumentale qu'il semblait incroyable de ne pas lui trouver un titre, histoire d'illustrer les futures rééditions intégrales qui arriveraient forcément par la suite. À la décharge de DC, ils n'avaient pas l'habitude : Strange Apparitions est tout simplement le premier véritable arc narratif longue durée jamais publié par l'éditeur. Un chef-d’œuvre signé par un scénariste qui voulait se retirer du business et un gamin inconnu qui bossait chez DC depuis très exactement... deux mois. Steve Englehart à ma droite, Marshall Rodgers à ma gauche, le passé autoproclamé (Englehart est déjà un auteur installé mais il n'a que 30 ans) et le futur qui se marient pour réaliser ce que l'on nomme encore, en baissant la voix, « Le Batman Définitif ». Peu importe que ce soit vrai au ou non (si vous avez bien suivi l'intro, ça ne l'est pas), le simple fait qu'on puisse le penser en dit long sur l'importance de dix épisodes dont l'impact se retrouvera par la suite partout, tout le temps, quel que soit l'époque où le format. D'une manière ou d'une autre, quiconque souhaite adapter Batman se doit de faire étape ici, dans ce shaker de violence hardboiled et de glamour ironique, avec un héros plus romantique qu'il en a l'air, une police de Gotham moins compétente que jamais, le seul et unique Rupert Thorne, Silver fuckin' St. Cloud et un Joker qui, lui, mérite bien le terme de « définitif » – le personnage tel qu'on le connaît aujourd'hui, meurtrier psychopathe et énigme ambulante, imprévisible et insaisissable, est né ici, sous la plume d'Englehart, et ne changera plus jamais par la suite.
There Is No Hope in Crime Alley! (Detective Comics #457, 1976 | Scénario : Dennis O'Neil ; Dessins : Dick Giordano)
Je suis sûr que quelqu'un quelque part sur le Net a déjà dû s'amuser à recenser le nombre d'épisodes rejouant la scène du meurtre des parents Wayne. Je ne saurais dire combien de fois je l'ai lue, mais je sais en revanche qu'à la longue, j'en suis venu à ne plus pouvoir la supporter et à détester la tendance (très marquée depuis, disons : le milieu des années 90) à toujours et inlassablement revenir aux origines du personnages, comme si c'était la seule chose qui importât réellement chez lui. Cet épisode est dans le fond le seul qui m'ait véritablement marqué dans ce registre, peut-être parce qu'il se focalise réellement sur le traumatisme du héros et ne cherche ni le sensationnalisme ni l'action gratuite. There Is No Hope... est une histoire simplement triste, qui introduit pour la première fois Leslie Thompkins et qui ne poursuit d'autre but que de faire mentir son titre à la dernière case. C'est une histoire de Dennis O'Neil, l'un des auteurs les plus importants et prolifiques parmi les innombrables à s'être penchés sur le cas du Chevalier Noir (durant presque toute les années 70 en y revenant très régulièrement jusqu'à l'orée des années 2010). O'Neil a offert la quintessence de tellement d'éléments du Batverse qu'il mériterait un article à lui seul, lequel ne lui rendrait finalement que très partiellement hommage puisqu'il s'est illustré sur quasiment tous les titres DC avant de tout simplement en devenir l'un des pontes. C'était comme ça, les seventies : il n'y avait pas cinquante séries Batman et soixante-douze types écrivant simultanément des histoires redondantes sur les mêmes personnages. Ceux qui ont géré le titre à l'époque ne sont que quatre ou cinq et ils ne l'ont pas fait à moitié – la preuve avec une histoire courte, efficace et finalement fondamentale.
The Legend of Batman: Who Is He and How He Came to Be (Detective Comics #33, 1939 ; Batman #1, 1940 | Scénario : Bill Finger ; Dessins : Bob Kane)
Deux pages. Telle est la taille de l'origin-story la plus connue de toute l'histoire des comics, voire de l'histoire de la bande-dessinée (bon, avec celle de Spidey, quand même). Du simple, de l'efficace. Une sortie au cinéma, un braquage qui tourne mal, et un enfant traumatisé qui jure de passer le reste de sa vie à traquer les criminels. Aucun voyage en Orient et aucun entraînement semi-ninja n'est alors au programme, tout au plus de la muscu et des études de chimie (si si), mais tout y est déjà. À l'époque, Kane et Finger n'imaginent vraisemblablement pas du tout ce qu'ils sont en train de faire. The Legend of Batman n'est qu'un insert introduisant une autre histoire (The Batman Wars Against the Dirigible of Doom), plus longue et plus ou moins oubliée aujourd'hui. Il s'agit avant tout de répondre aux questions que se posent les lecteurs face au succès grandissant du personnage (dont il s'agit, seulement ou déjà, de la septième apparition), qui n'est pas encore devenu la tête de gondole de Detective Comics mais le sera dès le numéro suivant. Les auteurs vont donc à l'essentiel – ils augmenteront et remanieront leur récit un an plus tard au moment de l'édition du premier magazine Batman, ouvrage séminal (OUI!) s'il en est puisque les quatre autres épisodes (pour leur part inédits) marquent entre autres les deux premières apparitions du Joker et de La Chatte (future Catwoman). Feuilleter ces histoires complémentaires permet de mesurer à quel point tout ou presque a changé dans le Batverse depuis cette époque, ne rendant que plus impressionnante cette introduction. Quand la quasi totalité des héros de DC ont vu leurs origines réinventées durant les suivantes, celles de Batman n'ont pas varié d'un iota, bien qu'elles aient été rappelées, reprises ou rejouées jusqu'à plus soif. « Légende », ils ne croyaient pas si bien dire...
Anodyne (Catwoman #1-4, 2002 | Scénario : Ed Brubaker ; Dessins : Darwyn Cooke & Matt Hollingsworth)
Le grand Ed Brubaker pourrait à lui seul résumer la fameuse "logique interne" de cet article. Il a en effet la particularité d'avoir peu écrit sur Batman, et énormément sur le Batverse. Avec Gotham Central, il signa au début des années 2000 la (les) meilleure(s) histoire(s) consacrée(s) à la ville de Gotham elle-même, ou quand la toile de fond devient toile de maître. Ce n'est pourtant pas cette formidable série ni même son Man Who Laughs (remake sublime de la première apparition du Joker) qu'il convenait de retenir pour cette sélection. Car s'il est un personnage que Brubaker a su transcender, c'est assurément Catwoman, apparue pour la première fois dans le paragraphe ci-dessus. Quand de nombreux personnages du Batverse se figèrent plus ou moins vite dans une version proverbialement "définitive", Selina Kyle, elle, fut de tout temps un personnage changeant et versatile, tant au niveau de son apparence que de sa personnalité et de ses allégeances. Brubaker s'y consacrera durant trois ans et à défaut de la réinventer, il la caractérisera mieux qu'aucun autre avant ou après lui. Si le zénith de la série survient un plus tard, lors de sa confrontation traumatisante avec ce connard de Black Mask, il faut vraiment reprendre les choses au début pour apprécier le travail de Brubaker et de Darwyn Cooke (cantonné une fois n'est pas coutume au poste de dessinateur, nous en reparlerons plus bas), qui tentent de se rapprocher du personnage des sixties, distinguée, brillante, subtile, caustique et bien plus cool que badass. Enfin, une Catwoman était un plus qu'une méchante (très) sexy ou un love-interest de Bruce Wayne (qui n'apparaît d'ailleurs quasiment jamais dans ce run). Très populaire à l'époque, la série durera bien après le départ des artistes d'origine et finira par péricliter dans l'indifférence générale, mais son impact demeure et Selina Kyle n'a que très peu changé depuis – et n'est définitivement plus une vilaine.
Batman : Ego (OGN, 2000 | Scénario & Dessins : Darwyn Cooke)
Les meilleures Bat-Stories du début des années 2000, comme le suggérait l'insert précédent, mettent très rarement en scène Batman. Cette période heureusement brève, qui se situe en gros entre le titanesque arc No Man's Land et le début du long run de Grant Morrison, constitue un moment charnière où les pointures des nineties (Alan Grant, Chuck Dixon) passent une à une la main à une nouvelle génération manquant pas mal d'idées et beaucoup d'ambitions. L’œuvre la plus célèbre de cette époque, qui fut également l'un des plus gros succès commerciaux de l'histoire de DC, en est particulièrement symptomatique : il s'agit du run surcoté de Jeph Loeb et Jim Lee (Hush), en apparence original et futé mais dans le fond profondément superficielle, à l'image de dessins prébupères présentant Batman comme un bodybuilder et ajoutant trois bonnets à toutes les meufs de Gotham. Il y a réelleement très peu de choses à sauver dans cette période de cinq-six ans où le personnage semble tourner en rond et où plus personne ne semble avoir quoi que ce soit à dire à son sujet. Mais au milieu de tout cela et pour sauver l'honneur, il y a Ego, de Darwyn Cooke. Une œuvre étrange, métaphysique, très difficile à résumer mais absolument passionnante à parcourir en plus d'être très agréable à regarder pour tous les amateurs de la série télé des nineties (dont Cooke fut l'un des animateurs). Pour un grand détective, Batman a été impliqué dans bien peu de thrillers psychologiques – dans Ego, comme son nom l'indique, son adversaire n'est autre que lui-même, et Cooke prend un malin plaisir à illustrer l'idée selon laquelle DC traite trop souvent Batman et Bruce Wayne comme des entités séparées. Cela apparaîtra comme une lapalissade pour tous ceux qui connaissent cette œuvre mais jamais (si ce n'est peut-être, dans le prochain paragraphe) Bruce Wayne n'aura été à ce point poussé dans les retranchements des tréfonds des limbes de sa âme profondément malade. Et c'est ici que je dois tout de même vous prévenir que de tous les titres de cette sélection, c'est sans doute celui que vous aurez le plus de mal à trouver si vous ne lisez pas l'anglais, qui vous coûtera vraisemblablement le plus cher, pour une grosse cinquantaine de pages de bonheur. Mais ça vaut le détour.
