En 2024, c'était promis c'était juré, j'allais faire un comeback fracassant, publier pléthore d'articles et, surtout, suivre suffisamment l'actu musical pour publier un méga-classement de fin d'année plein de mini articles super-cools. Promesse tenue (enfin... à part publier pléthore d'articles...), et puis patatras : l'automne arriva avec sa cohorte de soucis de santé et ses retards d'écoutes considérables (et par considérables j'entends : 0 note de musique écoutée en octobre). Malgré un grand coup sur l'accélérateur dès l'usage de mes oreilles à peu près recouvré, le retard ne put jamais être comblé et 2025 débarqua sur la pointe des pieds alors qu'il me restait encore une trentaine d'albums sur les bras. Sans doute pas trente game-changers, mais un nombre (et des noms) suffisamment important(s) pour que je sois contraint de changer mon fusil d'épaule, étant entendu que j'écoute réellement la musique quand elle passe – à savoir que si un album retient mon attention, il y a de fortes chances qu'il s'accroche à mes oreilles (les fameuses) trois semaines durant.
Rien n'étant pire à mes yeux qu'une écoute forcée, l'éponge fut jetée non sans une pointe de regret. Certes, le monde pouvait bien vivre sans mon top de fin d'année (une source proche du monde m'indique même que celui-ci peut également parfaitement vivre sans les vôtres). Mais difficile de ne pas ressentir une certaine amertume après avoir mis tant d'obstination et de patience à s'enquiller tout ce qui sortait, dans tous les registres possibles, même le Dua Lipa et le Mercury Rev (écouter deux secondes d'un de ces albums vous suffira à comprendre à quel point j'étais motivé). Au terme d'une épuisante conférence de rédaction avec moi-même, j'ai donc conclu qu'après tout, publier quelques courtes lignes ne me ferait aucun mal (ni au monde, ma source me l'a confirmé), quitte à m'affranchir des chiffres, appréciations, nombres d'écoutes et allez : même du classement lui-même. Voici donc, dans le plus joyeux ordre alphabétique, une sélection de dix albums m'ayant particulièrement marqué ou touché en 2024, pour une raison, deux autres, ou les trois à la fois. Ce ne sont pas les 10 premiers du classement (les numéro 1 et 2 sont certes dedans, et vous pouvez toujours vous amuser à essayer de deviner qui est qui), même pas nécessairement les 10 que j'ai le plus écoutés, mais ce sont 10 albums (sur pas loin de 300) dont j'ai la quasi certitude qu'ils seront encore auprès de moi en 2025 et au-delà. Est-ce que quelque part ce ne serait pas mieux ?
The Cleansing – Peter Perrett Il y a plus de quinze ans, j'introduisais un article sur les Only Ones en ironisant sur la manière dont chaque revival rock les ramenait temporairement sur le devant de la scène pour aussitôt les renvoyer dans l'oubli. Cette assertion ne s'est jamais démentie depuis et lorsque j'ai vu le nom de Peter Perrett popper un peu partout sur Internet cet automne, je me suis logiquement réjoui qu'il soit parvenu au terme de son traditionnel délai de carence médiatique. Sauf que non. Sauf que cette fois-ci, la Messe est dite dès le premier morceau : "I Wanna Go out with Dignity". Si la part de sarcasme n'est jamais à négliger avec un Perrett qui aura rarement autant sonné comme ses maîtres (Reed et Cohen en tête), The Cleansing est bien un album testamentaire assumé comme tel, signé par un artiste de 72 ans confronté à l'évidence du temps qui passe et à l'urgence de mettre la note finale à une carrière qui se sera principalement écrite en sourdine. Il n'est pas utile de préciser que ce type d'album est rare, a fortiori si l'on élimine tous les ultimes albums ayant finalement eu une suite faute de mort immédiate de leur auteur. Je ne souhaite aucun mal à Peter Perrett, mais quiconque connaît le personnage sait d'emblée qu'il ne fera plus jamais de disque après celui-ci. C'est une certitude absolue qui ne fait que se confirmer au gré de chansons plus sardoniques les unes que les autres : "Disinfectant", "Surival Mode", "Mixed up Confucius" et bien entendu l'impayable "Do Not Resucitate". C'est long, très et trop, parfois répétitif et mal branlé, aussi inutilement bavard qu'irrévérencieux ou émouvant... bref, un résumé presque parfait de la discographie qu'il entend conclure.
El Magnifico – Ed Harcourt La surprise de 2024 n'est pas d'entendre un nouvel album d'Ed Harcourt : il en a publié plein, trop peut-être, dans toute une variété de styles ne lui convenant pas toujours à la perfection. La véritable surprise, c'est de le voir tutoyer un tel niveau d'excellence dans un registre (appelons-le grossièrement la pop-à-piano-et-violons) où tant d'autres se sont cassés la gueule, au point que rares soient ceux à encore oser s'y aventurer aujourd'hui (à l'exception peut-être de Father John Misty). Harcourt s'en moque et met les deux pieds dedans, livrant douze popsongs mélodramatiques et magistrales, à la parfaite image du titre et de la pochette du LP : ridiculement belles et charismatiques, séduisantes, et finement moustachues.
