Generation Kill c'est un peu le film de guerre comme on l'aime - mais transposé au format série et pour un peu qu'on l'ait jamais aimé vraiment. Comprendre par-là : sans héroïsme exagéré (quasiment sans héroïsme tout court, en fait), sans patriotisme exacerbé (mis à part pour le tourner en dérision) et sans affection démesurée pour l'armée américaine. Un film de guerre de gauche, en somme... ce qui n'a rien de très étonnant de la part de David Simon et Ed Burns, auteurs et producteurs de The Wire, si politisés et si engagés que leurs amis se moquent régulièrement d'eux en disant qu'ils font de la télé parce qu'on n'a pas voulu d'eux aux Parti Démocrate.
Un film de guerre de gauche qui est en fait (évidemment) une série... et dont le côté profondément engagé, c'est si rare, n'exclut en rien la subtilité et l'intelligence. En adaptant le livre éponyme dans lequel Evan Wright, reporter à Rolling Stone, relatait les quarante premiers jours de l'opération Iraqi Freedom, il aurait été tentant de réaliser un documentaire à charge vu par les yeux du journaliste candide rapportant les horreurs d'une guerre absurde. Il n'en est rien. Generation Kill applique littéralement à la guerre le même procédé que The Wire appliquait à la ville de Baltimore - c'est-à-dire la multiplication des points de vue sans qu'aucun prenne le pas sur les autres. Evan Wright est bien là, remarquablement incarné par Lee Tergesen (OZ) et comme de juste dépassé par ce qu'il voit ; il est loin d'être le seul à avoir la parole, et la caméra de glisser de l'un à l'autre des boys au risque que le spectateur s'y perde un peu au départ - mais au bénéfice d'une oeuvre chorale évidemment bien plus intéressante.
Qualité indéniable de ce procédé : il évite aux auteurs de perdre du temps à s'interroger le bien-fondé de cette guerre. A aucun moment la légitimité de l'intervention n'est en cause, la seule trace de l'opinion de Simon et Burns transparaissant dans le fait que les personnages appellent tous un chat un chat et une invasion, une invasion. Le reste des sept épisodes se contente (litote) de montrer la guerre d'Irak comme si on y était, avec sa multiplication des divisions et des commandements particulièrement ardus à relier entre eux, sa stratégie chaotique voire parfois absurde (l'épisode 3 est un véritable sommet de ce point de vue, qui montre, tout à la fois effarant et burlesque, le "Parrain", Big Boss de la division, envoyant une petite unité libérer une ville alors que les blindés viennent de la contourner sans réagir...) et ses boys humains, trop humains. Pas nécessairement perdus, mais profondément divisés quand à la marche à suivre et la pertinence des ordres qu'ils reçoivent. Jamais sans doute une fiction sur la guerre aura à ce point mis en relief cet abandon de soi à un commandement supérieur inhérent au champ de bataille. Cette négation de l'individu au profit d'un collectif tout aussi capable, en Irak comme sur la Lune, de sombrer dans l'hystérie ou la bêtise.
De même pour une raison évidente de format jamais aucun film n'aura si bien montré que la guerre, c'est surtout et même avant tout... de l'attente. On le sait certes depuis Remarque et A l'Ouest rien de nouveau ; dans Generation Kill on les voit de nos propres yeux, ces soldats s'emmerdant à cents dollars de l'heure et jouant en trois minutes d'adrénaline le droit à s'ennuyer encore quelques jours. Wire's touch' toujours : l'essentiel de la série repose sur une succession de dialogues parfois franchement comiques, presque banals, sur la vie, la mort, les femmes ou le port de la barbe. Ce pourrait être ennuyeux. C'est particulièrement touchant, reflet de toute la philosophie de Simon et Burns : le refus du manichéisme dans les caractères présentés se doit systématiquement de faire écho au refus du manichéisme dans l'approche. Les deux midas du docu-fiction n'ont, on le sait depuis longtemps, qu'un goût très modéré pour le patriotisme. Ils n'affichent en revanche aucun mépris pour les patriotes. Ils n'affectionnent pas spécialement la guerre ; ils témoignent cependant d'un sincère respect pour l'engagement des soldats. En ainsi de suite. Engagés assurément - mais humanistes avant tout.