The Black Glove/Batman R.I.P. (Batman #667-681, 2007-08 | Scénario : Grant Morrison ; Dessins : J.H. Williams III & Tony S. Daniels)
S'il est souvent cité à juste titre comme l'une des périodes les plus grandioses de l'histoire du Chevalier Noir, le long run de Grand Morrison à la fin des années 2000 (trois ans et à peu près 272 séries) est loin d'être le plus accessible au néophyte et ne constitue en rien la porte d'entrée idéale au personnage. Très riche et touffu, ultra-référencé, ultra-méta et presque trop "écrit" par moment, le lecteur en perdra parfois facilement le fil. Celles et ceux qui s'y sont intéressés connaissent déjà les prémices de ces arcs mythiques : pour Morrison, pas de dimensions parallèles ni de reboots, la totalité des aventures de Batman peuvent être concentrées dans une chronologie d'une petite quinzaine d'années. Son Bruce Wayne à lui est donc encore dans la fleur de l'âge, mais usé physiquement et ravagé psychologiquement par une succession de combats ininterrompus et d'alliances d'un soir ou deux avec des gens finissant toujours par mourir et/ou se retourner contre lui. Si l'on considère souvent que Batman R.I.P. est une histoire à part entière, celle-ci est absolument incompréhensible sans lire d'abord The Black Glove, l'une des aventures les plus aumaxdutrop du Dynamic Duo, dans laquelle Batman et Robin retrouvent le Club des Héros, éphémères accolytes apparus une seule fois dans les fifties (dans The Batmen of All Nations, d'Edmond Hamilton). Ridicules et anecdotiques à la base, ces personnages ont vieilli, sont devenus tristes, aigris, et renvoient à Batman le miroir de ses propres échecs et de sa propre incapacité à travailler en équipe. Les thèmes principaux de Batman R.I.P., qui confronte le héros à « un destin pire que la mort » (pour reprendre les mots de l'auteur), sont posés. Le résultat est aussi violent que complètement barré, prend le contrepied total des histoires très réalistes dans lesquelles le Chevalier Noir est souvent impliqué, et peut aisément déplaire dans sa manière de partir dans les sous-sens et de multiplier les twists toutes les trois pages. Fasciné par la « mauvaise » période de la publication (en gros, les années 60 et surtout 50, dans lesquelles Batman et Robin s'embarquaient dans des aventures SF souvent totalement nawak), Morrison en livre la jumelle maléfique, toute aussi psychédélique mais profondément névrosée. C'est presque un exercice de style, mais quelle brillance !
Batman Impossible (Batman & Robin Annual #1, 2013 | Scénario : Peter J. Tomasi ; Dessins : Ardian Syaf & Vincent Cifuentes)
C'est presque anecdotique en regard de sa profondeur, mais Batman R.I.P. installe aussi définitivement dans le rôle de Robin l'un des personnages les plus clivants du Batverse : Damian Wayne, fils (caché) de Bruce et de Talia al Ghul, écrasé par le double héritage de la Bat-Family et de la Ligue des Assassins. Irritant souvent, occasionnellement drôle et plus rarement touchant, il donne encore l'impression, près de quinze ans après sa première apparition, d'être un nouveau personnage ne demandant qu'à être approfondi. Sa propre série (Robin, Son of Batman) fut ainsi l'une des plus mauvaises de toute l'ère New 52 et l'on ne peut s'empêcher de nourrir une certaine appréhension à chaque fois que se présente l'occasion de le voir porter une histoire sans qu'il soit associé à son père ou à Dick Grayson. Parmi tous ceux s'étant attelés à le faire vivre depuis Grant Morrison, Peter Tomasi fut sans nul doute l'un des plus inspirés. Son run sur Batman & Robin a la réputation, exagérée mais pas totalement infondée, d'être l'une des meilleures séries Batman de l'époque récente. Sa seconde partie la disqualifie, ployant sous le parisitage permanent de non pas une, mais deux continuités (celle du run de Scott Snyder et celle du Batman, Incorporated de Morrison), mais elle contient en revanche et en effet quelques superbes fulgurances. A l'image de cette histoire courte et particulièrement émouvante dans laquelle Damian, plus facétieux que jamais mais tellement moins relou qu'ailleurs, entraîne son père dans un jeu de pistes l'amenant à découvrir des secrets de famille les trémolos dans le masque.
Dark Knight, Dark City (Batman #452-54 / Detective Comics #629-633, 1990-91 | Scénario : Peter Milligan ; Dessins : Kierion Dwyer sur Batman, Jim Aparo puis Tom Mandrake sur DC)
À l'échelle de quatre-vingt ans de Batverse, le passage du singulier Peter Milligan sur ses principaux titres équivaut approximativement à vingt minutes. Un double-épisode de Batman ; un run de cinq petits numéros sur Detective Comics, avant que le futur auteur d'Enigma ne se lasse et décide de se consacrer à des projets plus personnels. Autant dire que dans le genre travail oublié, celui de Milligan se pose sacrément, d'autant qu'il s'agit dans les deux cas de faire le tampon entre des runs beaucoup plus populaires (notamment de ceux Wolvman et Grant). Paradoxalement et avec le recul, Milligan a certainement signé, en ce temps ultra-rammassé, le meilleur du Batman des années 90. Des histoires sombres, mystérieuses, teintées de fantastique et profondément engagées, à l'image de The Hungry Grass ou And the Executioners Wore Stiletto Heels, dans lesquelles le héros s'interroge constamment sur le cycle de la violence et la damnation de Gotham City – personnage central si ce n'est principal de la plupart des ces épisodes. Entendons-nous bien : ranger tout cela sous la même appellation relève en partie de la vue de l'esprit. Ces histoires ont toute été composées comme des one-shots totalement lisibles individuellement et n'ont été compilées ensemble que très tardivement, après que l'aventure éponyme a servi de matrice au run de Grant Morrison (qui reprend l'énigme du démon Barbathos). Mais au moment de se lancer dans Identity Crisis, ultime et meilleur volet du Batman de Milligan, on observe une telle résonnance avec les précédents, une telle harmonie dans les thèmes et une logique narrative si implicite que l'on peut et doit considérer qu'il vient conclure un ensemble – et quel ensemble ! Chaque fois en une poignée de pages, le scénariste, associé sur Detective Comics à l'immense Jim Aparo, réussit à créer une atmosphère ambigüe, une intrigue dynamique et hyper-solide, et une problématique à double-lame.
The Eye of the Beholder (Batman Annual #14, 1990 | Scénario : Andrew Helfer ; Dessins : Chris Sprouse & Steve Mitchell)
Andrew Helfer n'a pas eu de bol. En toute logique, il aurait dû marquer à jamais l'histoire des comics, pour avoir réussi la prouesse de faire tenir en un seul annual la première véritable origin-story d'un des plus mythiques antagonistes de Batman : Harvey Dent, aka Double-Face. Tout y est, de A à Z. La double personnalité. Le père abusif. La pièce. L'épouse dévastée. La brillante carrière. L'agression. L'amitié profond et, dans le fond, indéfectible le liant à Batman et Gordon. Reprenant le Double-Face moderne réinventé par Dennis O'Neil au début des années soixante-dix (dans l'épisode Half an Evil, qui marquait son retour plus de vingt ans après sa dernière apparition), Helfer en fait l'antihéros le plus tragique de toute l'histoire de Gotham City et signe une histoire brillante, originale, emplie de références subtiles à ses illustres prédécesseurs et transcendée par les desssins de Chris Sprouse. Presque trente ans après, tout le monde connaît l'histoire imaginée par Helfer, qui reste la matière fondatrice de Dent tel qu'on le met en scène aujourd'hui. Sauf que seuls les fans (et encore, pas tous) savent que c'est l'histoire de Helfer. La faute à Batman : The Animated Series, d'abord, qui l'a adaptée en en faisant un épisode tellement culte qu'il a fini par reléguer le matériau original dans l'ombre. La faute à Jeph Loeb et Tim Sale, surtout, qui en reprenant l'intrigue de Eye of the Beholder dans sa quasi totalité, avec à peine une ou deux petites variations scénaristiques (mais une sacrée virtuosité dans la mise en scène), ont fait de leur Long Halloween une histoire d'une popularité sidérante, que vous pourriez qualifier de meilleure histoire de Batman de tous les temps sans que quiconque ne trouve à y redire. Il est temps de remettre l'église au milieu du village, car The Eye of the Beholder est un des plus grandes sommets de l'histoire de DC.
Robin, the Boy Wonder (Detective Comics #38, 1940 | Scénario : Bill Finger ; Dessins : Bob Kane)
Je n'aime pas l'admettre lorsque je ne suis pas sous l'influence de l'alcool, mais le Batman de l'Âge d'Or est extrêmement inégal, y compris par rapport aux standards de son époque. S'il peut m'arriver d'être bluffé par la modernité de telle ou telle vieille histoire de Superman ou Wonder Woman, leur contemporain se feuillette un peu trop souvent à mon goût pour l'histoire. Ce qui est pour le moins paradoxal sachant que l'univers de Batman, arrivé à la fin des années quarante, paraît déjà bien plus établi que ceux de tous ses concurrents – au sens où la plupart des personnages et des concepts inhérents à cet univers ont déjà été introduits. Cet épisode est en cela intéressant car il ne se contente pas d'introduire un héros iconique : c'est également une excellente lecture, originale et bien rythmée, dans laquelle tout le discours méta entourant le Dynamic Duo est déjà présent en filigranes. Si certains trucs de l'époque donnent parfois le sentiment de s'être inscrits dans le temps sans trop qu'on sache pourquoi, on comprend instantanément le succès de Robin et la raison pour laquelle il reviendra dès l'épisode suivant (et le suivant, et celui encore après). Batman est assurément Batman, personne n'est comme lui et dans le fond, personne ne veut l'être. Robin, c'est nous, lecteurs émerveillés, parfois imprudents mais jamais totalement inquiets, qui accompagnons le plus grand des justiciers dans ses aventures.
Year Three/A Lonely Place of Dying (Batman #436-42 ; New Titans #60-61, 1989-90 | Scénario : Marv Wolfman & George Pérez ; Dessins : Pat Broderick, George Pérez & Jim Aparo)
Jason Todd est mort. Vous le savez, je le sais, tout le monde le sait et tout le monde s'en branle. Dans le public, s'entend. Il n'a certes pas voté pour qu'il meure, comme on le raconte souvent à tort, mais il n'a en tout cas pas voté qu'il survive. La suite, si vous vous êtes déjà vaguement intéressés à Batman, vous la connaissez, ne serait-ce que visuellement. C'est à peu près tout ce qu'il y a en savoir car si contrairement aux idées reçues, Jason n'était pas un personnage intintéressant, il reste associé et de loin à la pire période de Batman et au run pénible, vulgaire et limite fascisant de Jim Starlin (pourtant auteur de plein de trucs cools par ailleurs... chez Marvel). Fréquemment cité dans les incontournables du Batverse, A Death in the Family n'a en réalité aucun intérêt en soi – ce sont ses conséquences, admirablement mises en scène par le légendaire duo Wolfman/Pérez, qui donnent un tant soit peu de sens à ce qui n'en avait que très peu sur le coup. Batman Needs a Robin, répètent-ils tels un mantra que je ferais assurément mien. Pas tout le temps ni en toutes circonstances mais, oui : Batman a besoin d'un Robin, évidemment accrobate puisqu'il n'est après tout qu'un filet de sécurité vivant. Si j'ai souvent pu écrire que Tim Drake était le Robin que j'aimais le moins, cela vient surtout de ce qu'il fut un dommage collatéral de la politique éditoriale de DC à partir des années quatre-vingt-dix, consistant à enchaîner les events englobant tout le Batverse et faisant indirectement de lui un simple personnage secondaire. En résulte que ses seules aventures mémorables sont ses débuts pétaradants et assez singuliers en regard de ceux des autres Robin, puisque Tim ne se destine pas prioritairement à revêtir le costume : son ambition, à la base, est de convaincre Dick Grayson de redevenir le sidekick de sa jeunesse. Sa transformation en Robin, qui culminera par la suite dans les séries dédiées que lui consacrera Chuck Dixon, est donc lente, progressive, subtile voire incertaine, et s'illustre en parallèle du deuil douloureux que tente de réaliser Bruce. Car si A Death in the Family n'a d'intérêt que pour la mort de Jason, ce double arc-ci va bien plus loin que la simple introduction de Tim. Ce qui explique peut-être la molesse de sa postérité : même lorsqu'il était le sujet, il n'était jamais autre chose qu'un faire-valoir. Ce qui est tout de même tristement ironique pour un personnage ayant plus qu'aucun autre théorisé ce qu'était Robin pour Batman.
