Vingt-cinq ans, une résurrection et six petits (grands) albums plus tard, le fait que chroniquer Kula Shaker sonne comme un éternel recommencement doit forcément signifier quelque chose. Calé sur un rythme d'un album tous les six ans (soit sur la période contemporaine un ratio d'une publication par décennie), le groupe anglais le plus culte de sa génération impose de le ré-introduire au lecteur à la moindre occasion, à plus forte raison désormais que chaque nouvel ouvrage semble un écho déformé des précédents – Kula Shaker, comme tous les grands à force de boxer seuls dans leur catégorie, a fini par ne plus se mesurer qu'à l'aune de lui-même. L'album précédent, K 2.0, reprenait jusqu'au titre du premier opus ; son éclectisme avait le côté carte de visite et la fraîcheur d'un debut-album. On les connaissait depuis des lustres que pour le Xe fois, ils venaient se présenter : Bonjour, nous sommes Kula Shaker, certains disent que nous sommes le meilleur groupe psyché en activité, voilà notre nouveau premier album – on vous laisse en juger.
1st Congregational Church of Eternal Love and Free Hugs, c'était acquis sur la seule foi d'un intitulé franchissant tous les murs de l'Improbable, avait pour sa part de vrais faux airs de nouveau second album – comprendre qu'il semblait vouloir s'attaquer au véritable chapitre 2 de cette étrange épopée, l'adoré Peasants, Pigs & Astronauts. C'est à la fois la pire et la seule manière qui soit d'introduire cette nouvelle saillie de pas moins de dix-sept pistes, Peasants... étant certainement le disque le plus culte (encore) d'un groupe qui n'a littéralement produit que cela. Et constituant surtout dans son registre un horizon à peu près indépassable : nous parlons de la plus belle pièce-montée psychédélique à jamais avoir été publiée en dehors de l'ère psychédélique. Il était déjà miraculeux qu'un groupe soit parvenu une fois, plus de trente ans après le Summer of Love, à égaler les plus grands classiques du genre. Que le même groupe s'y risque de nouveau avec deux décennies de plus dans les jambes avait quelque chose d'à la fois fascinant et tétanisant. Dix-sept nouveaux titres de Kula Shaker. Dix-sept. Avec Church au menu. N'importe quel fan du groupe a vacillé à cette annonce.
On comprend vite, pourtant, que la chose ne sera pas tranchée si facilement. De même que K 2.0 n'était pas tout à fait (pas du tout, même) K vingt ans après, 1st Congregational Church of Eternal Love and Free Hugs (ce sera la dernière fois de ce texte que je l'écrirai en entier, on m'en excusera), s'il partage la démesure de Peasants..., n'en a pas le côté super-production intergalactique, ce qui n'a rien d'étonnant en cette époque où les adorables animatroniques d'antan ont été remplacées par les froides CGI. Pour reprendre le champ lexical de rigueur, si Peasants... était une cathédrale mégalomane érigée en l'honneur d'un Dieu dément et probablement alien, 1st Congregational... se veut pour sa part une vaste mais modeste chapelle païenne où chaque fidèle sera libre de se mettre à l'aise – probablement en position du lotus mais il n'est même pas certain que ce soit obligatoire pour recevoir les câlins gratuits promis à l'entrée. Kula Shaker (merci encore les mecs de m'obliger à l'écrire pour la vingtième fois) a connu une trajectoire presque unique dans l'histoire de la pop, devenu instantanément énorme avant de s'effondrer sous le poids de la notoriété, de se désintégrer, puis de ressurgir sans prévenir dans un quasi anonymat libérateur. Nul besoin d'être fin psychologue pour lire sa discographie tardive comme une manière de remettre les choses à leur juste place, une à une, de les faire sonner comme elles auraient dû sonner alors si la presse et les majors ne s'en étaient pas mêlées. C'est à l'écoute de "303 Revisited", adorable bluette nostalgique à peu près dénuée de tout rapport avec le "303" de 1996, que l'on en acquiert la pleine conscience : Kula Shaker est le prisonnier volontaire d'une boucle magique de disparitions/réapparitions, obligé à chaque renaissance de ré-imaginer et de ré-enchanter un genre qui ne fut