[Mes disques à moi (et rien qu'à moi) - N°119]
blur - blur (1997)
Il convient généralement de commencer cette histoire en expliquant qu'avant ce disque, blur était un groupe bien propre sur lui, aux mélodies bien coiffées et aux productions signées Stephen Street (ce qui veut à peu près tout dire). Ce n'est qu'une partie de la vérité, et si l'on peut comprendre que la légende ait été plus intéressante à graver dans le marbre, elle a fait encore plus de mal au groupe que cet album lui-même (ventes faiblardes, incompréhension des fans les plus mainstream, critiques se demandant si c'est de l'art ou du cochon – le tarif habituel). En laissant croire à un virage brutal, blur a sans le vouloir prêté le flan à ces procès en opportunisme qui poursuivent encore occasionnellement ses membres aujourd'hui (surtout Albarn, tout le monde aime bien Coxon, sans doute parce que personne ne l'écoute). Il essayait pourtant à peine de se réinventer – enfin pas plus que d'habitude, ce n'était que la troisième tentative des londoniens de sonner aussi rough en studio qu'en live. Internet permit de réparer le malentendu, pour ceux n'ayant pas eu la chance de voir le quatuor foutre le feu à une scène. Avec sa cohorte de bootlegs et ses démos, ses faces B souvent meilleures que les A, ses tentatives de se faire produire par ce cinglé d'Andy Partridge, tous ces titres riffus expédiés ad patres puis exhumés sur les sites pirates (ou l'excellent coffret 21). Mais en réalité, en tendant l'oreille, ou peut-être juste au fond de nous qui n'étions même pas encore sortis de l'adolescence, tout était déjà là. blur avait toujours été un groupe sombre, bien plus sombre que ce qu'on nous disait. Ses tubes les plus surproduits de la période The Great Escape, "Charmless Man", "The Universal", "Stereotypes"... masquent à peine, avec un brin de recul, ici la cruauté, là le cynisme, là encore le mépris. La touche grit de Coxon, qui incendie chaque seconde ou presque de cet album éponyme, lacérait déjà les pop-songs soi-disant gentilles qu'étaient "Mr. Robinson's Quango" ou "Top Man". Elle était simplement moins prégnante.
Entre neurasthénie et Amérique sur-fantasmée (on pourrait écrire une thèse entière sur les "chansons américaines de blur", quasiment devenues une discographie dans la discographie), blur est moins un virage qu'une remise à l'heure de toutes les pendules Empire. Calfeutré dans un studio islandais en compagnie d'un Stephen Street devant probablement se demander ce qu'il fout là, le groupe prend une grosse râpe à pieds et gratte tout ce qui était mignon sur son album précédent, tout ce qui était un poil trop sucré, pour ne conserver que le reste – les dissonances, la lo-fi, les pulsions punk et le groove. Il met les mains là où les autres regardent à peine, dans le cambouis d'"Essex Dogs" – quand ce n'est pas carrément dans la prise. Électrisant, blur ? Pas qu'un peu, mais surtout d'une grande beauté lorsqu'il compromet les passions bruitistes de Coxon et la rigueur mélodique d'Albarn – là encore, les choses sont plus compliquées que cela, la suite de leurs carrières respectives l'aura démontrée. Album expérimental mais album de chansons, le truc part dans tous les sens, empile les chefs-d’œuvre ("Beetlebum", "On Your Own", "You're so Great", "Death of a Party"... il n'y a quasiment que cela sur ce disque) sans jamais, bizarrement, donner l'impression de vouloir être un grand album. On ne sait d'ailleurs pas bien à quel genre ou sous-genre il appartient, plus du tout britpop, beaucoup trop produit tout de même pour être classé en lo-fi, pas franchement garage en dépit du son... blur est aux confins d'un peu tout – il est même à deux doigts (sa réédition de 2012 augmentée d'une dizaine de titres écartés fait foi) d'avoir basculé dans le n'importe quoi. Mais pourtant il tient debout, pas vraiment parfait mais en fait si puisqu'il aspire à ne surtout ne pas l'être, à rester impropre et impur – bâtard. Je me souviens l'avoir l'acheté le jour de sa sortie – Wikipedia m'informe que c'était le 10 février 1997 et effectivement, je me rappelle que c'était l'hiver, je me rappelle même m'être dit un peu après que je n'aurais jamais aimé cet album si je l'avais écouté en plein été. Dans ce magasin qui n'était ni une FNAC ni un Virgin, où je n'étais jamais venu, impossible de le trouver. Il n'était pas dans les bacs "pop", ni dans les bacs "rock". J'ai fini par demander à un vendeur (à l'époque, on les appelait "disquaires") qui m'a fièrement répondu : "Il est ici, en rock indépendant." C'était la première fois que j'entendais cette expression et c'est peut-être la seule fois où elle m'a paru vouloir dire quelque chose.