Under the Hood (Batman #635-641 ; 645-650 / Batman Annual #12, 2005-06 | Scénario : Judd Winnick ; Dessins : Doug Mahnke, puis Shane Davis & Eric Battle)
Il aura fallu que je le relise plus de dix ans après pour réellement apprécier un arc que j'avais toujours trouvé franchement surestimé. Il est vrai qu'à l'époque j'ignorais qui était Red Hood et que la déception fut à la hauteur de l'attente. Sans doute le récit lui-même, qui ne lésine pas sur l'étalage et les cliffhangers, invite-t-il à la méprise et se repose-t-il trop sur l'identité du mystérieux justicier expéditif qui apparaît un beau soir à Gotham. On ne peut que l'en excuser s'agissant d'une intrigue conçue pour s'étaler sur plus d'une année de parution. Une fois ce présupposé intégré et l'identité de Red Hood connue de tous (c'est Jason Todd, revenu défier son ancien mentor plus que véritablement se venger), force est de constater que le personnage n'est pas réellement au cœur du propos – plus et mieux sera fait plus tard en ce qui concerne la rédemption de Jason. Ici, il sert avant tout d'élément narratif permettant de confronter Batman à ce qui demeure son pire échec, ainsi qu'aux limites de ses méthodes, puisqu'aux yeux de ce nouveau frenemy, Batman ne se salit pas assez les mains, ne va jusqu'au bout des choses – bref : ne tue pas, contradiction profonde du personnage tant le meurtre nécessaire devrait être la suite logique de son action. Red Hood n'est pas le premier à le placer face à cette contradiction, mais on lui reconnaîtra de savoir de quoi il parle. Parce que le Joker est toujours en vie lorsqu'il revient des années après. Et parce qu'il sait, lui, ce que presque tous les lecteurs de Batman font semblant d'ignorer : que le vertueux Bruce Wayne emmène des enfants se faire matraquer sur le champ de bataille, le plus souvent sans l'assumer ni en affronter les conséquences.
The Vigilante Business/Robin War/Jokers (We Are... Robin #1-12 / Robin War #1-2 / Grayson #15 / Detective Comics #47 / Robin : Son of Batman #7, 2015-16 | Scénario : Lee Bermejo (pour les séries principales), avec Tom King, Tim Seeley, Ray Fawkes et Patrick Gleason ; Dessins : ob Haynes & Khary Randolph)
N'y allons pas quatre chemins : We Are... Robin est l'une des toutes meilleures séries DC des dernières années, et Robin War l'un des meilleurs events. Alors oui, en vrai et à l'instar de beaucoup des meilleurs séries DC des dernières années (Green Lanterns, les anciens-nouveaux Titans), c'est quasiment du Marvel. Oui encore, la tentative de séduire un public plus jeune est évidente. Mais après tout, c'était la base du personnage de Robin. Or, ça tombe bien : la base du personnage de Robin est au cœur de ces histoires, notamment la première. Le pitch ? Alors que Batman est supposé mort (au terme du crossover Endgame) et que la police Gotham a décidé de mettre en place son propre Batman sur-militarisé (cf. l'arc Superheavy), les jeunes de la ville, emmenés par Duke Thomas, s'organisent via les réseaux sociaux et décident d'entrer en dissidance en devenant tous « des » Robin. L'idée, vaguement repiquée sur V for Vendetta et teintée d'un zest de Kick-Ass, est terriblement efficace et permet d'introduire une foultitude de nouveaux personnages particulièrement attachants dont les aventures, très orientées action et pleines de moments puissants, ont un petit côté retour aux sources à une époque où la série Batman ressemble de plus en plus à un énorme blockbuster. Lorsque l'un d'eux provoque accidentellement la mort d'un flic, la mignonne aventure dégénère en guerre des autorités contre le symbole et même la couleur rouge, ce qui finit par rameuter les « vrais » Robin pour une seconde partie particulièrement jouissive tant leurs personnalités sont différentes, leurs relations compliquées et leurs sentiment mitigés vis-à-vis de ces gamins inexpérimentés se réclamant d'eux. Accessoirement, l'évènement enterrinera la fin du voyage de rédemption de Damian et le retour de Dick sous le masque de Nightwing, qu'il avait quitté depuis quelques années. Mais ce sont surtout les mioches, Duke, Riko, Dax et les autres qui se taillent la part du lion dans ce crossover unique en son genre qui ramène le fameux symbole du « R » à sa substantifique moëlle. Bien décidé à ne pas s'arrêter en si bon chemin, Lee Bermejo continuera l'aventure le temps d'un dernier arc (légèrement moins bon) où les Robinz seront bien évidemment confrontés à des Jokerz, amorçant une réflexion à la fois fun et troublante sur la transmission du Mal. Depuis le DC Rebirth, ces personnages refont surface de temps à autres sans avoir de titre attribué, mais nul doute qu'ils reviendront au premier plan un de ces quatre.
Child of Justice (Nightwing #1-3 | Scénario : Chuck Dixon ; Dessins : Scott McDaniel, 1996)
Comment ne pas conclure cette mini-série dans la série avec le premier, le plus beau, le plus fort et le plus cool des Robin, Dick Grayson lui-même. Beaucoup de choses sont étonnantes à son sujet, à commencer par le fait qu'il ait dû attendre cinquante-cinq ans pour avoir droit à sa propre série, quand des personnages infiniment plus anecdotiques eurent cet honneur au bout d'approximativement cinq minutes. Il est vrai que depuis le milieu des années soixante-dix, c'est surtout dans les différents titres Teen Titans que celui-ci s'illustre, au point que ce soit là et non dans Batman qu'ait eu lieu sa métamorphose en Nightwing. Sans doute pour compenser, lorsqu'il décroche enfin la timballe, ça tape très fort, très haut et très vite – durant la décennie suivant, Nightwing sera fréquemment le meilleur titre du Batverse. Difficile d'ailleurs de se décider entre la mini-série inaugurale de Dennis O'Neil, l'excellent run de Peter J. Tomasi préparant secrètement le moment où Dick va devenir Batman, ou les plus de soixante-dix numéros composés par Chuck Dixon. C'est évidemment et logiquement vers ce dernier que penche la balance, tant le spécialiste des histoires de sidekicks lui consacra de temps, dans sa propre série comme dans de nombreux one-shots (dont un Year One pour chacune de ses identités superhéroïques), sans oublier ses innombrables featurings chez les Birds of Prey. Aujourd'hui encore, l'un va difficilement sans l'autre. De nombreux auteurs, souvent talentueux, ont su capter les sentiments ambigus nourris par Dick à l'égard de son mentor, ce qui l'en rapproche régulièrement comme ce qui l'en a séparé des années plus tôt de manière irrémédiable. Dixon, lui, est parvenu à en faire un personnage à part entière, ne se définissant plus jamais en creux par rapport à Bruce Wayne ou à ses successeurs sous le masque de Robin.
Robin Dies at Dawn (Batman #156, 1963 | Scénario : Bill Finger ; Dessins : Sheldon Moldoff)
C'est probablement l'histoire la plus connue de la « mauvaise période » de Batman, et l'on comprend très vite la raison de cette notoriété. Elle est très représentative de son époque et propose dans le même temps une histoire assez puissante, à tout le moins tant qu'on n'en connaît pas la chute. Si vous n'avez jamais lu d'épisode de cette ère, il vous faudra toutefois une certaine préparation psychologique et une bonne dose de contextualisation pour en venir à bout. On raconte souvent que c'est à cause du Comic Code que Batman, comme toutes les séries de l'Âge d'Or n'ayant pas eu la chance de s'arrêter, a lentement dérivé vers quelque chose de radicalement différent de son ADN habituel. C'est vrai et faux à la fois : si Batman a enchaîné les histoires SF tordues à partir de la fin des années cinquante, c'est aussi en grande partie parce que c'était tout simplement la mode. Des auteurs comme Ray Bradbury sont alors au faître de leur popularité auprès de la jeunesse et, en toute logique, c'est dans leur direction que regardent les auteurs de comics. Robin Dies at Dawn est un exemple d'autant plus flagrant que c'est une histoire de Bill Finger, scénariste originel de la série, qui n'a personnellement que peu surfé sur la vague et ne le fit pas n'importe comment, comme en témoigne cet épisode qui, débarrassé des oripeaux et des stigmates, est avant tout un énième hommage à la relation ambiguë mais profonde qui unit le Dynamic Duo.
