La musique d'Anthony Joseph & The Spasm Band est du genre fiévreux. C'est tellement vrai que c'en est devenu un lieu commun, quand bien même nous serons tous d'accord avec le fait que ça ne veut rien dire. Alors histoire de conférer un peu de sens à cette expression toute faite, le courageux rédacteur de Culturofil – magazine décidément à la pointe de l'innovation – a décidé d'aller rencontrer Anthony avec trente-neuf de fièvre (1) – histoire de sentir la différence. Le journalisme expérimental, décidément, a de beaux jours devant lui.
Il faut voir Anthony Joseph pour le croire – ou plutôt en l'occurrence pour ne pas le croire – mais ce type n'a de prime abord rien d'extraordinaire. C'est peut-être ce qui le rend si fascinant. Oh bien sûr, il a cette beauté, ce visage presque enfantin... mais ça ce n'est pas exceptionnel, tout au plus notable. Rien en revanche qui indique que ce Trinidadien d'une quarantaine d'années, souriant et d'une gentillesse désarmante, vient de publier le meilleur album funk de 2009 (un des albums de 2009, tout court). Rien de spécialement impressionnant, rien de plus charismatique qu'un autre. Si peu à voir avec le chanteur habité ayant pris l'excellente habitude d'essorer chaque spectateur de chaque concert à coup de groove phénoménal et de soul bouillonnante. Rien qui suggère que ce garçon soit une véritable poudrière prête à exploser au terme des douze minutes tribales et apocalyptiques de "Jungle", morceau phare du superbe Bird Head Son... Mais faut-il s'en étonner, venant de quelqu'un fasciné par le carnaval (2) et tout ce qu'il implique – le renversement des valeurs en tête ?
« J'ai toujours pensé que nous avions tous différentes personnalités... moi, quand je monte sur scène je deviens quelqu'un d'autre – je suis comme possédé... mais je ne connais pas le type qui fait tout ça, je ne sais pas d'où il vient. » De là à dire que le terme voodoo-funk, régulièrement repris sur les affiches et autres flyers, n'est pas usurpé... il n'y a pas qu'on franchira tranquillement : « Voodo-funk , oui, ça me convient. Parfois les gens sont étonnés, ils me disent "Mais c'est quoi ça ? Le vaudou c'est pas un style de musique"... mais je crois qu'il y a quelque chose de cela, en effet. » Parti comme ça, impossible de ne pas finir par évoquer la dimension chamanique de son personnage scénique ; « chamanique » ! Ce mot ! Qu'on accole guère, dans la pop-culture occidentale, qu'à quelques immenses – Jim Morrison en tête évidemment. Une simple évocation qui suffit à illuminer Anthony : « Morrison, bien sûr ! Je l'adore – je suis un très grand fan des Doors. Tous les albums ! Avec une petite préférence pour Morrison Hotel et L.A. Woman . » The Blues Ones. Of course.
Tout cela est passionnant mais ne nous dit cependant pas comment on en arrive à Bird Head Son , à cet album incroyable et à cette richesse mélodique et stylistique nettement au-dessus de la moyenne soul contemporaine. À ce "Vero" transcendé par la guitare en apesanteur de Keziah Jones (décidément aussi grand musicien que piètre compositeur). À ce "Blues for Cousin Alvin" tout en ruptures, décollant du jazz pour se crasher dans un océan de funk. À ce "Two Inch Limbo" rappelant le meilleur de Gil Scott Heron. À un album en somme susceptible d'enchanter un public si vaste et si différent, au point de caracoler depuis des mois en tête du Classement des blogueurs, tout cela sans être consensuel mais au contraire complètement fêlé sinon furieux.