Fandabidozi – Bobbie Dazzle Lorsque la première chose qu'on vous dit à propos d'un nouveau groupe est combien la chanteuse est canon, vous avez les meilleures raisons du monde de ressentir une certaine méfiance. Et lorsque la pochette de l'album, ainsi que toute la promo, sont manifestement axées sur la plastique de la jeune femme... tous les voyants sont au rouge. Bobbie Dazzle (qui n'est pas le nom de la fille en question) avait donc sur le papier tout pour faire fuir, ne fût-ce ce titre d'album aux relents brit de chez brit laissant supposer que, peut-être, on viendrait ici pour s'amuser. Bingo : la grosse déflagration glam-rock de l'année 2024 s'intitule Fandabidozi et donne, dans ses meilleurs moments, l'impression que Siouxsie a monté un side-project glitter avec les rejetons d'anciens membres de Slade et (surtout) The Sweet. Si vous cherchiez encore le meilleur groupe de rock old-school du moment, vous pouvez vous arrêtez aux premières minutes de "Lightning Fantasy".
Five Ways to Say Goodbye – Mick Harvey Pour la première fois depuis leur brouille il y a une quinzaine d'années, l'ex-alter ego de Nick Cave publiait un album simultanément au patron. S'il n'a sans surprise pas autant attiré la lumière, et s'il n'est pas grand-chose à reprocher au dernier opus du preacher australien au-delà d'un excès de davefridmanneries, il n'est pas dit que ce soit Wild God qui hante le plus souvent la platine durant les prochaines années. Plus en retenu bien qu'il gravite dans les mêmes sphères et évoque fondamentalement les mêmes thèmes, Five Ways est album de folk-blues délicat, sans chichi, où l'élégance le dispute à... l'élégance, car chez Harvey, il n'y a jamais de place pour la vulgarité (encore moins les davefridmanneries).
Hole in My Head – Laura Jane Grace J'avoue avoir un peu perdu d'oreille la trajectoire de Laura Jane Grace depuis la fin d'Against Me! et ses débuts en solo. 2024 fut donc l'année des retrouvailles avec une artiste que j'ai toujours tenue en haute estime mais à qui je n'ai jamais vraiment accordé autant de place (dans mes écoutes comme dans mes chroniques) que je ne l'aurais dû. Il faut dire que Hole in My Head avait tout pour me plaire puisque Grace y renoue avec un registre folk-punk braillard que j'adorais chez Against Me! mais qui se trouvait trop souvent relégué aux faces B. On peut toujours se demander si j'aurais autant aimé cet album à un autre moment, dans un autre contexte et avec des points de comparaison (je n'ai à ce jour toujours pas trouvé le temps d'écouter ses autres albums solo). Je suppose que l'avenir me le dira mais d'ici là, j'en serai vraisemblablement à la deux centième écoute d'"I'm Not a Cop".
Live at Home [Sonic Snapshot Series] – Dogs C'est en discutant avec un ami néerlandais de nos cadeaux de Noël respectifs que j'ai réalisé à quel point avoir reçu ce modeste collector m'avait touché. Je n'ai eu la chance de voir les Dogs qu'une seule fois sur scène, sans réellement mesurer qui et ce qu'ils étaient, et j'ai beau aimer leur live Short, Fast & Tight, ça n'a jamais été pareil – ce n'est après tout qu'un best of déguisé, aussi bon que tardif, où tous les titres ne rayonnent pas comme ils le devraient. Quelques vidéos YouTube éparses ne faisant guère foi, j'ai grandi dans l'idée que j'étais trop jeune pour jamais réellement entendre comment sonnaient les Dogs en vrai. Live at Home les cueille au faîte de leur art et ce n'est pas un petit mot puisque chez eux, c'est aussi chez moi, je n'étais pas dans le public ce soir de 1984 mais j'aurais l'occasion de fouler le sol (et même la scène) de l'Exo 7 bien des fois par la suite. Symboliquement, dans mon petit esprit tordu, c'est comme si quelque chose avait achevé de me (re)connecter au groupe. Bien entendu, nous parlons ni plus ni moins d'un bootleg qui n'a même pas pris la peine de repasser sa chemise pour l'occasion, je ne pourrais décemment le recommander à personne pour découvrir les Dogs, mais ce n'est pas son objet. Je ne sais d'ailleurs pas trop quel était son objet, à vrai dire. Mis à part de me remplir de joie.