Generation Kill, créée par David Simon, Ed Burns & Evan Wright (HBO, 2008)
Un film de guerre de gauche qui est en fait (évidemment) une série... et dont le côté profondément engagé, c'est si rare, n'exclut en rien la subtilité et l'intelligence. En adaptant le livre éponyme dans lequel Evan Wright, reporter à Rolling Stone, relatait les quarante premiers jours de l'opération Iraqi Freedom, il aurait été tentant de réaliser un documentaire à charge vu par les yeux du journaliste candide rapportant les horreurs d'une guerre absurde. Il n'en est rien. Generation Kill applique littéralement à la guerre le même procédé que The Wire appliquait à la ville de Baltimore - c'est-à-dire la multiplication des points de vue sans qu'aucun prenne le pas sur les autres. Evan Wright est bien là, remarquablement incarné par Lee Tergesen (OZ) et comme de juste dépassé par ce qu'il voit ; il est loin d'être le seul à avoir la parole, et la caméra de glisser de l'un à l'autre des boys au risque que le spectateur s'y perde un peu au départ - mais au bénéfice d'une oeuvre chorale évidemment bien plus intéressante.
Qualité indéniable de ce procédé : il évite aux auteurs de perdre du temps à s'interroger le bien-fondé de cette guerre. A aucun moment la légitimité de l'intervention n'est en cause, la seule trace de l'opinion de Simon et Burns transparaissant dans le fait que les personnages appellent tous un chat un chat et une invasion, une invasion. Le reste des sept épisodes se contente (litote) de montrer la guerre d'Irak comme si on y était, avec sa multiplication des divisions et des commandements particulièrement ardus à relier entre eux, sa stratégie chaotique voire parfois absurde (l'épisode 3 est un véritable sommet de ce point de vue, qui montre, tout à la fois effarant et burlesque, le "Parrain", Big Boss de la division, envoyant une petite unité libérer une ville alors que les blindés viennent de la contourner sans réagir...) et ses boys humains, trop humains. Pas nécessairement perdus, mais profondément divisés quand à la marche à suivre et la pertinence des ordres qu'ils reçoivent. Jamais sans doute une fiction sur la guerre aura à ce point mis en relief cet abandon de soi à un commandement supérieur inhérent au champ de bataille. Cette négation de l'individu au profit d'un collectif tout aussi capable, en Irak comme sur la Lune, de sombrer dans l'hystérie ou la bêtise.
De même pour une raison évidente de format jamais aucun film n'aura si bien montré que la guerre, c'est surtout et même avant tout... de l'attente. On le sait certes depuis Remarque et A l'Ouest rien de nouveau ; dans Generation Kill on les voit de nos propres yeux, ces soldats s'emmerdant à cents dollars de l'heure et jouant en trois minutes d'adrénaline le droit à s'ennuyer encore quelques jours. Wire's touch' toujours : l'essentiel de la série repose sur une succession de dialogues parfois franchement comiques, presque banals, sur la vie, la mort, les femmes ou le port de la barbe. Ce pourrait être ennuyeux. C'est particulièrement touchant, reflet de toute la philosophie de Simon et Burns : le refus du manichéisme dans les caractères présentés se doit systématiquement de faire écho au refus du manichéisme dans l'approche. Les deux midas du docu-fiction n'ont, on le sait depuis longtemps, qu'un goût très modéré pour le patriotisme. Ils n'affichent en revanche aucun mépris pour les patriotes. Ils n'affectionnent pas spécialement la guerre ; ils témoignent cependant d'un sincère respect pour l'engagement des soldats. En ainsi de suite. Engagés assurément - mais humanistes avant tout.
Generation Kill, créée par David Simon, Ed Burns & Evan Wright (HBO, 2008)
Vu et 100 % approuvé !
RépondreSupprimerC'est une formidable série. Au point que je ne comprenne pas pourquoi tu ne mets pas la note maximale...
RépondreSupprimerC'est vrai que pour un truc guerre c'est vachement bien. Plus comme un doc que comme un film de guerre.
RépondreSupprimerComme dirait Bloom "formidable série". Ca donnerait presque envie de faire la guerre pour aller taper le carton avec les boys :(
RépondreSupprimerN'exagère pas, lune sérieuse ;)
RépondreSupprimerBloom >>> je ne sais pas. En fait paradoxalement, je crois que ce qui m'a retenu est le fait qu'il s'agisse des auteurs de The Wire. Mettre la note maximum, c'était induire que Generation Kill était du même niveau, ce qui à mon avis n'est pas le cas. Ce qui ne l'empêche pas d'être une... "formidable série" (TM)
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