Une trilogie contre une tétralogie ? Pourquoi pas. Trois téléfilms plutôt qu'un feuilleton ? Allons donc. Une suite narrative plutôt qu'un cycle ? Si cela vous fait plaisir. Un oeuvre réputée inadaptable mais adaptée quand même ? Allez, soyons-fou !
On pourrait écrire vingt pages sur le pourquoi du comment l'adaptation télévisée du Red Riding Quartet de David Peace est ratée. Allons au plus simple : le choix du format est une erreur. Une erreur excusable, sans doute. Une erreur défendable, peut-être. Mais une erreur tout de même. Ne fût-ce des commentaires dithyrambiques un peu partout, on n'y serait allé qu'à reculons. Des fois, il vaut mieux écouter son instinct et ne pas le confondre avec son horrible cousin l'a priori. Car la seule idée de condenser l'œuvre de David Peace en trois téléfilms de 90 minutes, dans le fond, était assez risquée. Hormis des contraintes budgétaires, éventuellement un manque de conviction de la chaîne (l'ambitieuse Channel 4, qui produit également Skins), on a du mal à voir ce qui pouvait le justifier. Le résultat parvenu jusqu'à nos yeux embués de déception, on peut désormais s'autoriser à le clamer haut et fort : ... mouais. Le bon sens aurait dicté d'un peu plus étaler tout cela. Trois saisons de trois épisodes, par exemple. C'eut été un rythme acceptable. Faute de quoi Toni Grisoni, qui avait déjà sévèrement amoché Fear & Loathing Las Vegas pour en faire un très mauvais film de Gilliam, a été contraint de pondre du script comme je fais le ménage : par le vide. Sauf que l'élagage, on le sait peu, c'est aussi un art.
Si l'on part du principe qu'une adaptation est une œuvre devant être appréhendée pour elle-même, le résultat est regardable - quoiqu'un peu chiant par instant. 1974, surtout, contient énormément de longueurs, et son atmosphère se voulant glauque ne convaincra que moyennement les adeptes de David Peace, dont le style fou, violent, incantatoire, faisait évidemment beaucoup pour un premier opus dont l'intrigue était alors relativement loin du niveau de profondeur et de complexité atteint par la suite de la saga. En quelques scènes, on a déjà pigé toute l'ambiguïté du projet (ambiguïté frappant d'ailleurs nombres d'adaptations) : bien sûr, il faut trahir. Mais il faut pratiquer de la bonne trahison. Il ne manque pas grand-chose à l'épisode réalisé par Julian Jarrold pour convaincre : juste des idées autres que celle d'adapter. Jarrold fait dans le littéral, coupe les passages qu'il y a à couper. On ne peut pas lui en vouloir. On doit cependant noter qu'en échange, il n'apporte rien : il y aurait eu mille trouvailles de mise en scène, mille manières d'essayer de palier à l'absence de l'écriture inimitable de Peace. La musique, obsédante et omniprésente dans les bouquins ? C'était du pain bénit pour l'adaptateur ! Quel intérêt de remplacer le rock sombre du Bowie de Diamond Dogs par de la soul joyeuse et intemporelle, dont le propos n'a rien à voir avec l'action (contrairement à - au hasard - "We Are the Dead") ? Indicateur temporel essentiel, le rock'n'roll a été bouté hors de l'intrigue, contrairement au sex mais à l'instar des drugs. Esthétiquement, on le voit bien : le cinéaste n'essaie même pas. Résultat : 1974 est un thriller poisseux, pas mal fichu... totalement dépourvu de style. Même quand on n'a pas lu le livre, on n'a l'impression de l'avoir déjà vu. En revanche, si l'on n'a pas lu le livre, on doit trouver tout cela bien confus. Accordons cependant à Jarrold de ne pas avoir été aidé par un script accordant bien plus de place à l'histoire d'amour qu'à l'enquête et réduisant en purée de pois tout ce qu'il y a de plus fascinant dans le roman (à savoir l'étude de moeurs de cette petite communauté du Yorkshire). Appréhendée pour elle-même, disait-on ? Ok - c'est mal parti. Du coup on ne s'attardera pas sur le fait que le personnage principal est vidé de toute substance, devenu à l'écran un journaliste boy-scout comme on en a vu des milliers au cinéma et à la télé.