Pour percer ce secret on creuse donc dans le passé ; la jeunesse de l'artiste dans un état comptant un million d'habitants à tout casser. Après tout, c'est de cela que parle l'album. De Trinidad. D'un jeune homme que l'on surnommait Bird Head Son parce qu'il était le fils d'un gars pourvu d'une toute petite tête sur un corps massif. De la famille. Du père démissionnaire, aussi ("Conductors of His Mystery"). Poète bien longtemps avant de s'imaginer sur une scène (ce passionné de surréalisme a d'ailleurs publié trois recueils de poésie et un roman), il nous en raconte des choses, Anthony. Et des qu'on n'entend pas tous les jours. Il y a à l'écoute de son album ce sentiment particulier d'inconnu et de proximité, d'étranger (la grande majorité des gens ici ne sait strictement rien de Trinité-et-Tobago) et de familier (dans ce son chaud qui nous enveloppe, dans cette atmosphère tendre et festive jusque dans les passages les plus sombres du disque (l'anathème de "River of Masks" est un excellent exemple). On ne peut pas réellement dire que ce soit un album dépaysant pour quiconque a écouté de la soul ou du funk ces trente dernières années ; mais il y a en revanche, en dehors des immenses qualité d'interprétations, une approche inédite, personnelle et presque irrésistible. Une manière d'aborder ces musiques sans complexe et sans révérence exagérée qui interpelle, puis conquiert. Puis fascine.
« Plus jeune je n'avais pas de style de prédilection... bien sûr à Trinidad nous avons notre propre musique, le calypso [ce n'est pas peu dire qu'Anthony Joseph s'inscrit dans cette lignée], et j'en ai pas mal écouté... mais on était aussi beaucoup baigné dans le reggae, et puis on écoutait énormément ce qui passait à la radio à l'époque : Led Zeppelin, Black Sabbath, James Brown, les Jackson... » Le jazz ? « C'est venu plus tard, tout comme Fela Kuti... » La mixité, donc. Ici réside peut-être la modernité de Joseph et de quelques autres : on fait du revival (car aussi sublime que soit Bird Head Son, c'est bien de cela qu'il s'agit) tout en abattant les cloisons au passage. Il est possible que pris individuellement, chacun des titres de ce fabuleux album ait pu paraître au cours d'une autre décennie. Que ce soit le fait qu'ils cohabitent dans le même espace sonore qui les rendent si contemporains. C'est probable. On aurait pu demander à l'intéressé ce qu'il en pensait. On n'y a pas pensé sur le coup.
La faute à la fièvre, bien sûr.
(1) Oui, je sais, c'est irresponsable, l'Artiste eut pu être contaminé !
(2) Anthony Joseph vient tout de même de Trinidad, île connue pour proposer chaque année le plus grand carnaval des Caraïbes.
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Il faut voir Anthony Joseph pour le croire – ou plutôt en l'occurrence pour ne pas le croire – mais ce type n'a de prime abord rien d'extraordinaire. C'est peut-être ce qui le rend si fascinant. Oh bien sûr, il a cette beauté, ce visage presque enfantin... mais ça ce n'est pas exceptionnel, tout au plus notable. Rien en revanche qui indique que ce Trinidadien d'une quarantaine d'années, souriant et d'une gentillesse désarmante, vient de publier le meilleur album funk de 2009 (un des albums de 2009, tout court). Rien de spécialement impressionnant, rien de plus charismatique qu'un autre. Si peu à voir avec le chanteur habité ayant pris l'excellente habitude d'essorer chaque spectateur de chaque concert à coup de groove phénoménal et de soul bouillonnante. Rien qui suggère que ce garçon soit une véritable poudrière prête à exploser au terme des douze minutes tribales et apocalyptiques de "Jungle", morceau phare du superbe Bird Head Son... Mais faut-il s'en étonner, venant de quelqu'un fasciné par le carnaval (2) et tout ce qu'il implique – le renversement des valeurs en tête ?
