samedi 20 mars 2010

D.H. Lawrence V.S. Les Mystères de la Grande Création Littéraire

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Le Dieu des Lettres étant un Être Supérieur épris de justice, il décida il y a fort longtemps de répartir équitablement le talent entre ses nombreux enfants. Ainsi décida-t-il au neuvième jour - car on le sait peu mais la Grande Création Littéraire dura neuf jours - que même les plus grands écrivains ne seraient pas doués dans tous les domaines, qu'il fallait doser le génie en chaque être, ce aussi bien afin d'éviter aux uns de devenir fous - car on le sait bien le génie rend fou - qu'aux autres de crever de jalousie, voire de devenir d'odieux païens reprochant au Seigner de les avoir négligés. Interrogé à ce sujet en 1976, Dieu répondit en ces termes sybillins : "Il en faut pour tous les goûts, Monsieur Mourousi".

Les choses auraient dû en rester là. Après tout, un commandement de Dieu n'est pas censé prêter le flan au débat. Sauf que non : dans notre sale époque impie, tout est sujet au débat. Même le Dieu des Lettres. Et même si ses enfants, pour leur part, ne s'en sont jamais plaints. Dans une partie beaucoup moins connue de cet entretien exclusif, Mourousi renchérit : "Mais par exemple : pourquoi les grands romanciers ne sont-ils jamais de grands nouvellistes, les grands nouvellistes de grands poètes, les grands poètes de grands dramaturges... etc ?" Et de citer quelques exemples fameux, le très mauvais théâtre de Diderot (tellement mauvais que plus personne ne se souvient qu'il en a écrit, ce qui ne serait pas plus mal si l'on en croit une source proche du Ministère des Génies), les romans très quelconques de Gautier... et bla et bla. Et bla. Et encore bla. Dieu écoutait, ne pipait mot, visiblement étonné par le quasi procès d'intention que Lui intentait Mourousi. C'est alors qu'Il lâcha, avec ce divin petit sourire en coin : "Excusez-moi, Monsieur Mourousi, mais vous oubliez D.H. Lawrence. Non - ne M'interrompez pas. Je veux bien que vous Me chargiez, mais à ce moment là, soyez objectif, Monsieur Mourousi." Tu m'étonnes que Mourousi en ait eu le souffle coupé : comme la grande majorité des français, il n'avait pas la moindre idée de qui était D.H. Lawrence. "Voyez-vous, Monsieur Lawrence était le parfait contre-exemple à cet étrange procès que vous M'intentez. Il était aussi brillant en tant que romancier qu'en tant nouvelliste. Il avait même développé une incroyable capacité à évoluer dans un genre intermédiaire, le mini-roman, qu'il maîtrisait à la perfection. Avez-vous lu The Prussian Officer & Other Stories ? Je vous le recommande chaleureusement. C'est un recueil tout à fait remarquable, dans lequel Monsieur Lawrence expérimente des tehniques narratives inédites pour son époque, démontre un sens du rythme exceptionnel - Je pense au texte éponyme... bien sûr, si vous n'avez pas lu ses romans, cela ne vous sautera pas aux yeux. Mais Monsieur Lawrence, vraiment, ne tombait pas du tout sous le coup de ce que vous semblez vouloir ériger en Loi Fondamentalement Fondamentale Régissant L'Univers. Et bien entendu, Je ne vous parle pas du talent de ce Monsieur pour la subversion : David Herbert Lawrence était incapable d'être mou et consensuel (vous devriez, si Je peux me permettre ce conseil, en prendre de la graine), même un texte, en apparence banal, comme Daughters of the Vicar , est stupéfiant de morgue, de culot, sans oublier une puissance dans l'écriture, une virtuosité avec les mots... et c'est Moi qui vous le dis, Monsieur Mourousi. Alors que ce texte, clairement, est tout à fait blasphématoire...

Presque trente-cinq plus tard, cette interview qui fit à l'époque beaucoup de bruit a un peu disparu des mémoires. Ceci explique peut-être l'ostracisme absurde entourant aujourd'hui encore l'oeuvre de D.H. Lawrence. A moins que ce ne soit l'inverse : le fait qu'il ait été soutenu par Dieu lui-même l'aura desservi. Le chouchou du prof n'est jamais le mieux aimé. Alors être le chouchou de Dieu ET du Golb... ça fait sans doute beaucoup pour un seul homme. Fût-il l'un des plus grands génies du vingtième siècle.


The Prussian Officer & Other Stories, de D.H. Lawrence (1914)


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6 commentaires:

  1. excellente chronique! bon je n'ai rien lu du Monsieur... mais je compte me rattraper...

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  2. Excellent article, vraiment. Quoique inquiétant, vous me paraissez de plus en plus "barré" !

    BBB..

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  3. Alsa est grand et Tu es son prophète.

    [Je n'ai pas pu :,(
    J'ai tout essayé, j'ai même lu les oeuvres complètes de D. H. Lawrence en breton.
    Je n'ai pas su résister.
    C'était trop beau.
    Mon dandysme me perdra]

    ;)))

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  4. En breton ?

    Et on me dit à moi que je suis barré ;-)

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  5. Si après ça les fidèles lecteurs du Golb n'achètent pas les oeuvres complètes de ton chouchou, c'est vraiment à désespérer ! Tu avais pris quoi pour écrire ton billet, sinon ? :-)

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  6. Du Coke Light... on ne parle pas assez des dangers de l'aspartame :-)

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