[je n'ai pas trouvé d'extrait pour celui-ci mais il est en écoute sur Spotify]
MEGAPHENIX – Mustang Que celui qui a rappelé à mon souvenir l'existence de ce groupe vienne tout de suite chercher son accolade. Sérieusement : je ne sais plus comment j'ai découvert cet album, je me rappelle juste qu'on m'en a parlé autour de la fin d'année et d'avoir répondu "ah, oui, Mustang ? Ça existe encore ?" Oui ça existe, et non seulement, cher moi-même. Écriture racée, production intelligente et mélodie impeccables, tu passeras l'essentiel de tes innombrables écoutes à te demander pourquoi tu as si royalement ignoré ce groupe depuis la vague hype de son premier album à la fin des années 2000. Enfin, tu vas t'en douter, la réponse est dans la question : la hype adore dévorer ses enfants, elle ne bouffe même que cela, et il est très probable que comme des dizaines d'autres groupes français avant lui Mustang soit passé en dix minutes de nouvelle tendance à jeunes mecs déjà vieux galérant pour booker une tournée ou un studio. Ou pas, mais quelque chose dans les textes de cet album pernicieux au possible te dit quand même que oui. Et que c'est injuste.
Natural Magick – Kula Shaker Les habitués de ces pages auront peut-être noté un effort de ma part pour leur épargner mes habituelles marottes musicales, mais la meilleure volonté du monde ne saurait éclipser le fait que Kula Shaker ait trusté la platine durant la quasi totalité du printemps avec, comme d'habitude, l'un des albums les plus lumineux et brillants de l'année. Enfin comme d'habitude... c'est vite dit tant ce Natural Magick s'éloigne des sentiers battus psychés pour ramener le groupe à une forme de pop groovy et vivifiante, pugnace à sa manière (donc tel qu'on l'entendait bien avant ma naissance, la vôtre et même celle de ses auteurs), qu'on n'avait généralement l'habitude de ne croiser que par éclats sur leurs disques passés. Court, ramassé et aussi rose que sa pochette, Natural Magick est certainement l'album le plus catchy de ses auteurs, et s'il a l'évident défaut de balancer tous ses meilleurs titres d'entrée, il est inutile de préciser qu'il a déjà rejoint mon Panthéon personnel – puisque, comme chaque sait, le monde a besoin de Kula Shaker.
New Zealand Survival Songs – Amanda Palmer On n'écrit pas assez sur Amanda Palmer. Moi le premier. Peut-être parce que ses ouvrages solo n'ont pas la joyeuseté baroque du temps des Dresden Dolls. Peut-être parce que son art du storytelling s'exporte assez mal dans des pays n'étant pas capables d'apprécier l'intensité tragi-comique de ses textes. Peut-être aussi parce qu'enquiller les singles et les EPs plutôt que des albums traditionnels, si cela se prête parfaitement à l'époque, n'aide pas les médias à vraiment se poser. Cet EP live n'inversera aucune tendance mais, pour m'avoir accompagné une bonne partie de l'année, il me donne l'occasion de prendre cinq minutes de mon temps pour écrire noir sur blanc qu'Amanda Palmer est, de loin, l'une des meilleures singer-songwriteuses-performeuses en en activité. Dans une époque où, sous couvert de pluralisme, on nous inonde de, hum, "nouvelles chanteuses" plus standardisées les unes que les autres, chaque note de chaque chanson de Palmer est un véritable bol d'air.
Petrichor – 070 Shake On peut reprocher ce qu'on veut à Courtney Love, et on peut me reprocher à moi de lui vouer un culte souvent déraisonnable, mais s'il est un point sur lequel on et moi pourront sans problème nous accorder, c'est qu'elle est une meilleure critique musicale que pas mal de journalistes et qu'elle n'est pas du genre à donner blanc-seing à n'importe qui. Encore moins s'il s'agit de collaborer avec la personne en question. C'est donc par ce biais que je suis arrivé à Petrichor (ce qui n'a rien d'étonnant tant le quadragénaire que je suis est largué devant toute la vague R&B/Hyperpop/Altrapmachintruc) et je n'en suis à ce jour toujours pas revenu. C'est sombre, intrigant, synthétique mais vibrant, ça reprend Tim Buckley en citant volontiers Depeche Mode ou les Cocteau Twins (si, si), et il semblerait que ce gloubigoulga post-post-moderne se vende en plus comme des petits pains. Honnêtement, le quadragénaire que je suis ne sait plus dans quel monde il vit.
Bon ben j'ai écouté aucun des albums de cette sélection... (en fait si, j'ai écouté le Ed Harcourt mais j'ai du vérifier sur ma liste, c'est dire si je m'en souviens...)
RépondreSupprimerJe note le Bobbie Dazzle, qui a effectivement de beaux arguments (quoique la flûte traversière, ça me gonfle vite). Et le Mick Harvey, tiens, pourquoi pas...