Will Self - Service minimum... mais ace, quand même.

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"Eh bien, Mrs Lincoln est une Tayswengo et les Tayswengos ne croient pas aux accidents..."

Loufoque, corrosif, hilarant, violent, sarcastique, sanglant, vitriolé, puissant... Will Self est un gars fatigant qui, à force, finira un jour par user tous nos qualificatifs. Déjà, seuls les journalistes faisant semblant de le lire depuis toujours alors qu'ils l'ont découvert la semaine dernière osent encore utiliser le champ lexical de la déjante. Will Self en est de toute façon l'incarnation - tous ceux qui l'ont lu le savent. Et si d'aventure certains en doutaient encore The Butt, satire ricanante et selfienne en Diable du post-colonialisme, devrait savoir les convaincre sans grand mal. Comme à son habitude, l'auteur de Cock & Bull n'y est avare ni de péripéties ni de ce raffinement sauvage caractéristique de son style. Avec toujours ce même sens aigu du burlesque l'auteur, qui connaît ses classiques (il a tout de même publié un remake Dorian Gray !), s'y entend comme personne pour chanter les louanges du politiquement incorrect en surfant sur les trames les plus capilotractées - en l'occurrence les mésaventures d'un Européen sur une île non identifiée jetant malencontreusement son mégot sur la tête d'un autochtone et se retrouvant embarqué dans une spirale infernale.

Aussi poilant qu'angoissant, The Butt s'avère rapidement aussi kafkaïen que ce que son point de départ laisse entendre. Il l'est même jusqu'au bout des ongles de son héros, variation contemporaine (façon gentil occidental inconscient de ce que sa pensée contient de relents colonialistes) sur un Joseph K. avec lequel il partage une certaine forme de candeur naïve, d'insouciance décalée, ressort ici plus volontiers comique que tragique - en tout cas assez proche de la narration si particulière du Procès. On vient à rire tout en s'interrogeant sur notre propre cruauté, notre propre inculture et notre propre bêtise. C'est plus que bien vu (et bien écrit - mais ça cela va sans dire).

Et pourtant... difficile d'être aussi enthousiaste qu'on le souhaiterait. Peut-être, justement, parce que c'est Will Self... et qu'on se surprendrait presque par instants à le trouver un peu petit-bras sur ce coup. Il n'est certes pas aisé de donner suivre à deux chefs-d'oeuvre comme Dorian et The Book of Dave, qui dès leur sortie furent largement salués comme deux des plus grands livres des années deux mille. On ne peut tout de même pas être génial à tous les coups. Bien entendu. Ce qui dérange cependant avec The Butt (quoique n'empêchant en aucun cas d'apprécier toutes ses qualités), c'est qu'on n'a vraiment l'impression que Will Self n'a même pas voulu essayer. En somme : qu'il ne s'est pas trop foulé, s'est contenté d'écrire une de ces satires gonflées et punk qui ont fait son succès à ses débuts (on est clairement plus dans la veine de My Idea of Fun, voire de The Quantity Theory of Insanity), ce qui en fait probablement son roman le plus faible - en cela que pour la première fois depuis des années on n'est en rien surpris par sa nouvelle publication (enfin... nouvelle... tout est relatif puisque comme le veut la tradition, à chaque fois que je chronique le dernier livre de Will Self le suivant sort dans la foulée (*)). Pas de quoi le clouer au pilori, évidemment : le plus faible des Will Self reste meilleur que beaucoup de choses. On a tous tendance à être plus sévères avec les artistes que l'on vénère, je suppose.


The Butt [No Smoking], de Will Self (2008)

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(*) Psycho Too (oui, la suite de Psycho-Geography !) paraît en effet en décembre...

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