The Court of Owls/The City of Owls (Batman #1-12, 2011-12 | Scénario : Scott Snyder ; Dessins : Greg Capullo)
Scott Snyder l'avoue avec un zest de fausse modestie : tout le monde n'a pas la chance (il n'ose pas dire le talent, ce grand timide) d'inventer quelque chose d'inédit et de durable dans un univers aussi ancien et codifié que celui de Batman. Son run est une terre de constrastes à laquelle on pourra reprocher bien des choses, mais pas de manquer d'originalité ni d'ambition. Snyder se perdra, bien sûr, comme tous les scénaristes passant trop de temps (plus de cinq ans !) sur un même titre. Trop d'action, trop d'idées, trop de personnages. Si l'idée derrière l'ère New 52 était de nettoyer les mythologies afin de rendre les titres DC plus accessibles aux novices, le Batman de Snyder et Capullo , à l'exact opposé de la Wonder Woman d'Azzarello et Chiang, fut un ratage total. Mais c'est justement pour cela qu'il est si bon. Parce que la mythologie qui écrase la ville est le principal sujet de ce run, tout particulièrement de ses incroyables débuts. Snyder n'a pas eu que de bonnes idées en cinq ans, et son manque de modestie l'a parfois amené à se fourvoyer, mais il restera dans tous les cas mémorable pour deux choses : avoir fait porter le costume mythique à un Gordon plus que jamais trop vieux pour ces conneries, et avoir créé la Cour des Hiboux, inquiétante société secrète qui depuis des siècles réuni la Haute société de Gotham et qui, peut-être, est responsable de toutes les exactions qui y sont commises. Métaphore à peine déguisée des gardiens du temple bloquant par principe toute évolution sur le titre, la Cour deviendra vite la ligne directrice d'un run où Gotham est plus que jamais un personnage à part entière, mégalopole moderne et froide conservant en ses tréfonds des centaines d'années d'histoire et de mystères. « Ils essaient d'utiliser les légendes de Gotham contre moi, mais je suis la seule légende de Gotham. »
The Last Arkham (Shadow of the Bat #1-4, 1992 | Scénario : Alan Grant ; Dessins : Norm Breyfogle)
En commençant cette liste, il était clair que je n'évoquerais qu'un seul titre par auteur, exceptions faites des quatre cités plus haut. Alan Grant est cependant un cas à part qui aurait sans doute mérité autre chose qu'une simple citation. À l'instar de Chuck Dixon à la même époque, mais dans une moindre mesure (il fut moins prolifique sur le titre), Grant s'est énormément exprimé dans la périphérie du Batverse, voire du DC-verse dans son ensemble puisque ses œuvres les plus notables sont consacrées à des personnages comme Lobo ou Jason Blood. Lorsqu'on lui propose de prendre en main une nouvelle série Batman, il est aussi honoré qu'emmerdé, puisqu'il y en a déjà trois en cours, chacune ayant des frontières à peu près définies, et qu'il ne voit pas bien ce qu'il pourrait dire de plus sur Batman. Dont acte : Grant décidera de faire comme d'hab' et de s'intéresser aux autres, les personnages d'arrière-plan, voire carrément les lieux mythiques de Gotham ainsi que leur histoire. Bien sûr, The Last Arkham est une aventure très glauque dans laquelle Batman affronte pour la première fois l'un de ses ennemis les plus terrifiants, le serial-killer Mr. Zsasz. Mais c'est surtout une vertigineuse plongée dans l'histoire de l'asile d'Arkham lui-même et dans les méandres de la psyché effrayante de son sadique administrateur, Jeremiah Arkham. Souvent dans l'ombre de l'excellent Arkham Asylum (de Grant Morrison et Dave McKean, en 89), c'est cependant bien The Last Arkham qui est LE récit fondateur de tout ce pan de la mythologie de Gotham, devenu si essentiel à cet univers qu'il deviendra le titre de l'une des séries de jeux vidéos les plus populaires de notre époque.
Where were you the Night Batman was Killed? (Batman #291-94, 1977 | Scénario : Julius Schwarz & David Vern Reed ; Dessins : John Calnan)
Si les années soixante-dix sont peut-être la meilleure période de Batman, ce n'est pas uniquement en raison de la rédifinition de ce que doit être le personnage ou des pointures et futures pointures qui se succèdent sur les différents titres. C'est aussi parce qu'elles établissent des concepts qui, s'ils existaient souvent depuis des années à l'état embryonnaire, n'avaient jamais été rendus aussi explicites et deviendraient par la suite consubstantiels de ce que doit être une bonne histoire de Batman pour n'importe quel auteur s'y attaquant. C'est ainsi à cette époque que les pontes de chez DC semblent prendre conscience que les adversaires hauts en couleur du Chevalier Noir sont un argument de vente tout aussi efficace (voire encore plus percutant) que le Chevalier Noir lui-même, ce qui peut paraître étonnant pour une série déjà vieille de trente années. Ce n'est pourtant pas un hasard si l'époque regorge de nouveaux méchants ni si le Joker y connaît la consécration avec sa première série rien qu'à lui. Délice d'humour noir comme Batman n'en offre plus vraiment de nos jours, ce mini-arc s'inscrit parfaitement dans la tendance en racontant un bien étrange procès au cours duquel le mafieux Van Cleeve et le juge Ra's Al Ghul essaient de terminer qui, de Catwoman, du Riddler, de Lex Luthor ou du Joker doit être récompensé pour avoir réussi à tuer Batman. Les quatre épisodes sont un véritable défilé de super-vilains, de Double-Face à l'Épouvantail en passant par le Chapelier, Poison Ivy, Killer Moth, Mister Freeze, Signalman et on en passe. La chute est éminemment prévisible, d'autant que l'histoire en a inspiré de nombreuses autres en comics ou en cartoon. Mais c'est un vrai régal.
The Joker Walks the Last Mile (Detective Comics #64, 1942 | Scénario : Bill Finger ; Dessins : Bob Kane)
J'ai longuement hésité dans le choix des histoires mettant en scène le Joker. Il n'en manque pas de mémorables, dans presque toutes les époques, et son évolution jusqu'à la créature presque mythologique qu'il est devenu depuis le DC Rebirth est tout à fait fascinante. Le Joker est en effet un personnage qui a été construit, déconstruit, reconstruit puis re-déconstruit par les auteurs les plus talentueux de l'industrie. À la différence d'autres personnages du Batverse, il était presque « parfait » dès sa première apparition – comprendre qu'on tenait presque, déjà, son incarnation contemporaine. Il était certes mû, à l'instar de tous les premiers ennemis de Batman, par la cupidité, mais il était déjà plus fort et plus fou, plus brillant et plus violent que tous les autres. C'est ce qui lui coûtera sa place : le Joker fut rayé de la carte durant cinq longues années vers la fin de l'Âge d'Argent des comics. Trop barré, trop violent, même dans la version très adoucie qui en était donné depuis le milieu des années 50. Il reviendra petit à petit et sera toujours plus cinglé, toujours plus sanguinaire et toujours plus impénétrable, ce qui donnera naissance à sa première série régulière, mineure mais tout à fait intéressante pour mesurer sa réinvention progressive. Si j'ai choisi cette histoire précise au détrimant de ses deux premières apparitions (The Joker et The Joker Returns, que je vous recommande néanmoins), c'est parce qu'on mesure peu à quel point son intrigue, qui nous paraît juste complètement aumaxdutrop aujourd'hui, était perturbante pour le public des années 40, et tout à fait symptomatique des chausses-trapes dans lesquelles le personnage enfermait tous ses auteurs. En gros, il y est exécuté, puis ressuscite avec un casier judiciaire vierge – la sentence a été purgée. N'importe quoi ? Peut-être. À vous de voir.
Penguin's Big Score/Catwoman's Killer Cape/ Joker's Late Night Lunacy (The Batman Adventures #1-3, 1992-93 | Scénario : Kelley Puckett ; Dessin : Rick Burchett)
On le sait peu en France, où elle ne fut traduite que de nombreuses années plus tard, mais Batman : The Animated Series était accompagnée lors de sa diffusion sur FOX Kids d'une série de comics de grande qualité qui, sous l'apparence anecdotique de tie-in se situant de l'univers du D.A., permit à des auteurs de tous horizons de se faire les dents sur un personnage qui leur aurait été inaccessible autrement. Certains épisodes seront de simples supports, d'autres seront de beaux inédits, d'autres encore des genres de "novélisation" des épisodes de la série... et quelques uns, comme Joker's Late Night Lunacy, feront oublier totalement leur inspiration pour avoir parfaitement usé de l'esthétique imposée. Dans cette histoire qui conclut le premier mini-arc de Batman Adventures, le Joker, égal à lui-même, décide de créer son propre late-show dans lequel se bouscule tout le gratin de Gotham City... pas franchement de son plein gré. Très en verve, les auteurs détournent admirablement l'aspect cartoon qu'ils se doivent d'utiliser pour proposer une histoire incroyablement crue et violente sous ses airs délirants et rigolote – ce qui est dans le fond la définition exacte du Joker. The Batman Adventures reste une série méconnue et souvent réduite à un produit dérivée, mais elle trouva sans peine son public à l'époque et Joker's Late Night Lunacy va vite vous faire comprendre pourquoi.
Friends (Batman Annual #3, 2014 | Scénario : James Tynion IV ; Dessins : Roge Antonio)
Le Golb a déjà chanté les louanges de James Tynion IV, un mec qui à à peine trente ans a déjà dépassé le statut de star montante de DC, rédigé le meilleur run de Detective Comics depuis au moins quinze ans, relancé Hellblazer, porté Red Hood & The Outlaws dans des sphères jamais atteintes, remis en scelle la souvent inégale Justice League Dark et même réalisé un crossover entre Batman et les Tortues Ninja sans être (totalement) ridicule. Friends est l'histoire qui, à défaut de m'avoir réellement fait découvrir le disciple numéro un de Scott Snyder (au sens littéral du terme : il était son étudiant à la fac), m'a fait le remarquer et me dire ce truc un peu con qui vous fait vous sentir plus esthète que vous ne l'êtes : « ce mec-là, va falloir le suivre de près ». Véritable must pour tous les fans du Joker, dont c'est une des toutes meilleures histoires jamais imaginées toutes époques confondues, Friends est un récit d'autant plus impressionnant que sa brièveté ne l'en rend que plus dense et haletant. Un sacré tour de force si l'on considère que Tynion s'y coltine un cahier des charges particulièrement salé : 1) c'est une histoire de Batman-sans-Batman (Batman et Robin n'y sont que des figurants), ce qui est quasiment un genre en soi ; 2) c'est une histoire du Joker... ce qui est aussi un genre en soi ; 3) c'est une histoire du Batverse centrée sur un personnage inventé pour l'occasion, ce qui n'est jamais sans risque ; 4) c'est un annual, avec en conséquence une pagination et une structure pour le moins limitées ; 5) c'est un tie-in de l'évènement Endgame qui a pour mission non-officielle de combler les vides narratifs de tout le run de Snyder en ce qui concerne les activités off-screen du Joker. Ajoutons, puisqu'il faut bien meubler et qu'il serait cruel de dévoiler l'intrigue d'un récit aussi compact, que les deux derniers point sonts pour le moins contradictoires, l'Annual devant être par définition lisible par n'importe qui ne suivant pas le titre régulier. Malgré ou peut-être à cause de cela, Tynion s'en sort à merveille et signe un épisode somptueusement glauque et creepy. Et drôle, évidemment – ce que beaucoup d'auteurs d'histoires du Joker ont tendance à oublier en route.
Joker (OGN, 2008 | Scénario : Brian Azzarello ; Dessins : Lee Bermejo)
Tenez : celle-ci par exemple, vous aurez du mal à la trouver la drôle (mais ici, ce n'est pas grave). La manière expéditive de présenter ce graphic novel est de dire qu'il est le pendant de Lex Luthor : Man of Steel et applique à l'arch-nemesis de Batman le même traitement qu'à celle de Superman. Ce serait cependant faire sacrément injure aux deux auteurs que de laisser entendre qu'ils y reprendraient une formule, aussi brillante fût-elle. Joker est en réalité un ouvrage très différent de Luthor – aussi différent que les deux personnages le sont. Si le premier se proposait en effet de pénétrer la psyché de Lex sur le mode Et si, en fait, il avait raison de voir Superman comme une menace ?, le résumé de Joker serait plutôt Et si, en fait, il avait r... nan, laisse tomber, ce mec est un monstre. Pour le dire plus joliment et plus précisément : la psyché du Joker est pour sa part impénétrable. Quand bien même serait-il possible de l'approcher que le personnage perdrait assurément tout de son pouvoir de fascination. Dès le début de leur projet, Azzarello et Bermejo se heurtent à ce problème et à son principal corolaire (personne n'a envie de savoir que le Joker est méchant parce qu'il a eu une enfance difficile ou que l'acide lui a grillé le cerveau), pour mieux décider de le mettre en abyme en racontant l'histoire d'un voyou lambda s'étant précisément beaucoup approché du personnage. C'est ultra-glauque, sans fioritures – sans issue. Dans le fond, le duo touche à l'essence de ce personnage : le Joker est un être sans morale, sans âme et sans surmoi, qui fait ce qu'il veut comme il veut au moment où il veut. Mais en appliquant à tout cela un parti-pris ultra-réaliste, ils en font ressortir la monstruosité asbolue. On sera libre de lui préférer Lex Luthor, qui avait pour lui de faire vaciller la mythologie de Superman dans ses fondements, quand Joker ne fait que conforter celle de Batman. Mais il est indéniable que ce graphic novel figure parmi les meilleurs publiés ces dernières années sur le Batverse.
