Paul Auster est un grand écrivain. La précision s'impose d'emblée, car depuis quelques livres il s'agit plus d'une donnée statistique que l'on garde dans un coin de sa tête, d'un élément de CV plutôt que d'une éclatante vérité nous sautant aux yeux à chaque page. Certains ont des métiers très compliqués, celui de Paul Auster est pour sa part assez simple : dans la vie, il fait grand écrivain. Et voilà tout. C'est tellement fastoche dit comme ça que l'on comprend mieux son besoin pathologique de compliquer à outrance des récits souvent relativement limpides.
Paul Auster est donc un grand écrivain, dont le dernier vrai grand livre remonte malheureusement à quelques temps (dix ans environ). Comme je le relevais l'an passé à propos de son précent ouvrage, pas de quoi vraiment s'alarmer : chez Auster, le génie a toujours été cyclique, chaque période d'épatante virtuosité étant généralement suivie d'une ère de trouble, de tâtonnement... etc. Petit problème : son dernier cycle d'hésitations a tendance à dangereusement s'étirer, au point que le lecteur soit en droit de sérieusement s'interroger une fois la lecture d'Invisible achevée. Pourquoi y ai-je été ? Qu'attendais-je après un roman de sinistre mémoire (Travels in the Scriptorium) et un autre assez moyen (Man in the Dark) ?
Autant le préciser d'emblée : ce billet n'apportera aucune réponse à ces questions fondamentales, pas plus d'ailleurs que de résumé à un livre inracontable sauf à vouloir métamorphoser l'article en spoiler géant. Il est possible que l'on ne lise plus Paul Auster que par habitude, en sachant pertinemment que plus jamais on ne retrouvera quelque chose s'approchant de Music of Chance ou de Moon Palace. Qualitativement parlant, s'entend, car du point de vue thématique Invisible rappelle souvent ce dernier. A un détail prêt toutefois : du point de vue stylistique, c'est de loin le roman le plus pauvre qu'Auster ait jamais publié. La première partie (il y en a quatre) est à plusieurs reprises consternante, les dialogues d'une platitude sans nom et les clichés enfilés avec un enthousiasme déconcertant. Ah oui, pardon : en fait c'est parce qu'Auster joue avec les clichés - me soufflent ses innombrables thuriféraires. À mon avis, c'est lui faire beaucoup d'honneur que d'oser même émettre cette hypothèse.
Car en réalité, Invisible n'est tout simplement pas un roman. C'est un concept. Quelque chose que l'on pourrait appeler relativité de la vérité, ou comment à force de relativiser l'histoire narrée dans la première partie à grand renfort de changements de points de vue, de témoignages, de récits kaléidoscopiques... la réalité finit par disparaître ensevelie sous la fiction. En ce sens, Invisible peut être vu comme un genre d'apothéose de la pensée austérienne. Et non de l'art austérien, décidément sur le déclin. Si ce quinze ou seizième (j'ai un doute) roman peut s'avérer passionnant par les questions qu'il décline (mais qui sont, cependant, encore et toujours les mêmes que dans la plupart des œuvres de son auteur), il demeure assez ennuyeux à lire, souvent verbeux et bien mieux construit qu'il n'est écrit. Il est en quelque sorte le sujet de son sujet, comme si le para-texte, toujours essentiel chez Auster, avait fini par prendre une fois pour toute la place du texte. Prise dans son ensemble, l'œuvre demeure captivante. Bien sûr. Paul Auster est un grand écrivain. Mais que vaut un tel livre, pris individuellement ?
Alors oui, Paul Auster est un grand écrivain. Mais à force de vouloir dessiner une œuvre, il semble avoir légèrement perdu de vue l'art romanesque en lui-même.
Paul Auster est donc un grand écrivain, dont le dernier vrai grand livre remonte malheureusement à quelques temps (dix ans environ). Comme je le relevais l'an passé à propos de son précent ouvrage, pas de quoi vraiment s'alarmer : chez Auster, le génie a toujours été cyclique, chaque période d'épatante virtuosité étant généralement suivie d'une ère de trouble, de tâtonnement... etc. Petit problème : son dernier cycle d'hésitations a tendance à dangereusement s'étirer, au point que le lecteur soit en droit de sérieusement s'interroger une fois la lecture d'Invisible achevée. Pourquoi y ai-je été ? Qu'attendais-je après un roman de sinistre mémoire (Travels in the Scriptorium) et un autre assez moyen (Man in the Dark) ?
Autant le préciser d'emblée : ce billet n'apportera aucune réponse à ces questions fondamentales, pas plus d'ailleurs que de résumé à un livre inracontable sauf à vouloir métamorphoser l'article en spoiler géant. Il est possible que l'on ne lise plus Paul Auster que par habitude, en sachant pertinemment que plus jamais on ne retrouvera quelque chose s'approchant de Music of Chance ou de Moon Palace. Qualitativement parlant, s'entend, car du point de vue thématique Invisible rappelle souvent ce dernier. A un détail prêt toutefois : du point de vue stylistique, c'est de loin le roman le plus pauvre qu'Auster ait jamais publié. La première partie (il y en a quatre) est à plusieurs reprises consternante, les dialogues d'une platitude sans nom et les clichés enfilés avec un enthousiasme déconcertant. Ah oui, pardon : en fait c'est parce qu'Auster joue avec les clichés - me soufflent ses innombrables thuriféraires. À mon avis, c'est lui faire beaucoup d'honneur que d'oser même émettre cette hypothèse.