C'est forcément un peu bizarre pour moi de voir cet album comme une rupture vu que celle-ci était déjà actée lorsque j'ai découvert le groupe.
RépondreSupprimerLe premier morceau de blur que j'ai "découvert" (comprendre: écouté en sachant que c'était blur) c'est Beetlebum, en live pouyr le Tibetan Freedom Concert.
(Perso Fifa 98 je l'avais sur Megadrive donc j'ai pas la même association que tout le monde a à Song 2)
Je me suis vraiment familiarisé avec le groupe via le best of de la vidéo, mais sans pouvoir replacer quel titre à quel période (absurdité des best of non chronologiques...) - l'occasion, tout de même de réaliser que je connaissais déjà Charmless Man et Boys & Girls - qui devaient avoir filtré de la radio de ma soeur (En 1995, Fun Radio passait encore ce genre de trucs, c'est fou quand on y pense)
Et du cop, c'est seulement vers... 2012 (au moment des rééditions de tous les albums) que vraiment je me suis penché sur le groupe, et c'est clair que cet album est sinon leur meilleur un de mes préférés (avec Modern Life is Rubbish). Pour tout dire, c'est peut être le seul album du groupe que je ne trouve pas terriblement inégal. A la place, il est instable, mais du coup on est toujours surpris et on ne s'ennuie pas. A croire qu'ils n'ont gardé que la meilleure chanson pour chaque style auquel ils voulaient s'essayer.
"A croire qu'ils n'ont gardé que la meilleure chanson pour chaque style auquel ils voulaient s'essayer."
SupprimerCe qui est étonnant c'est que sur les rééditions de 2012 et le coffret 21, ce sont l'album et les sessions qui recèlent le moins de faces B ou d'inédits. Ce qui loin de contredire ta conclusion, à mon sens, l'appui : tout ce qu'ils ne voulaient pas, tout ce qui ne marchait, ils l'ont juste jeté à la poubelle.
L'album avec lequel j'ai découvert le groupe. Emprunté totalement par hasard à la bibliothèque de ma petite ville à la seule vue de la pochette. Une bonne claque, quelques longueurs malgré tout mais une avalanche de titres culottés lorsque l'on remet le disque en perspective de la carrière du groupe. You're so great est probablement ma préférée.
RépondreSupprimerBref probablement l'un de mes disques les plus nostalgiques que j'écoute plusieurs fois par semaine lorsque je le ressors de l'étagère ;)
Mince, tu me fais réaliser que je n'ai pas dit un mot de la pochette alors que je suis à peu près certain qu'il y avait toute une symbolique à broder là-dessus... allez, laissons-en pour le 30e anniversaire, vu la vitesse à laquelle est arrivé le 25e, je crains que ce ne soit déjà demain.
SupprimerPeut-être ai-je encore dans un coin le t-shirt acheté au concert vu à Utrecht lors de la tournée assortie à cet album, un de mes préférés avec Leisure et 13 (mais j'étais groupie donc pas vraiment objective... ;-)) (bien meilleur concert que celui de Suede, supporté quelques mois avant dans la même salle, soit dit en passant, je dis ça car il me semble me rappeler que tu étais amateur... ça nous rajeunit pas ! 😄)
RépondreSupprimerSuede ? Moi ? Hum, je ne vois pas de quoi tu parles ;-)
Supprimer(les pauvres, leurs disques semblent avoir pris 10 ans à chaque fois que les écoute - et je ne les écoute pas tous les 10 ans, hein... ça me déprime mais ils sont tellement mal produits que c'était tristement prévisible... tout le contraire de cet album-là)