Night Cries (OGN, 1992 | Scénario : Archie Goodwin ; Dessins : Scott Hampton)
Night Cries est un OVNI dans la vaste bibliographie de Batman. Œuvre tardive d'un scénariste culte et d'un artiste virtuose mais au style très clivant, il ne se rattache à aucune période (sans connaître sa date de parution on aurait d'ailleurs bien du mal à le situer tant il est intemporel) et ne s'inscrit dans aucune véritable continuité (tout au plus peut-on supposer à différents indices qu'il s'agit d'un Batman débutant), ne déserte quasiment jamais le terrain du polar et tape dans un registre outrageusement sombre et premier degré qui, sans trop qu'on parvienne à s'expliquer pourquoi, dégage une incontestable poésie. La violence y est réaliste, oppressante au possible, et le récit avare en personnages et en références – entièrement centré sur les enquêtes de Batman et Gordon, au point que, chose rarissime, même Alfred ne soit pas de la partie. On peut aisément détester ce livre qui réussit à donner le sentiment de partir dans tous les sens tout en offrant une vision pour le moins uni-dimensionnelle de ses héros, a fortiori si l'on est très fan de Batman et très pointilleux sur ce qu'il doit être ou non. Mais au-delà de ses qualités propres (c'est un excellent graphic-novel qui se lit d'une traite) et de sa volonté plus ou moins appuyée d'actualiser la période hardboiled du héros, Night Cries a le mérite d'appuyer sur l'un de ses aspects les plus séduisants du personnage : à la manière d'un Sherlock Holmes ou d'un Dracula, tout et n'importe quoi ont tellement été faits avec lui, parfois simultanément sur des séries différentes, qu'on peut l'aborder en toute liberté et vouloir en faire ce qu'on veut – en l'occurrence un justicier tentant de garder ses esprits dans un monde constellé d'horreur.
The Rupert Thorne Saga (Detective Comics #506-520 / Batman #339-356, 1981-83 | Scénario : Gerry Conway ; Dessins : Dick Giordano)
Probablement l'arc le plus long de cette sélection, même s'il est entrecoupé de fillers et que je vous ai fait un prix de gros, The Rupert Thorne Saga ne porte pas officiellement ce titre et mérite bien mieux que ce que l'on dit d'elle à l'époque – à savoir qu'elle était une grosse pompe, si ce n'est carrément un remake, de Strange Apparitions. Il est vrai que reprendre tant de concepts novateurs si peu de temps après peut encourager à la confusion, mais le traitement de Gerry Conway est pour le moins différent et cette longue saga a une importance cruciale à plus d'un titre. Structurellement, tout d'abord, puisqu'elle marque le moment où Batman et Detective Comics commencent à être traités comme deux titres différents et complémentaires, amenés à se répondre mutuellement et à avancer dans la même direction narrative. Mythologiquement parlant, aussi, puisqu'il s'agit de la dernière grande aventure du Dynamic Duo originel (Dick deviendra Nightwing quelques mois plus tard), et que l'ensemble propose la meilleure histoire de Poison Ivy, vilaine souvent mal comprise et/ou malmenée par les scénaristes. Enfin et surtout, si l'influence du run d'Englehart est évidemment prégnante, d'autant que Conway n'essaie même pas de se cacher et semble volontairement forcer la comparaison, l'approche est bien plus moderne, que ce soit dans les dialogues, le sous-texte (nettement plus appuyé et politique) ou la thématique de l'identité secrète de Batman. Dans les mois suivants, Conway continuera à creuser dans la mythologie en introduisant Killer Croc ou en orchestrant la passation de pouvoirs entre les deux Robin – nous sommes à un moment charnière de l'histoire de Gotham, et sur le coup, seul le scénariste mésestimé paraît en avoir pleinement conscience.
Oracle : Year One – Born of Hope
(Batman Chronicles #5, 1996 | Scénario : John Ostrander & Kim Yale ; Dessins : Karl Story)
Batgirl : Year One
(mini-série en 9 épisodes, 2003 | Scénario : Chuck Dixon ; Dessins Scott Beatty)
Si un Batman ne peut aller sans un ou deux Robin, Batgirl, elle, peut marcher seule (no pun intended). C'est ce qu'elle fait bien, voire ce qu'elle fait de mieux : s'émanciper. Et c'est plutôt pas mal, pour une nana qui lors de sa première apparition (The Million-dollar Debut of Batgirl, en 1967), s'est vue rétorquer par les héros en chefs qu'ils n'avaient pas de temps à perdre avec une fille. Ces deux origin-stories n'ont dans l'absolu rien à voir. Leurs approches et leur styles diffèrent radicalement, Oracle étant une histoire sombre et dure quand Batgirl est une merveille d'humour et de légèreté. Pourtant, en y regardant de plus près, elles ont leurs similitudes. Elles sont tout d'abord les œuvres d'artistes accomplis connaissant le Batverse sur le bout des doigts et ayant (très) longtemps tourné autour du personnage avant d'avoir l'autorisation de s'y atteler. On osera même dire que sans John Ostrander et Kim Yale, Babs aurait vraisemblablement disparue après sa fameuse agression par le Joker dans The Killing Joke. Ce sont eux qui, outrés de réaliser que DC n'entend plus rien faire du personnage, décident de la réinventer dans les pages de Suicide Squad sous les traits (longtemps mystérieux) d'Oracle, dont le succès lui permettra de réapparaître de plus en plus fréquemment dans différents titres. Il faudra toutefois attendre près d'une décennie pour qu'ils puissent enfin lui consacrer une histoire unique et poignante, comblant autant de vides narratifs qu'elle procure d'émotions. La meilleure preuve de la popularité d'Oracle ? Sa longévité, tout simplement. A l'exception de Robin/Nightwing, aucun autre personnage DC ne peut se targuer d'avoir eu deux identités superhéroïques différentes sur des périodes aussi longues. Et s'il faudra attendre 2011, soit près de vingt-cinq ans (!) pour que Barbara Gordon redevienne Batgirl, il est évident que c'est à la mini-série de Chuck Dixon qu'on le doit. L'auteur le plus prolifique de toute l'histoire du Batverse (après Bill Finger en personne), initiateur des premières séries Robin et Nightwing ainsi que des events les plus marquants de l'histoire de Gotham, ne pouvait pas se foirer... et réussit dans les grandes largeur en re-faisant d'un personnage devenu presque aussi torturé que son (ex-)mentor une héroïne lumineuse aux aventures spectaculaires (prenant au passage le parfait contre-pied de tout ce qu'il avait écrit sur le Batverse à ce jour). Bien sûr, il réactualise les origines du personnage en y injectant une touche subtile de féminisme. Mais Dixon la ramène surtout à une certaine réalité tacite concernant une héroïne dont les capacités athlétiques, par exemple, n'avaient jamais été explicitées dans les années soixante (on s'en foutait royalement en ce temps-là, le fait qu'elle soit une femme était en soi un évènement suffisant). Sous sa plume, Babs devient officiellement ce qu'elle est implicitement depuis toujours : une vraie justicière humaine, qui n'a pas subit un entraînement de taré et risque littéralement sa vie chaque soir, gratuitement, pour le bien d'autrui et non par vengeance ou parce qu'elle trouve que Batman porte vraiment bien la cape. Il était temps.
My Beginning... and My Probable End (Detective Comics #574, 1987 | Scénario : Mike W. Barr ; Dessins : Alan Davis & Paul Neary)
Le titre n'est pas une référence au début de run catastrophique de Mike Barr. Ou peut-être que si, mais ça n'est pas d'une grande importance. Cette histoire devenue un immense classique est depuis longtemps sortie de l'orbite de la série. Histoire d'être précis, elle fait le tampon entre le début du run de Barr (donc), dont elle n'est que le sixième épisode, et le début de l'arc Batman : Year Two, mais ne s'insère pas réellement dans la continuité. Si elle fait bien suite directe à un très mauvais épisode, il n'est pas utile de le savoir. Elle se suffit à elle-même, pour ne pas dire qu'elle est bien plus forte et troublante lorsque l'on ne connaît pas le contexte débile d'un mini-arc au cours duquel Batman affronte des ennemis plus ridicules que jamais et fait même alliance avec Sherlock Holmes (vous êtes prévenus). C'est précisément ici que le run de Barr trouve réellement son ton, pour ne pas dire qu'il introduit le Dark Age de la série, lequel culminera avec... la mort du même Jason Todd qui est ici grièvement blessé (et qui n'a donc vraiment pas de bol). Le début et la fin du titre ? Un revolver, celui qui abat les parents du Bruce Wayne et celui qui, un jour ou l'autre, mettra fin à la carrière de Batman. Le résultat de ce parallèle est un récit presque totalement introspectif et porté, surprise, par Leslie Thompkins, personnage encore relativement nouveau à cette époque (depuis sa première apparition évoquée plus haut, il n'y en a pas eu beaucoup d'autres). Il y a une certaine ironie à ce que l'idée de placer une figure féminine au centre de la Bat-Family vienne de l'auteur d'un des Batman les plus machos de tous les temps, mais c'est bien Barr qui en fait ce qu'elle sera par la suite pour l'éternité, à savoir un genre de double inversé d'Alfred Pennyworth, figure d'autorité elle aussi, maternelle assurément, mais désapprouvant profondément le chemin de la violence et se résignant à panser des plaies qu'elle estime indues. « Tais-toi ! Tu fais passer cela pour de l'héroïsme, mais tu le fais avant tout pour toi-même... tu es toujours ce petit garçon que j'ai ramené à la maison il y a 25 ans, prêt à déchaîner sa vengeance sur quiconque a eu la malchance de naître du mauvais côté de la barrière. » On dira que c'est un autre sytle que les vannes passives-agressives d'Alfred.