jamais hype plus de dix minutes à l'échelle de l'histoire de la pop et dont il a fini par re-devenir, comme au premier au jour de son premier single, le seul et unique représentant. Et alors que les fans paraissent à la fois de moins en moins nombreux et de plus en plus fervents, le groupe accepte de re-partir pour un tour de montagnes russes émotionnelles, de re-déballer les mêmes éternelles influences (le Dead, le Floyd, Donovan, Led Zep, Mister George H...) pour re-faire un album à la fois exactement pareil et tout à fait différent de ses prédécesseurs. Il ne serait probablement pas faux d'affirmer que n'importe quel titre de 1st Congregational... aurait pu figurer sur n'importe quel autre disque du groupe depuis son comeback des années 2000. Ce ne serait pourtant ni la vérité, ni le propos : plus les années passent et plus Kula Shaker ne semble plus exister que pour alterner tubes pop parfaits (ici "Gingerbread Man") et soucoupes planantes toutes guitares dehors (de "Whatever It Is (I'm Against It)" à "After the Fall", les exemples ne manquent pas sur ce cru 2022), tout en calant de temps à autre au milieu une de ces ballades d'amour et d'eau bénite dont lui seul a le secret ("Love in Seperation" dessinant ici l'Olympe de cette désormais discographie dans la discographie). Feraient-ils autrement que l'on trouverait certainement matière à déposer plainte auprès de la MIVILUDES, non pour dérive sectaire mais pour refus du Gourou d'obtempérer à notre besoin de paix éternelle et de joies infinies. Et voilà le fin mot de l'affaire lâché : besoin. Le monde a besoin d'une musique comme celle-ci. Ni plus, ni moins.
La question de savoir si 1st Congregational... est à la hauteur des attentes, ou de son plus illustre prédécesseur, est dès lors nulle et non avenue. La réponse sera manifestement non. 1st Congregational... est objectivement bien trop long pour son propre bien, s'enferme dans une succession d'interludes (chez KS, on appelle sûrement cela des psaumes) et une part de délire conceptuel dont il y a fort à parier que la moitié des auditeurs auront du mal à discerner l'intérêt – on s'en fiche : on a en besoin. Besoin de cette lumière dont l'album dégouline tellement qu'on chausse les solaires même lorsqu'on l'écoute à l'intérieur. Besoin de cette spiritualité charnelle et de ces accolades pop. Il y a là une manière comme une autre... non : mieux qu'une autre, plus belle et plus simple, de donner corps au Sacré. L'anecdote m'est revenue en tête alors que je cherchais en vain une chute à ce texte à peu près tout aussi trop long et éclaté que l'album auquel il refuse de le reprocher : l'an dernier, lorsque mon grand-père est décédé, Kula Shaker s'est révélé durant plusieurs jours être le seul groupe que j'étais capable d'écouter. Ce n'était pas quelque chose de mûri. Je ne crois pas m'être dit "j'ai besoin d'écouter Kula Shaker" ni rien de ce genre. J'ai simplement passé un album, puis le suivant, et ainsi de suite jusqu'à avoir fait le tour et recommencer à zéro. Plus d'une année a dû s'écouler avant que je ne réalise que j'étais attiré malgré moi par l’irascible vitalité se dégageant même de la plus mauvaise chanson du plus mauvais disque (formule purement rhétorique : il n'y a pas de mauvais disque de KS, et très peu de mauvaises chansons). La musique de Kula Shaker parvenait à me rendre gaillard même dans les affres du deuil. À me faire chanter la vie jusque dans la mort. Elle peut donc bien continuer de boucler la boucle pour l’Éternité, si cela sied à ses auteurs. C'est une boucle magique, on vous dit. Ces gens, c'est une certitude après tout ce temps, ne feront jamais autre chose que du Kula Shaker. Ils ne feront jamais de mauvais album parce qu'ils ne feront jamais d'album qui soit gris, lugubre, douloureux. Mon Dieu à moi vaut ce qu'il vaut, mais je ne pense pas qu'il laisserait faire un truc pareil. Ce n'est pas leur Mission.
1st Congregational Church of Eternal Love and Free Hugs
Kula Shaker | Strangefolk Records, juin 2022
Alors là, je commente.
RépondreSupprimerSuperbe article sur un superbe album d'un superbe groupe !