« J'ai toujours pensé que nous avions tous différentes personnalités... moi, quand je monte sur scène je deviens quelqu'un d'autre – je suis comme possédé... mais je ne connais pas le type qui fait tout ça, je ne sais pas d'où il vient. » De là à dire que le terme voodoo-funk, régulièrement repris sur les affiches et autres flyers, n'est pas usurpé... il n'y a pas qu'on franchira tranquillement : « Voodo-funk , oui, ça me convient. Parfois les gens sont étonnés, ils me disent "Mais c'est quoi ça ? Le vaudou c'est pas un style de musique"... mais je crois qu'il y a quelque chose de cela, en effet. » Parti comme ça, impossible de ne pas finir par évoquer la dimension chamanique de son personnage scénique ; « chamanique » ! Ce mot ! Qu'on accole guère, dans la pop-culture occidentale, qu'à quelques immenses – Jim Morrison en tête évidemment. Une simple évocation qui suffit à illuminer Anthony : « Morrison, bien sûr ! Je l'adore – je suis un très grand fan des Doors. Tous les albums ! Avec une petite préférence pour Morrison Hotel et L.A. Woman . » The Blues Ones. Of course.
Tout cela est passionnant mais ne nous dit cependant pas comment on en arrive à Bird Head Son , à cet album incroyable et à cette richesse mélodique et stylistique nettement au-dessus de la moyenne soul contemporaine. À ce "Vero" transcendé par la guitare en apesanteur de Keziah Jones (décidément aussi grand musicien que piètre compositeur). À ce "Blues for Cousin Alvin" tout en ruptures, décollant du jazz pour se crasher dans un océan de funk. À ce "Two Inch Limbo" rappelant le meilleur de Gil Scott Heron. À un album en somme susceptible d'enchanter un public si vaste et si différent, au point de caracoler depuis des mois en tête du Classement des blogueurs, tout cela sans être consensuel mais au contraire complètement fêlé sinon furieux.
Pour percer ce secret on creuse donc dans le passé ; la jeunesse de l'artiste dans un état comptant un million d'habitants à tout casser. Après tout, c'est de cela que parle l'album. De Trinidad. D'un jeune homme que l'on surnommait Bird Head Son parce qu'il était le fils d'un gars pourvu d'une toute petite tête sur un corps massif. De la famille. Du père démissionnaire, aussi ("Conductors of His Mystery"). Poète bien longtemps avant de s'imaginer sur une scène (ce passionné de surréalisme a d'ailleurs publié trois recueils de poésie et un roman), il nous en raconte des choses, Anthony. Et des qu'on n'entend pas tous les jours. Il y a à l'écoute de son album ce sentiment particulier d'inconnu et de proximité, d'étranger (la grande majorité des gens ici ne sait strictement rien de Trinité-et-Tobago) et de familier (dans ce son chaud qui nous enveloppe, dans cette atmosphère tendre et festive jusque dans les passages les plus sombres du disque (l'anathème de "River of Masks" est un excellent exemple). On ne peut pas réellement dire que ce soit un album dépaysant pour quiconque a écouté de la soul ou du funk ces trente dernières années ; mais il y a en revanche, en dehors des immenses qualité d'interprétations, une approche inédite, personnelle et presque irrésistible. Une manière d'aborder ces musiques sans complexe et sans révérence exagérée qui interpelle, puis conquiert. Puis fascine.
« Plus jeune je n'avais pas de style de prédilection... bien sûr à Trinidad nous avons notre propre musique, le calypso [ce n'est pas peu dire qu'Anthony Joseph s'inscrit dans cette lignée], et j'en ai pas mal écouté... mais on était aussi beaucoup baigné dans le reggae, et puis on écoutait énormément ce qui passait à la radio à l'époque : Led Zeppelin, Black Sabbath, James Brown, les Jackson... » Le jazz ? « C'est venu plus tard, tout comme Fela Kuti... » La mixité, donc. Ici réside peut-être la modernité de Joseph et de quelques autres : on fait du revival (car aussi sublime que soit Bird Head Son, c'est bien de cela qu'il s'agit) tout en abattant les cloisons au passage. Il est possible que pris individuellement, chacun des titres de ce fabuleux album ait pu paraître au cours d'une autre décennie. Que ce soit le fait qu'ils cohabitent dans le même espace sonore qui les rendent si contemporains. C'est probable. On aurait pu demander à l'intéressé ce qu'il en pensait. On n'y a pas pensé sur le coup.
La faute à la fièvre, bien sûr.