Dark Knight over Metropolis (Superman #44 / Adventures of Superman #466-467 / Action Comics #653-654, 1989-90 | Scénario : Jerry Ordway, Roger Stern & Dan Jurgens ; Dessins : Jerry Ordway, Dan Jurgens & Bob McLeod)
Tout ce que vous savez d'eux, de leur relation complexe, de leur amitié indéfectible – et puis encore tout le reste, prend sa source ici. Après avoir posé les bases des versions modernes de ses deux plus grands héros, respectivement dans Batman : Year One (de Miller) et dans The Man of Steel (de John Byrne), il ne restait plus à DC qu'à les faire se côtoyer, ce à quoi s'attèle ce crossover traversant toutes les séries Superman de l'époque, même si Batman s'y taille la part du lion. Qualitativement, on est au niveau de Man of Steel, où s'était jouée la première rencontre (dans le troisième épisode, Some Night in Gotham City). Soit donc dans le meilleur du mieux de ce qu'on peut trouver en matière de comics superhéroïques à l'époque. D'un point de vue canon, il suffit de constater que les origines de cette relation et ses développements n'ont quasiment pas bougés trente ans après pour mesurer l'importance de ce crossover. Si je vous dis que c'est à la fin de cette histoire que Superman confie un morceau de kryptonite à Batman pour le cas où il deviendrait incontrôlable, vous savez probablement presque toutes et tous ce dont je vous parle, même si vous n'avez pas ouvert le moindre comic-book depuis vingt ans. C'est peu dire que la Warner aurait été bien inspirée de l'adapter plutôt que de produire cette chose balourde et stressante qu'on nomma Batman V. Superman.
The Tower of Babel (JLA #43-46, 2000 | Scénario : Mark Waid ; Dessins : Howard Potter)
Ce n'est peut-être pas un arc narratif de Batman, mais c'est assurément une histoire de Batman – c'est peut-être même la meilleure de toutes, en tout cas pour ce qui concerne l'analyse de la personnalité du héros. Pas un hasard si cette intrigue est la plus populaire d'une série, la JLA de Waid & Morrison, comptant elle-même parmi les plus populaires de toute l'histoire de DC. Connu d'à peu près tous les amateurs de comics de l'univers, le pitch est d'une simplicité et d'une efficacité renversante : Ra's al Ghul parvient à neutraliser simultanément tous les membres de la Ligue de Justice en utilisant les fichiers top secret que Batman conserve afin de... neutraliser la Ligue de Justice, cette bande d'inhumains aux pouvoirs quasi divins, au cas où celle-ci deviendrait incontrôlable. Le scénario, particulièrement hâletant, joue autant sur le sentiment d'urgence et une action survoltée (Batman va-t-il comprendre à temps ce qui se passe et parvenir à contrer son propre plan ?) que sur la psyché trouble d'un héros dont la paranoïa lui éclate (littéralement) au visage. Bruce Wayne, après tout, n'est qu'un simple humain légèrement plus fort que la moyenne, dont la principale qualité est son intelligence, qui a néanmoins réussi à se faire accepter des dieux. De cela, Geoff Johns fera plus tard d'excellentes vannes dans son propre run de Justice League, où Hal Jordan notamment ne peut pas encadrer le justicier de Gotham et passe son temps à demander ce qui justifie sa présence. Mark Waid, lui, en fit une tragédie poignante et l'une des histoires les plus allègrement pompées de tous les temps.
Dream of Me/Superfriends (Batman #33-37 ; 39-40, 2017-18 | Scénario : Tom King ; Dessins : Joëlle Jones)
Après quatre-vingts ans d'histoires, concilier les attentes d'un lectorat aussi vaste que divers peut s'apparenter à un sacerdoce, ce qui explique sans doute que certaines pointures contemporaines de chez DC se soient souvent tenues à une distance respectueuse du personnage. Surprendre des lecteurs connaissant tout des codes et de l'univers du titre n'est pas donné au premier venu, encore moins renouveler la forme et lesdits codes. Actuel mandataire dans ce dossier, Tom King, dont nous avions déjà parlé il y a quelques mois, s'en sort avec plus que simples honneurs, réussissant notamment à user de deux registres généralements proscrits des aventures de Batman : la romance et la comédie. C'est particulièrement notable dans ces deux histoires fillers imbriquées l'une dans l'autre : pour résumer sommairement, Bruce doit annoncer à ses proches qu'il va épouser Selina après l'avoir (plus ou moins) combattue durant une éternité. La Bat-family, tout d'abord, qui ne réagit pas très bien. Talia al Ghul, la mère de son fils (et accessoirement meurtrière de masse – son propre fils inclus – mais il semble que Batman Incorporated ait été opportunément rayé des mémoires), qui le prend bizarrement encore plus mal. Et enfin ses super-amis de la Ligue de Justice, à tout le moins les plus proches, Superman et Wonder Woman. Ceux deux triplettes d'épisodes montrent bien ces deux registres (presque) inédits dans lesquels King et les divers dessinateurs l'accompagnant excellent : Dream of Me est un récit mélancolique appuyant subtilement sur les quêtes de rédemption opposées mais tout aussi profondes de Bat & Cat, qui se conclura par un renversement des valeurs habituelles des comics puisque le proverbial combat de coqs opposera deux femmes ; Superfriends, quant à elle, est une merveille de comédie romantique jouant avec bonheur avec les images et les personnalités de Bruce, Clark et Diana, dont le prologue est certainement l'un des trucs les plus drôles qu'on n'ait jamais écrit sur Batman et Superman. Alors bien sûr, vu la qualité du run de King, j'aurais pu ou dû choisir un arc plus long, conséquent et raccord avec ce qu'on attend du Batverse (au hasard, l'excellent The War of Jokes & Riddles). Mais il me semble que c'est décidément dans ces histoires courtes et en apparence secondaires que le talent de l'auteur s'exprime de la manière la plus criante.
The Silent Night of the Batman (Batman #219, 1969 | Scénario : Mike Friedrich ; Dessins : Neal Adams)
J'ai toujours trouvé assez extraordinaire la propension de Batman à générer des Christmas Specials alors que très franchement, peu de superhéros sont aussi peu compatibles avec le principe-même de Noël. La liste est pourtant sans fin et le plus surprenant, c'est que les résultats sont souvent très réussis. The Silent Night of the Batman serait bien entendu une histoire assez anecdotique si elle n'était la quintessence de ce type de récit, voire leur matrice : réussir à marier le sacro-saint esprit de Noël, avec tout ce qu'il sous-tend d'optimisme et d'espoir, avec la personnalité ténébreuse (et même ombragueuse, en l'occurrence), du Chevalier Noir, le plus souvent en tournant celle-ci en dérision. Très effiace, très fin et très drôle, l'épisode doit bien entendu largement plus aux dessins de l'immense Neal Adams qu'au scénario, ultra-basique même s'il fallait bien entendu y penser à l'époque. C'est sans doute l'une des aventures de Batman que j'ai le plus relue tant elle a été rééditée à toutes les sauces, un peu à la manière des rediffs d'E.T. au moment des fêtes de fin d'année. La différence, c'est qu'alors même que c'est typiquement le genre de scénario qui ne peut fonctionner qu'à la première lecture, je n'arrive jamais à m'empêcher de la parcourir une nouvelle fois.
The Many Death of the Batman (Batman #433-435, 1989 | Scénario : John Byrne ; Dessins : Jim Aparo)
John Byrne est connu pour énormément de choses sur énormément de titres, des X-Men à la Doom Patrol en passant les Fantastic Four et bien évidemment Superman, mais pas pour ses histoires de Batman. De fait, il n'en a écrit que trois, dont un crossover avec... Captain America. The Many Death of the Batman est la seule qui soit véritablement notable et elle a une particularité assez piquante : située en plein dans la période la plus sombre du titre et écrite par le type qui fut à Superman ce que Frank Miller fut à Batman, elle prend totalement le contrepied de l'héritage de Year One pour s'avérer au fil des pages une pure aventure de Batman façon seventies – elle est d'ailleurs dessinée par Môssieur Jim Aparo. Le pitch est assez simple et, si vous connaissez les prémices du run de Grant Morrison, il s'agit de la même chose mais à l'envers : un mystérieux tueur assassine des victimes apparemment sans lien en les revêtant après coup d'un costume de Batman. Simple, accrocheur, The Many Death of the Batman est un parfait petit polar totalement intemporel où le style de Byrne, dont on ne rappellera jamais assez la modernité par rapport à son époque, est immédiatement reconnaissable, notamment dans les dialogues, exquis.
Tales of the Demon (Detective Comics #411 ; 485 ; 489-90 / Batman #232 ; 235 ; 240 ; 242-44 / DC Special Series #15, 1971-80 | Scénario ; Dennis O'Neil ; Dessins : Neal Adams, Michael Holden, Don Newton)
Il y a l'embarras du choix pour évoquer le très long run de Dennis O'Neil, la plupart du temps associé à son compère Neal Adams. On l'a déjà dit, le duo peut être raisonnablement considéré comme les pères du Batman « moderne », dont ils révolutionnèrent l'univers de la cave au grenier, y ajoutant du gothique, du fantastique et même de l'horreur, replaçant la thématique de la vengeance au cœur du personnage et inventant ou réinventant tant de ses adversaires, dans tant d'histoires mémorables, que les citer toutes nécessiterait presque une encyclopédie. Paradoxalement, il en est une qui les relègue toutes en retrait (c'est dire son impact) et qui s'avère sans doute l'une des aventures les plus connues de Batman, pour avoir été reprise un nombre impressionnant de fois dans tous les médias possible : il s'agit bien entendu de Daughter of the Demon, qui marque en 1971 la première apparition de Ra's al Ghul (et la seconde de Talia, introduite quelques temps auparavant en guise de, hum, préliminaires). Fascinant, le véritable pire ennemi de Batman, longtemps seul à connaître sa véritable identité et à pouvoir rivaliser avec lui en terme d'intelligence, réapparaîtra régulièrement durant les années soixante-dix, le plus souvent au moment où personne ne s'y attend. Ses plans seront toujours plus complexes et globaux, toujours plus dangereux, et flirteront toujours plus avec le terrorisme – en faisant assurément l'un des antagonistes les plus signifiants et contemporains du Chevalier Noir. Captivant du premier au dernier, les Tales of the Demon ne sont pas un véritable arc narratif au sens où ils sont trop étalés dans le temps pour être vus comme tels, mais ils enrichissent pourtant bien une véritable continuité tant la mythologie entourant Ra's se construit progressivement à chaque épisode (rencontre puis love-story avec Talia, révélation des puits de Lazar, découverte de la Ligue des Assassins... etc.) Pour avoir été la propriété quasi exclusive du même auteur durant une très longue période, Ra's a-Ghul est sans doute l'antagoniste de Batman qui aura le mieux été caractérisé d'entrée, celui qu'il n'y a guère eu besoin de beaucoup faire évoluer pour le moderniser ou pour combler les vides. Au point que durant toutes les années quatre-vingts, les successeurs de l'immense O'Neil y regarderont à deux fois avant de le reprendre à leur compte (c'est finalement O'Neil lui-même qui finira par reprendre la plume pour apporter la touche finale dans Birth of the Demon en 1992).