Quel plaisir immense de retrouver le Golb. Et pas uniquement parce que c'est un des trois sites français qui parlent de Kula Shaker à la moindre occasion ;)
"1st Congregational... se veut pour sa part une vaste mais modeste chapelle païenne où chaque fidèle sera libre de se mettre à l'aise – probablement en position du lotus mais il n'est même pas certain que ce soit obligatoire pour recevoir les câlins gratuits promis à l'entrée."
Je pense qu'il n'y a qu'ici qu'on peut lire des trucs aussi marrants et aussi vrais à la fois sur un disque :)
Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.
SupprimerMerci, Emily.
SupprimerTu as raison je ne pense pas qu'on puisse lire des trucs pareils ailleurs. Mais je ne sais pas s'il faut s'en réjouir... ;-)
C'est pour rire hein?
RépondreSupprimerJ'ai blagué sur un article sur Kula Shaker il y a DEUX JOURS. En DEUX JOURS tu as pondu ça?
J'espère pour toi que tu passeras pas au contrôle anti-dopage...
Et pitié ne me réponds pas "non mais en fait je l'ai pondu en DEUX HEURES mais j'attendais un peu pour le publier."
SupprimerMerci ;)
Ne m'insulte pas s'il te plaît. J'ai bien entendu écrit ça en DEUX MINUTES ;-)
SupprimerBonjour, je suis un nouveau lecteur, j'aime bien comment tu parles de musique du coup je vais écouter cet album pour découvrir Kula Shaker dont je n'avais jamais entendu parler jusqu'à présent
RépondreSupprimerBonjour mon petit Xavier, sois le bienvenu parmi nous. Je suis sûr que tu trouveras des articles intéressants sur ce site, surtout n'hésite pas si tu as des questions sur tous ces vieux groupes inconnus dont je parle.
SupprimerLE MONDE A SURTOUT BESOIN DU GOLB.
RépondreSupprimerLe Golb a surtout besoin du Monde ;-)
SupprimerBon, je suis ennuyée.
RépondreSupprimerCet article est très bon (voire beau), je comprends et partage l'essentiel de ce que tu écris... Mais si je trouve que l'album fonctionne très bien en tant qu'album, je trouve que les chansons, prises individuellement sont bien moins bonnes qu'à l'accoutumée chez Kula Shaker. Même celles que tu cites en référence ont à mes yeux leur pendant "en mieux" sur un des albums d'avant (Love in separation/I could die for love, Gingerbread man/Holy flame).
Alors le monde a besoin de Kula Shaker (et moi aussi), mais est-ce qu'il a besoin de cet album quand il peut réécouter PP&A autant qu'il veut ... ?
Du coup tu ne "partages pas l'essentiel de ce que j'écris", on est bien d'accord ? ;-)
SupprimerParce qu'en résumant un peu ta réflexion, tu reproches à l'album exactement ce que je lui trouve d'admirable.
Quant à question finale, je propose que nous la laissions ouverte. Je ne prétends pas savoir exactement TOUT ce dont ce dont le monde a besoin. Juste une poignée de trucs fondamentaux :-)
"Du coup tu ne "partages pas l'essentiel de ce que j'écris", on est bien d'accord ? ;-)"
SupprimerJe partage la justesse de ta lecture, mais avec un ressenti différent. Tu préfères comme ça ? ^_^
Hum... ok !
SupprimerAlors pas grand chose à dire, sinon que je te présente toutes mes condoléances tardives, pour ton grand père, auquel je pense A CHAQUE FOIS que j’utilise le mot équidistant.
RépondreSupprimerC’était Guic hein
SupprimerT'inquiète, je t'avais reconnu au premier commentaire (vous n'êtes guère plus qu'une dizaine aujourd'hui à avoir la ref... et parmi eux je n'en connais qu'un seul qui soit susceptible d'utiliser le mot "équidistant" plus d'une fois tous les trois ans ;-))
Supprimer(du coup je viens de relire la chronique - que je n'aurais jamais retrouvée sans ton soigneux travail d'Archiviste. Et j'avoue avoir souri une ou deux fois même si je n'ai presque aucun souvenir de ce qu'elle raconte - à l'exception de LA scène avec l'équidistance je ne pourrais pas dire si le reste a vraiment eu lieu ou pas... c'est assez flippant en fait... bref, fin de la parenthèse et de la private-joke)
Supprimer