[Article précédemment publié sur le génial Interlignage] Déjà dix ans d’existence, et les Liars sont toujours aussi étranges et fascinants. Peu de groupes apparus durant la dernière décennie peuvent en dire autant, et ils sont encore un peu moins à pouvoir se targuer d’avoir publié autant d’excellents albums, puissants, originaux, variés… sans jamais perdre leur cohérence ni leurs qualités premières (en l’occurrence un groove frigide dérobé à Gang Of Four et un goût pour la noirceur devenu une quasi marque de fabrique). Quand la plupart des collectifs seraient calcinés après dix ans d’activité intense et quatre albums irréprochables, le temps semble glisser sur les Liars au point qu’on les imagine ici pour encore longtemps.
Pourtant tout commence assez bizarrement avec ce cru 2010. Assez déstabilisant, plus étrange que jamais, Sisterworld fait passer l’auditeur par tous les états – au point que l’on ne puisse que se féliciter d’avoir eu du temps pour assimiler (tout en poussant un long soupir de soulagement à l’idée d’avoir pu le casser injustement si l’on n’avait pas pu ou su prendre du recul). Une bizarrerie en soi, l’ouvrage n’étant ni plus ni moins direct que les précédents. Mais à la première écoute, on se surprend toutefois à le trouver un brin poussif, un peu trop robotique pour ne pas donner l’impression que le trio serait passé en pilotage automatique. À ce stade, le seul titre se dégageant du lot est le superbe morceau inaugural, "Scissor", avec ses chœurs radioheadiens volant en piqué sur l’auditeur, l’explosion tribale qui s’ensuit et son final d’une rare beauté. Le reste semble un magma dans lequel on peine à se retrouver de prime abord, on en vient même un instant à songer à un album raté.
Alors on range le disque au bout de cinq ou six écoutes, pour n’y plus revenir que ponctuellement, une fois de temps en temps quand on ne sait pas quoi écouter (ce qui en début d’année arrive assez souvent). Et à chaque fois qu’on le ressort, on redécouvre un morceau. On se surprend à fredonner tel ou tel titre dont on pensait jusqu’ici qu’il ne nous avait pas touché. On se laisse un peu plus envahir par la froide élégance des Liars millésime 2010. Sisterworld se révèle tranquillement, mais ce qu’il révèle est tout sauf tranquille : ce sont des paysages dévastés, une langueur angoissante et une humeur suicidaire latente.
C’est à vrai dire un album très compact, au sein duquel "Scissor" détonnerait presque. Étonnamment – car le groupe semblait ne jamais devoir y revenir – il évoque le premier album (le déjà classique They Threw Us All in a Trench and Stuck a Monument on Top, il y a huit ans), mais dans une version totalement décharnée, aridifiée par l’âge et cette maturité dont un groupe de rock, dans le fond, ne sait jamais trop quoi faire. Ainsi d’un post-punk rageur et fougueux sommes-nous passés en quelques années à un autre post-punk, plus ténébreux et rappelant souvent les ambiances glaciales des Banshees de la grande époque. On retrouve dans le jeu d’Aaron Hemphill, toujours aussi virtuose, le même goût que le jeune John McGeogh pour un genre de psychédélisme réfrigérant, dont chaque riff résonnerait comme une menace (cf. le flippant "Here Comes All the People" ou le martial "Drop Dead"). Et à côté de cela un chat d’Angus Andrew souvent désincarné, très cyborg, évoquant par éclats l’Iggy de The Idiot ("No Barrier Fun" n’y contiendrait-il d’ailleurs pas une référence cryptée ?). Rien que de la grande gaieté, donc… mais les ténèbres vont décidément très bien à ce groupe-là. Qui, s’il ne vient sans doute pas de publier son meilleur opus à ce jour, continue de s’imposer lentement mais sûrement comme l’un des classiques du rock de demain. De ces groupes que les générations suivantes (re)découvriront émerveillées et citeront en référence quand les chroniqueurs qui l’encensent aujourd’hui n’auront de plus cheveux et jureront que c’était beaucoup mieux avant – dans ces années 2000 qu’ils méprisaient alors.
Sisterworld, des Liars (2010)
...
Pourtant tout commence assez bizarrement avec ce cru 2010. Assez déstabilisant, plus étrange que jamais, Sisterworld fait passer l’auditeur par tous les états – au point que l’on ne puisse que se féliciter d’avoir eu du temps pour assimiler (tout en poussant un long soupir de soulagement à l’idée d’avoir pu le casser injustement si l’on n’avait pas pu ou su prendre du recul). Une bizarrerie en soi, l’ouvrage n’étant ni plus ni moins direct que les précédents. Mais à la première écoute, on se surprend toutefois à le trouver un brin poussif, un peu trop robotique pour ne pas donner l’impression que le trio serait passé en pilotage automatique. À ce stade, le seul titre se dégageant du lot est le superbe morceau inaugural, "Scissor", avec ses chœurs radioheadiens volant en piqué sur l’auditeur, l’explosion tribale qui s’ensuit et son final d’une rare beauté. Le reste semble un magma dans lequel on peine à se retrouver de prime abord, on en vient même un instant à songer à un album raté.