Car en réalité, Invisible n'est tout simplement pas un roman. C'est un concept. Quelque chose que l'on pourrait appeler relativité de la vérité, ou comment à force de relativiser l'histoire narrée dans la première partie à grand renfort de changements de points de vue, de témoignages, de récits kaléidoscopiques... la réalité finit par disparaître ensevelie sous la fiction. En ce sens, Invisible peut être vu comme un genre d'apothéose de la pensée austérienne. Et non de l'art austérien, décidément sur le déclin. Si ce quinze ou seizième (j'ai un doute) roman peut s'avérer passionnant par les questions qu'il décline (mais qui sont, cependant, encore et toujours les mêmes que dans la plupart des œuvres de son auteur), il demeure assez ennuyeux à lire, souvent verbeux et bien mieux construit qu'il n'est écrit. Il est en quelque sorte le sujet de son sujet, comme si le para-texte, toujours essentiel chez Auster, avait fini par prendre une fois pour toute la place du texte. Prise dans son ensemble, l'œuvre demeure captivante. Bien sûr. Paul Auster est un grand écrivain. Mais que vaut un tel livre, pris individuellement ?
Alors oui, Paul Auster est un grand écrivain. Mais à force de vouloir dessiner une œuvre, il semble avoir légèrement perdu de vue l'art romanesque en lui-même.
👎 Invisible
Paul Auster | Henry Holt and Co., 2009
Yipeeee !!!!! la boîte à derniers coms est revenue, on va pouvoir répondre aux discussions dans tous les sens (mais d'abord : 2 semaines de wacances)
RépondreSupprimerOuaip, j'ai bricolé les flux de commentaires pour en sortir avec un truc à peu près décent.
RépondreSupprimerLe seul défaut, c'est que contrairement à l'ancien, y a un petit délai de mise à jour. Mais bon, de toute façon, j'avais pas mieux...
C'est vrai qu'il s'arrange pas en vieillissant, le Paulo... c'est dommage, il était bon dans le temps...
RépondreSupprimerJ'ai failli l'acheter mais finalement, cela ne me disait rien. Il semble que je n'ai rien loupé... H.
RépondreSupprimerJe m'en tiendrai aux anciens romans du sieur...
RépondreSupprimerSysT
Je ne peux pas dire que je suis entièrement d'accord avec toi mais je suis quand même d'accord avec toi. Par contre, j'en connais qui s'insurgerai de te lire (collègues pour qui ce dernier est Auster est peut être le meilleur Auster (et là dessus je ne suis pas du tout d'accord))
RépondreSupprimerAuster est arrivé à un stade de popularité où l'on trouvera de toute façon toujours des gens pour trouver que son dernier livre est "génial", est "le meilleur", est "un chef-d'œuvre"... et il faut dire que la critique, qui se prosterne à ses pieds à chaque sortie, n'aide pas beaucoup à y voir clair...
RépondreSupprimerj'aime beaucoup cette chronique, bien que je ne sois pas entièrement d'accord avec toi.
RépondreSupprimerje te rejoins cependant sur un point: "bien mieux construit qu'il n'est écrit". c'est sûr, ce n'est pas pour l'histoire qu'on s'emballe. mais au niveau de la construction, j'ai trouvé ça vertigineusement bon.
j'ai publié une chronique un peu plus positive sur mon blog, mais je n'oserai dire qu'elle est le pendant positif de ta chronique: je n'ai lu que les oeuvres récentes d'Auster.
bonnes lectures!
Merci Sébastien... et j'en ai autant pour toi, très bon papier (et brillante tentative de résumé)(j'en suis pour mes frais).
RépondreSupprimerTu peux dire que c'est le pendant positif... ce ne serait pas tout à fait faux. C'est ce qui est magique avec certains auteurs (dont Auster, qui s'est fait une spécialité de diviser) : on arrive parfois à avoir des avis divergents avec des analyses similaires...
Le problème serait réglé si on comprenait qu'en littérature comme en amour, notre appréciation est subjective : notre lecture et notre compréhension en disent plus long sur nous que sur le texte qui n'appartient plus à l'auteur mais à son lecteur. Les grands auteurs n'existent pas : il n'y a que de grands lecteurs, et un grand lecteur pourrait trouver des perles même dans le texte le plus nul, s'il le voulait car l'imagination - fonction essentielle de la lecture - n'a aucune limite : vous voulez trouver un grand livre ? Désirez que celui que vous lisez le soit, et vous verrez, miracle, il le sera.
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