👍👍 Bird Head Son
Anthony Joseph & The Spasm Band
Naïve, 2009
(1) Oui, je sais, c'est irresponsable, l'Artiste eut pu être contaminé !
(2) Anthony Joseph vient tout de même de Trinidad, île connue pour proposer chaque année le plus grand carnaval des Caraïbes.
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J'avais déjà lu cet entretien-portrait, mais je vous laisse un commentaire, histoire de vous remonter le moral, il paraît que vous en manquez.
RépondreSupprimerBBB.
C'est aimable à vous ^^
RépondreSupprimerC'est vrai que depuis quelques jours, j'en viens à être dégoûter de mon propre blog (qui ne m'a pourtant rien fait de mal).
Haut les coeurs :)
RépondreSupprimerL'important c'est que les articles soient en état. Les commentaires on s'en fout, on en refera des centaines ;)
Totalement d'accord avec SM (on retourne remplir l'article sur Muse, Serious? ;-) )
RépondreSupprimerJe pensais plutôt suggérer de rebooter le "menu best of" :)
RépondreSupprimerRah je suis trop zaraf, plus un comm' sur Muse... j'ose pas regarder le post concernant Eudeline XD
RépondreSupprimerJe suis content de voir que mon cauchemar vous amuse :-)
RépondreSupprimerRien à voir avec Anthony Joseph, ni avec le Cauchemar des Commentaires...
RépondreSupprimerLe "Bandini" de Fante qui se trouve "au pied de [ta] table de nuit", est-ce son tout premier ? Il me semble avoir déjà lu que c'est le même que "La route de Los Angeles", et qu'on le trouve sous les 2 titres. Si tu peux éclairer ma lanterne ;-)
Salut Dahu,
RépondreSupprimerC'est le premier de la tétralogie Bandini dans l'ordre de publication, Wait Until Spring, Bandini (ou Bandini tout court selon les éditions). Ce n'est cependant le premier roman de Fante, qui pour sa part s'intitule effectivement The Road to Los Angeles (je l'ai chroniqué sur Le Golb, je te renvoie à l'index pour plus ample informé car je ne peux pas mettre de lien ce soir (le cauchemar continue)). Premier roman qui est en fait paru seulement au milieu des années 80 et est donc considéré comme le quatrième volet du cycle de Bandini.
Je ne suis pas très au fait des versions françaises, mais sauf erreur de ma part en VF La Route de LA et Bandini sont deux livres différents.
Sinon personne pour dire qu'Anthony Joseph est génial ? :-)
RépondreSupprimerMerci d'exister mon ràmon :-)
RépondreSupprimerThom : merci pour les éclaircissements ! Pour le moment, au pied de ma propre table de nuit, il y a "Mon chien stupide" qui me fait de l'oeil, je ne vais pas tarder à le dév... le lire, quoi ^^
RépondreSupprimerEl-Jam : ah ça, pas de problème pour dire (beaucoup) de bien d'Anthony Joseph, mais
1 : je m'efforce de faire gaffe avec l'adjectif "génial" (comme avec d'autres termes comme "hype" ou "grand public" :o))
2 : j'en ai déjà dit du bien aut'part (d'ailleurs je sais plus si j'avais employé le terme "fiévreux"...^^), donc j'essaye de ne pas trop radoter.
3 : j'admets, "Dream on corbeau mountain" est une de mes chansons de l'année ;-)
L'album, découvert grâce à GT et depuis acheté en vinyle, est vraiment l'une des très bonnes surprises de cette année.
RépondreSupprimerEt la découverte du groupe en live à Solidays un grand souvenir.
Ah ! c'était toi ! je n'arrivais plus à me rappeler qui avait chroniqué son concert à Solidays.
RépondreSupprimerJ'aime bien avec beaucoup de retard.
RépondreSupprimerMais j'ose : c'est vraiment trop long pour un amateur relatif de ce genre musical...
(vais retenir cette expression tiens; 'amateur relatif', ça pourrait resservir...)
Ah oui ? Trop long, tu trouves ? J'avoue que je n'y avais pas pensé...
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