Alors on range le disque au bout de cinq ou six écoutes, pour n’y plus revenir que ponctuellement, une fois de temps en temps quand on ne sait pas quoi écouter (ce qui en début d’année arrive assez souvent). Et à chaque fois qu’on le ressort, on redécouvre un morceau. On se surprend à fredonner tel ou tel titre dont on pensait jusqu’ici qu’il ne nous avait pas touché. On se laisse un peu plus envahir par la froide élégance des Liars millésime 2010. Sisterworld se révèle tranquillement, mais ce qu’il révèle est tout sauf tranquille : ce sont des paysages dévastés, une langueur angoissante et une humeur suicidaire latente.
C’est à vrai dire un album très compact, au sein duquel "Scissor" détonnerait presque. Étonnamment – car le groupe semblait ne jamais devoir y revenir – il évoque le premier album (le déjà classique They Threw Us All in a Trench and Stuck a Monument on Top, il y a huit ans), mais dans une version totalement décharnée, aridifiée par l’âge et cette maturité dont un groupe de rock, dans le fond, ne sait jamais trop quoi faire. Ainsi d’un post-punk rageur et fougueux sommes-nous passés en quelques années à un autre post-punk, plus ténébreux et rappelant souvent les ambiances glaciales des Banshees de la grande époque. On retrouve dans le jeu d’Aaron Hemphill, toujours aussi virtuose, le même goût que le jeune John McGeogh pour un genre de psychédélisme réfrigérant, dont chaque riff résonnerait comme une menace (cf. le flippant "Here Comes All the People" ou le martial "Drop Dead"). Et à côté de cela un chat d’Angus Andrew souvent désincarné, très cyborg, évoquant par éclats l’Iggy de The Idiot ("No Barrier Fun" n’y contiendrait-il d’ailleurs pas une référence cryptée ?). Rien que de la grande gaieté, donc… mais les ténèbres vont décidément très bien à ce groupe-là. Qui, s’il ne vient sans doute pas de publier son meilleur opus à ce jour, continue de s’imposer lentement mais sûrement comme l’un des classiques du rock de demain. De ces groupes que les générations suivantes (re)découvriront émerveillées et citeront en référence quand les chroniqueurs qui l’encensent aujourd’hui n’auront de plus cheveux et jureront que c’était beaucoup mieux avant – dans ces années 2000 qu’ils méprisaient alors.
Sisterworld, des Liars (2010)
...
Le problème avec les Liars c'est qu'ils nous ont rendu carrément exigeant. J'ai ressenti comme toi et moi aussi j'ai fini par rentrer dans l'album. Mais il m'a fallu du temps.
RépondreSupprimerD'ordinaire je ne suis pas trop Liars, mais là j'aime beaucoup le morceau en écoute donc qui sait ?...
RépondreSupprimerQuoi ? Tu n'aimes pas les Liars ?
RépondreSupprimerJ'ai toujours un peu de mal sur disque.
RépondreSupprimerMais en concert ! Wawawoum ...
Tiens, la première fois que je les ai vus, ils partageaient l'affiche d'un Festival des Inrocks avec un certain Mark Linkous ...
Toujours tout en haut de mon top 2010. J'attends toujours mon édition avec l'album de remix :)
RépondreSupprimerComme Benjamin F, mon album de l'année pour le moment.
RépondreSupprimer"continue de s’imposer lentement mais sûrement comme l’un des classiques du rock de demain." Rien de plus à ajouter !
Thierry >>> par contre je ne les ai jamais vus en concert... la prochaine fois, peut-être...
RépondreSupprimerBenjamin >>> il paraît qu'il est très bien.
Guilhem >>> c'est sûr que quand dans dix ans on reviendra sur notre époque, les Liars seront clairement dans le peloton de tête (d'autant qu'en plus d'être excellents, il font quasiment l'unanimité - et Dieu sait qu'ils sont rares dans ce cas de nos jours).
Pareil... première écoute, je me suis dit : pas terrible, et c'est la première fois qu'un album des Liars me déçoit vraiment... puis j'y suis revenu, et c'est vrai qu'il est pas si mal que ça... pas leur meilleur, mais tout de même un bon album... la même chose que pour le Massive Attack, en fait :-)
RépondreSupprimerLapsus ennuyeux : tu as écrit "pas leur meilleur, mais tout de même un bon ALBUM" au lieu de "MORCEAU" :-D
RépondreSupprimer(désolé mais on peut ENFIN régler nos comptes sur Massive, après des années à me bouffer du 100th Window dans toutes les playlist... hum... ça va être saignant ;-)
Ah mais tu vas finir par les regretter ces titres de 100th window, quand tu écouteras ma playlist "radio 2010" avec au moins 4 tires de Heligoland :-)
RépondreSupprimerJ'ai déjà du mal avec le matraquage de bons albums, alors si tu me matraques Heligoland, pas sûr que 2010 soit finalement l'année de la grande réconciliation ^^
RépondreSupprimer