Cataclysm/No Man's Land/New Gotham (1998-2001 | Scénario : Chuck Dixon, puis Bob Gale puis Greg Rucka pour les trames générales)
Dans les années quatre-vingt-dix, porté par le succès de ses différents events, DC s'est dit que ce serait une excellente idée de faire des events « internes » à l'univers de son héros le plus populaire. Les crossovers ont donc commencé à s'enchaîner de manière effrennée, obéissant à une certaine logique (un événement majeur arrivant à Batman ne peut qu'avoir une influence sur tous ses comparses et adversaires) mais usant énormément le lecteur et transformant de nombreux personnages autrefois essentiels en simple figurants au sein d'intrigues plus globales. Je n'ai jamais aimé Knightfall (que j'avouerai toutefois ne pas avoir parcouru depuis un bail). Trop sombre, trop violent, trop aumaxdutrop. Dans l'époque récente, Death of the Family et Endgame ont plus souvent handicapé les séries dérivées qu'ils ne les ont portées, et se lisent finalement comme de simples histoire de Batman avec pas mal de tie-in. Batman Eternal est encore un autre cas de figure, plutôt ambitieux mais un peu trop éclaté (et puis j'avoue tout, je ne l'ai pas – encore – terminé des années après). Reste No Man's Land, sans oublier la série qui le précède, et celle qui le conclut. Les trois ne sont pas d'un seul tenant et peuvent être pris séparément, mais racontent la même vaste histoire. Une fois n'est pas coutume, je ne listerai pas tous les épisodes – cela n'aurait pas réellement de sens et en plus ce serait très long (on parle au total de 152 issues réparties sur la totalité des séries du Batverse et d'innombrables specials). Cela n'enlève rien à la portée de ces évènements qui, en passant outre les innombrables changements de scénaristes, de dessinateurs, ainsi que les inévitables temps faibles, forment l'arc le plus long et le plus important en terme d'impact et d'ambitions qui ait jamais été tenté au sein du Batverse. L'histoire commence en 1998 avec le tremblement de terre qui coupe Gotham du reste du monde. Elle s'achève trois ans plus tard (!) avec la refondation de la ville et une flamme d'espoir pour le moins vacillante. Entre temps, celle-ci sera donc devenue un véritable No Man's Land et aura été traversée de mille histoires mettant en scène mille protagonistes, du plus petit dealer au plus haut notable, du vigilante ultime au plus anecdotique de ses ennemis. Il est difficilement imaginable que quelqu'un puisse s'envoyer la totalité de cette saga en un temps trop rammassé (pas un hasard si elle est elle-même découpée en trois énormes rondelles). Moi-même, je n'ai jamais eu le temps de tenter le coup de cette manière. Mais il est certain que tout cela mis bout à bout compose une fresque assez extraordinaire dépassant de très loin, en terme d'ambitions et de prise de risque, tout ce qui a été tenté en matière de comics mainstream jusqu'alors. Batman lui-même mettra du temps à s'en remettre et ses principaux scénaristes avanceront par la suite durant quelques années comme des poulets sans têtes, incapables de rivaliser avec un tel gigantisme ni à l'inverse de réussir un retour à des sources plus old-school. Il faudra plus d'une décennie pour revoir un crossover d'envergure au sein du Batverse, mais lorsque l'on parvient à la dernière page du Gotham Knights #13, on se dit que tout de même, le jeu en valait la chandelle.
Batman Reborn/Revenge of the Red Hood (Batman & Robin #1-6, 2009-10 | Scénario : Grant Morrison ; Dessins : Frank Quitely puis Philip Tan)
Batman Reborn, c'est avant tout un crossover, presque un event, installant un nouveau statu quo à Gotham City après la mort (supposée) de Bruce Wayne. Pour la première et à ce jour unique fois dans l'histoire du Batverse, tous les justiciers de la ville sans exception changent d'identité : Damian Wayne devient officiellement Robin, obligeant Tim Drake à devenir le Red Robin. Stephanie Brown s'empare du masque de Batgirl, Kate Kane (re)prend celui de Batwoman (voir par ailleurs)... surtout, c'est l'occasion d'assister à un événement attendu depuis des décennies par les fans : voir Dick Grayson accepter son destin et assumer l'héritage de son mentor. Vous l'avez compris : dans Batman Reborn, Batman n'est pas Bruce Wayne mais le premier des Robin, devenu un adulte plus humaniste mais tout aussi tourmenté que son prédécesseur. Les deux premiers arcs de la série Batman & Robin sont consacrés à cette prise de pouvoir, et tout spécialement à la relation naissante entre Dick et Damian, le fils spirituel et l'héritier légitime, qui se connaissent peu, se ressemblent encore moins, et se retrouvent forcés de cohabiter jusqu'à devenir inséparables. La singularité de cette relation rend la série assez unique en son genre : pour la première fois, Batman et Robin ne sont pas unis par un lien filial – ce sont des frères. Même après dix lectures, on ne se lasse toujours pas de ce duo plus explosif que dynamique, des réparties cinglantes d'un Damian convaincu que le droit du sang ferait de lui un bien meilleur Batman, de la manière dont Dick l'envoie gentiment bouler ou des aventures rocambolesques dans lesquelles les deux compères sont embarqués, la plus notable voyant (dans le deuxième arc) le retour de la revanche d'un Jason Todd entendant bien, lui aussi, réclamer l'héritage à sa manière. Ce qui est très fort dans le début de cette série (qui fera date mais sera malheureusement plombée par la volonté de l'auteur de faire converger tous les titres Batman dans un gros bordel aussi cool que... bordélique), c'est la manière dont Grant Morisson, tout en paraissant foutre un coup de pied dans la fourmilière du Batverse, réussit à en capter la substantifique moelle. Épiques, funs, héroïques mais aussi graves dans cette manière qu'a l'auteur de dépuceler brutalement le nouveau Robin, Batman Reborn et Revenge of the Red Hood sont des aventures de Batman presque quintessencielles, et sans doute plus typiques que ce que le même Morrison avait fait jusqu'à présent avec le « vrai » Batman. Mais peut-être est-ce justement le message qu'il entend nous faire passer : il n'y a pas de « vrai » Batman, il y a juste « the » Batman – un concept, une idée et un symbole, au-delà de la seule personnalité de Bruce Wayne.
Dark Night : A True Batman Story (OGN, 2016 | Scénario : Paul Dini ; Dessins : Eduardo Risso)
Auteur chéri de toute une génération depuis Batman : The Animated Series, Paul Dini a depuis écrit de nombreuses Bat Stories, dans presque tous les formats possibles. Pourtant, c'est une histoire hors canon et même hors Batverse qui s'impose le plus naturellement en clôture de cette sélection. Récit étonnant puis de plus en plus émouvant au fil des pages, Dark Night (sans « K ») est une autobiographie fantasmatique où l'artiste évoque pour la première fois l'agression brutale, gratuite, humiliante et traumatisante dont il fut victime au début des années quatre-vingt-dix, sans qu'aucun Chevalier Noir ne vienne à sa rescousse. Dans ce petit précis de victimologie, la drôlerie le dispute au glaçant et Dini n'épargne personne, expliquant certes en quoi ce traumatisme va faire évoluer son approche du personnage, mais ne manquant pas non plus de souligner à quel point il lui a ouvert les yeux sur le monde et sur les autres, lui qui était jusqu'alors une caricature de geek inhibé et renfermé sur lui-même et son petit univers de poche. Car Dini vit depuis toujours avec les héros de ses dessins animés préférés quelque part dans un coin de son esprit – c'est ce qui fait toute la spécificité de cette œuvre où la réalité se mélange sans cesse au cartoon et où les personnages de Gotham vienne lui secouer les puces lorsqu'il se laisse aller à l'auto-complaisance. Les dessins d'Eduardo Risso, dont on sait qu'ils ne plaisent pas toujours à tout le monde, collent parfaitement à ce mélange des genres qui va vous délivrer un énorme spoiler de la vraie vie : Batman ne viendra jamais vous sauver, mais il peut vous sauver tous les jours d'une autre manière, si vous le laissez faire.
OH PUTAIN UN ARTICLE SUR LE GOLB!!
RépondreSupprimerEt une somme, en plus!
Et dire que je passais par hasard (n'y croyant pas du tout)
Bon évidemment c'est encore Batman (non je cherche pas à te refaire fuir)(au moins là je pense que tu as bien évacué le sujet ^^)
Très content de te relire (je vais y aller petit bout par petit bout, c'est long comme article)
Tu passais par hasard, c'est-à-dire ? Tu allais à la boulangerie d'en face et tu as aperçu de la lumière au premier ? :-D
SupprimerSi j’ai tout bien suivi, c’est donc Batman qui gagne Tous les drawas des lecteurs ? Encore une victoire d’un mâle blanc cis het membre des 1%...
RépondreSupprimer:D
SupprimerDonc parce qu'on est riche, on n'aurait pas le droit d'être récompensé ? Va vraiment falloir sortir de cette mentalité "ancien monde", Bruce Wayne a largement contribué, via les sommes colossales versées aux impôts, à la bonne marche de la société américaine depuis 80 ans. Et je ne parlerai pas de sa philanthropie ni de son altruisme, tous ces enfants qu'il a adoptés depuis des années, telle un Angelina Jolie au sommet de sa forme. Certes, rien que des garçons et rien que des blancs, son côté Michael Jackson sans doute...
SupprimerTu as quand même réussi à en sortir un ou deux que je connaissais, costaud. Jamais entendu parler de la Rupert Thorne Saga (même si je comprends bien que ça n'existe pas en tant que telle) ni du truc de Byrne. Night cries me dit vaguement un truc mais pas plus.
RépondreSupprimerSinon j'aime bien cette sélection cohérente et équilibrée sur les auteurs/périodes/tendances...
Bon retour!
Merci.
SupprimerJ'ai du mal à croire que tu n'aies jamais entendu parler de la Rupert Thorne Saga, au moins de l'épisode avec Poison Ivy qui est tout de même assez connu des amateurs...
Ce qui a surtout changé en 80 ans, c'est que l'on s'est mis à prendre au sérieux des histoires qui ne souhaitaient pas l'être. Cela explique que les épisodes de Conway, qui assument leur côté "rip off" de ceux d'Englehart, aient été très décriés. Dix ans plus tôt, cela serait passé, mais, à partir des années 70, Batman va devenir une chose très sérieuse.
RépondreSupprimerNous partageons, je le vois (je le soupçonnais), une tendresse pour les "histoires de Batman-sans-Batman". On peut faire le tour du personnage, jamais de Gotham. J'avais beaucoup aimé le passage de Scott Snyder, pour son approche "globalisante". Il trouvait un séduisant équilibre. Batman était le personnage central, mais Snyder n'oubliait jamais l'arrière-plan (il était donc logique qu'il finisse par soustraire Bruce Wayne de l'intrigue principale). C'est ce qui manque à beaucoup d'histoires récentes.
Tu ne seras pas étonné, si je dis que Gotham Central est pour moi la meilleure série "Batman" des 20 dernières années... Elle aurait mérité d'être retenue...
