Épitaphe à Dollhouse

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Ci-gît la meilleure série de SF de ces dernières années. Ci-gît la série que l'on citera en référence dans quelques temps, lorsqu'il deviendra évident que son apport au genre aura été inversement proportionnel à ses audiences (considérable, donc... et pas qu'un peu).

On avait défendu mordicus dans ces pages la première saison, son univers ultra stylisé et ses faiblesses réelles mais justifiables. On ne risque pas de changer notre fusil d'épaule maintenant que la série vient de s'achever sur un second chapitre en tout point supérieur au premier et fort justement encensé par les mêmes qui méprisèrent le premier. Reconnaissons à nos contradicteurs d'avoir au moins raison sur un point : il n'est quasiment pas besoin d'avoir vu la première saison pour adorer la seconde (*). Il n'empêche que lorsqu'on l'a vue et comprise, Dollhouse prend une toute autre dimension. Au point que si ce n'était la Fox - soit donc un genre de super-mega TF1... en pire - on aurait presqu'envie d'embrasser son directeur des programmes pour avoir prolongé contre tout bon sens ce qui ressemblait fort, du point de vue commercial, au proverbial accident industriel.

Entre temps, Joss Whedon s'en est largement expliqué : il avait conçu la série pour et avec Eliza Dushku, laquelle était sous contrat d'exclusivité avec la chaîne de Rupert Murdoch. Ce fut sa croix, mais aussi peut-être paradoxalement la raison pour laquelle Dollhouse eut droit à une seconde saison, et en entier s'il vous plaît... alors que n'importe quelle autre chaîne l'aurait probablement annulée depuis longtemps. On pourrait le déplorer ; essayons plutôt de nous en féliciter. Car la suite de Dollhouse est un modèle de réussite avoisinant la perfection sur quasiment tous les points. Remarquable d'intensité, elle s'ouvre dans la noirceur la plus totale et se referme sur une conclusion dont la poésie n'a d'égal que l'aspect profondément dérangeant.

On a beaucoup dit et écrit que Dollhouse était devenue de manière relativement inattendue l'une des séries les plus complexes de la dernière décennie. Ce n'est pas faux, mais ce n'est pas ça qui la rend si incontournable. Ce qui la démarque des autres, et plus spécialement des autres séries mainstreams (mais suffit-il de passer sur un grand réseau US pour être mainstream ? Après Dollhouse la réponse ne sera définitivement plus la même...), c'est que c'est de loin le programme le plus oppressant qu'on ait pu voir depuis Battlestar Galactica. Un univers flippant, anxiogène, tout de faux-semblants et de paranoïa. Sans aucun doute ce qu'on aura réalisé de plus proche de l'œuvre de Philip K. Dick à la télévision - dans l'atmosphère comme dans les thèmes. Chaque épisode constitue un crescendo dans la noirceur et l'angoisse, et la violence symbolique et psychologique est si omniprésente qu'elle en est parfois intolérable.

C'est qu'entre la première et la seconde saison, Whedon et ses ouailles ont eu l'excellente idée de faire passer Echo au second plan (pas plus mal du point de qualitatif, Eliza Dushku n'ayant clairement pas la carrure pour tenir une série aussi ambitieuse à elle toute seule). Ou disons plutôt de traiter les personnages de manière plus équitable. Et le voyage dans les psychés torturées de Topher (merveilleux héros tragique), d'Adèle (fascinante) ou de Ballard (de plus en plus ambigu et malsain au fil des épisodes) n'est pas beau à voir. Ajoutons à cela les renforts de poids de Keith Carradine (Dexter) et du toujours excellent Alexis Denisof et nous voilà avec une brochettes de héros cassés voire pervers, qu'il est fort commode de propulser dans l'univers toujours aussi feutré et aseptisé de la maison de poupées, pris dans les méandres d'une intrigue les dépassant tous.

Bien sûr, il y aura de quoi nourrir quelques regrets. Moins pour la série en elle-même d'ailleurs que pour son auteur, tant Dollhouse, poignante et visuellement sublime, apparaît comme une espèce d'apothéose du style Whedon. Rompant définitivement avec son goût pourtant réputé pour les stand-alone, il compose ici la storyline la plus prenante de sa carrière, assortie de la mythologie la plus originale et captivante - sans bien sûr rien perdre de son esthétisme ou de son sens inné du dialogue (il se déchaîne même sur ce dernier point, chaque scène renfermant une voire plusieurs phrases à double, triple, quadruple entrée !). Formellement parlant, Dollhouse est probablement la série qu'il ambitionnait de réaliser depuis dix ans et le virage dark de Buffy. C'est d'ailleurs dans le fond la première fois depuis l'arrêt de cette dernière qu'un arc d'épisodes signé Whedon rivalise réellement avec les aventures de la Tueuse, la première fois que l'on en vient à se poser la question de savoir si ce que l'on est en train de voir là n'est pas supérieur à Buffy. En terme de thématique et d'originalité, en fait, la question ne se pose même pas. Le reste nous sera démontré par le temps. Une chose est sûre : Dollhouse hantera les rares personnes à l'avoir vue pendant encore très longtemps. Par les questions philosophique qu'elle soulève, par la pression qu'elle nous met et par sa perfection formelle, elle mérite amplement la place que les critiques américains lui offrent d'ores et déjà au Panthéon.


Dollhouse (saison 2), créée par Joss Whedon (FOX, 2010)

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(*) Il est en revanche OBLIGATOIRE d'avoir vu le pilote censuré par la Fox (mais sorti dans le coffret dvd) sous peine de ne strictement rien pigé au dernier épisode.
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