Je suis d'accord avec tes deux remarques. Sur le "sérieux", c'est évident (et cela vaut pour beaucoup d'autres personnages, même si c'est particulièrement marqué dans le cas de Batman).
SupprimerJe suis assez d'accord aussi avec ton analyse du run de Snyder. J'ai d'ailleurs hésité à tomber dans la pure provoc/snobisme en sélectionnant son histoire intitulée Gotham, le court épilogue à son run (ou le premier épisode post-Rebirth ? Je ne me rappelle plus). Le problème de Snyder est qu'il y a beaucoup d'autres aspects qui sont moins convaincants, il aurait sans doute dû faire moins long et se limiter à son idée de départ qui était parfaite. A partir de la seconde partie de Zero Year, on sent que quelque chose est en train de changer en profondeur, lui-même l'a reconnu a posteriori. J'ai appris récemment qu'Endgame devait au départ être sa dernière histoire et même si j'ai trouvé assez fun la période où Gordon est Batman, il aurait effectivement pu s'arrêter là, avec Batman et le Joker qui s'entretuent et la vi(ll)e qui reprend ses droits. A la place il a rallongé la sauce et ça se termine quand même sacrément en eau de boudin...
Pour Gotham Central, crois-bien que cela a été l'un des choix les plus difficiles, car j'adore moi aussi cette série.
Super article. Un bel hommage à la diversité de styles et d'univers que l'on range sous l'appellation "Batman". Je suis loin d'être incollable sur le Batman avant 90s, encore moins "pré-Crisis", donc je ne me lancerai pas dans un commentaire détaillé. Il manque quand même à mon avis des histoires mettant en valeur Alfred et Gordon (enfin, je dis cela, mais aucune ne me vient là, maintenant)...
RépondreSupprimerJe me suis dit la même chose arrivé à la fin, mais après réflexion et recherche, les histoires les mettant spécifiquement en avant ne me paraissaient pas très intéressantes (ou bien faisaient doublon niveau auteurs). Et pourtant nous sommes d'accord que ce sont des personnages essentiels, ils apparaissent d'ailleurs dans quasiment TOUS les épisodes de cette sélection...
Supprimer(ceci étant dit, en ce qui concerne Gordon, je ne le cite pas explicitement dans le texte mais c'est tout de même l'un des personnages centraux de No Man's Land puis de New Gotham...)
Supprimer(il manque aussi Harley Quinn, ne pas mettre Mad Love, c'est limite de la provocation, mais je sais que tu ne l'aimes pas, va)
RépondreSupprimerJe trouve Mad Love un peu surestimée, c'est vrai, mais c'est une histoire que j'aime beaucoup cela dit. Elle n'a été écartée que parce que j'ai pris Dark Night à la place pour Paul Dini.
SupprimerAprès c'est vrai que je n'ai pas d'affection particulière pour le personnage de Harley Quinn, ou plutôt que je n'en ai plus tellement elle a été surexploitée à tort et à travers. A part parce qu'elle fait bander les prépubères il n'y a quand même pas grand-chose qui justifie qu'elle ait depuis des années non pas une, mais deux voire trois séries qui lui sont consacrées. Ça ne concerne pas vraiment les histoires écrites par Dini mais le fait que 25 après son créateur soit toujours le seul à savoir la traiter correctement est assez typique d'un personnage "à problèmes". Après, je ne doute pas qu'un jour, quelqu'un s'en emparera et proposera quelque chose de cool avec.
Cet article est une mine d'or! merci!
RépondreSupprimerc'est dommage par contre de ne pas avoir mis les références vf quand il y en a, vu que ça varie pas mal selon les éditions.
J'y ai pensé sur la fin mais l'article était déjà très long et j'avais un peu la flemme.
SupprimerJe dirais à vue de nez que les deux tiers de ces histoires sont déjà parues en VF (parfois dans des compiles ou anthologies), et que parmi celles qui restent, beaucoup sont suffisamment réputées pour qu'on soit certain qu'elles seront rééditées un de ces quatre. Je te répondrai au cas par cas au besoin :-)
Je ne suis pas d'accord avec tout mais je salue l'effort. Les différentes tendances me semblent très bien représentées - le gothique, le pulp, les events, la SF...
RépondreSupprimerJe souscris totalement :
- Tom King et ces épisodes, spécialement. Les critiques sont moins bonnes qu'au temps de Snyder mais je suis convaincue que dans 10 ans, le run de Tom King sera une référence (celui de Snyder sera démodé). Et pourtant au début... Je n'aimais pas, du tout. C'est toi qui m'avais convaincu de reprendre, donc merci.
- Hush. Bien envoyé.
- Batman Ego ! Le meilleur OGN Batman selon moi. Ra-vie de le retrouver ici.
Je suis moins d'accord :
- Je n'ai jamais compris la passion qui entoure le run de Morrison. C'est vraiment un truc pour fans fétichistes de Batman, à moitié incompréhensible par le commun des mortels. Tu le reconnais à demi-mot, non ?
- les choix d'histoires mettant en scène le Joker (toutes, même si je ne connais pas Batman Adventures.) Préférer un annual de Tynion à The Man Who Laughs, et une histoire que tout le monde à oublié à l'historique The Joker ? Un peu snob, avoue. Ok à la rigueur pour le Joker d'Azzarello mais il a fait mieux sur Batman.
Je ne suis pas du tout d'accord :
- tes vannes injustes sur Frank Miller. The Dark Knight Returns est quand même un comic book unique en son genre et très marquant.
- le run catastrophique de Mike Barr ?! un des meilleurs tu veux dire ?
- comment est-ce possible d'aimer tellement Batman et de ne pas aimer Knightfall ? C'est moche mais que c'est prenant...
"Je n'ai jamais compris la passion qui entoure le run de Morrison. C'est vraiment un truc pour fans fétichistes de Batman, à moitié incompréhensible par le commun des mortels. Tu le reconnais à demi-mot, non ?"
SupprimerJe n'irai peut-être pas jusque-là mais effectivement, je reconnais sans problèmeque cela pourra sembler abrupte au lecteur non-averti.
"les choix d'histoires mettant en scène le Joker"
C'est subjectif. On a le droit de ne pas être d'accord.
Ok à la rigueur pour le Joker d'Azzarello mais il a fait mieux sur Batman.
Oui, son long et passionnant épisode dans Flashpoint ! Ah, tu ne parlais pas de cela ? :-D
Azzarello n'a pas écrit tant que ça sur Batman, il n'y avait donc pas un choix délirant non plus. Sans doute l'évidence était-elle Broken City mais au risque de te surprendre, c'était le tout dernier dans ma liste. Je l'ai lu deux fois et pour une raison que j'ignore, ça n'imprime pas, je me rappelle que c'est bien mais pas plus. Knight of Vengeance (son histoire de Flashpoint, donc) m'a beaucoup plus marqué, je ne le dis pas provocation. Mais c'est un truc qui s'insérait assez mal dans cet article.
"The Dark Knight Returns est quand même un comic book unique en son genre et très marquant."
Sans aucun doute. Mais est-ce que c'est bien ? Est-ce que c'est un truc que l'on va prendre plaisir à lire ? Est-ce que cela a tant que ça apporté au Batverse ? J'ai toujours été frappé par le décalage entre sa notoriété immense et postérité quasi vierge. Year One a réellement influencé les générations suivantes. TDKR, personne n'a vraiment repris ses idées et ses concepts. Et je maintiens qu'en 2019, c'est une lecture vraiment pénible même si pas forcément inintéressante (à la différence de ses suites qui sont immondes).
"le run catastrophique de Mike Barr ?! un des meilleurs tu veux dire ?"
J'ai écrit "le début de run catastrophique". Après tu n'as pas tout à fait tort de le relever, je ne suis pas très fan de Barr, ni sur Batman, ni ailleurs. Je sais que ce n'est pas l'avis général.
"comment est-ce possible d'aimer tellement Batman et de ne pas aimer Knightfall ? C'est moche mais que c'est prenant..."
Même commentaire que ci-dessus ! Je n'ai jamais été fan. Le début... c'est-à-dire la partie que tout le monde avec Bane qui "détruit" Batman, c'est plutôt pas mal... mais après ça traîne franchement en longueur et tous les trucs avec Bat-Azrael m'ont toujours fait chier.
Enfin un nouveau billet sur le Golb et... Batman... Pfffff...
RépondreSupprimeroui, mais ça veut dire qu'il y aura de nouveaux articles bientôt, non ?
SupprimerIl faut apprendre à se satisfaire de ce qu'on a, les amis ;-)
SupprimerMais oui, il y aura de nouveaux articles bien sûr, même si je ne peux pas vous garantir un rythme très soutenu.
(et merci pour ton mail SUNALEE, je n'ai pas eu le temps de répondre mais ça m'a fait plaisir)
C'est dommage, ton projet de départ était sympa. Mais difficile à réaliser - 80 articles, ça te faisait du 3 par jours sur tout le mois d'avril : lourd. Ou alors étaler sur tout 2019 au risque de perdre l'intérêt des gens au bout de quelques épisodes...
RépondreSupprimerJe n'ose pas imaginer le temps de lecture/relecture/listing que tu as dû y passer.
Je t'avoue qu'égoïstement, j'aurais bien aimé connaître la liste des 80. Je suppose que certains ont été écartés quand tu as changé de projet. Je suis sûr que tu as des inédits que tu gardes pour les 90 ans ;))
Pas tant que ça. Je n'étais heureusement pas trop avancé dans les 80 quand je me suis aperçu que ce serait compliqué à mettre en place (pour les raisons que tu as devinées... plus tout simplement par manque de temps tout ça).
SupprimerLe "projet à 80" était finalement assez différent puisque je ne m'interdisais pas d'utiliser plusieurs fois les mêmes auteurs, et que je n'avais pas banni le Big 5 (sauf DKR qui m'indiffère. Et je traitais Long Halloween et Dark Victory comme un tout). J'avais des histoires plus secondaires à mes yeux, le tout devait reposer sur une aternance de choses très connues et d'autres pas du tout (ou totalement mésestimées). Et ça se focalisait beaucoup plus sur des histoires individuelles. Par exemple, vu que je n'étais pas limité en nombre d'histoires par auteur, les Tales of the Demon n'étaient pas évoqués en tant que tels, il y avait Daughter of the Demon d'un côté, The Lazarus Pit de l'autre... etc. Ca fonctionnait particulièrement pour les épisodes des 70's, qui sont presque toujours des one-shots tout en étant tout de même assez denses pour être évoqués en tant que tels.
Il y a aussi des trucs que j'ai retapés et qui sont devenus les articles publiés cet hivers (Elegy, Rooftops, Victim Syndicate, de mémoire...)
Bref, il n'y a pas énormément de textes qui ont écrits et qui n'ont pas servi : The Killing Joke, Death of the Family, The Bronze Age (un arc de Detective Comics que j'aime beaucoup durant la période où Gordon est Batman), Gothic, The Million Dollar Debut of Batgirl... et je crois que c'est à peu près tout. En revanche j'avais une énorme liste de 150 titres qui restera inexploitée.