Le second épisode est paradoxalement bien meilleur. Paradoxalement car vraiment, pour le coup, très différent de 1980 - ne fût-ce que pour cette raison évidence que 1977 est totalement passé à la trappe (or les deux se suivent de manière directe, constituant quasiment une série dans la série). Ce qui joue également, c'est que l'on comprend déjà beaucoup mieux le projet de Toni Grisoni : réussir à recréer une dynamique narrative qui n'existait pas réellement entre les deux pôles du cycle de David Peace : 1983 est en effet une chute aux évènements de 1974, tandis que les deux tomes centraux s'intéressent à une autre histoire. Celle de l'Eventreur du Yorkshire, serial-killer qui terrifia l'Angleterre dans la seconde moitié des années soixante-dix, et qu'on trouve bizarrement absent de la série. Steve Hunter n'est plus un flic se consummant dans une quête perdue d'avance, mais un héros courageux se heurtant à la corruption de ses collègues. Pourquoi pas. Le fait est que James Marsh, excellent réalisateur de Wisconsin Death Trip, offre une proposition beaucoup plus convaincante et un récit bien mieux rythmé. Certes, David Peace n'a jamais paru aussi loin que dans cet épisode. Certes, on cherche en vain à retrouver sa rage, la violence de son œuvre et la noirceur désolée de son propos. Mais il faut bien le reconnaître : c'est bien. Y compris en terme d'écriture : difficile de nier que Grisoni a réussi avec une certaine habileté à raccorder 1974 et 1980 et à faire oublier l'absence de 1977.
Le revers de la médaille, c'est que cette bonne surprise sera la dernière de la série, au moment même où l'on s'aperçoit qu'elle méritait bien ce qualificatif. Une fois le principe de l'adaptation intégré, on n'a même pas besoin de regarder le dernier épisode pour comprendre le traitement subit par 1983, qui devient dès lors la conclusion logique à une suite narrative infiniment plus complexe dans les romans. Avec rédemption des personnages et punition des méchants. Exécuté de main de maître par Anand Tucker, il réussit la performance d'être le moins intéressant tout en étant à la fois le plus fidèle et le mieux filmé. Il faut le voir pour le croire. Il est vrai qu'à ce stade, il y a eu tellement d'élagage que ce n'est quasiment plus la même histoire. Enfin. Si, c'est la même, sans aucun doute. Mais on a l'impression de ne rien reconnaître, à part bien sûr ce Yorkshire ravagé par le chômage et l'exclusion, qui pourrait être celui de n'importe quelle époque tant les costumiers et accessoiristes ne se sont pas foulés niveau reconstitution (on est loin de Life on Mars... et plus encore de Mad Men !) Détail amusant : l'intrigue de ce troisième épisode est principalement centrée sur la révision du procès de Michael Myshkin, arrêté à tort en 1974. Comme dans le roman. Sauf que dans le premier roman de Peace, Myshkin jouait un rôle clé, personnage énigmatique et terrifiant... qui dans le premier épisode de la série n'apparaît guère que le temps d'une demi-scène et de deux répliques à tout casser. Autant vous dire que le gars n'ayant pas suivi attentivement pourrait aussi bien croire qu'il sort de nulle part. Pour que j'en aie été réduit à dire à ma femme, durant le premier téléfilm : "Attention, souviens-toi de ce personnage, on va le revoir après, si si j'te jure"... c'est tout de même qu'il y avait de quoi s'inquiéter.
The Red Riding Trilogy, créée par Tony Grisoni & David Peace (Channel 4, 2009)
On pourrait écrire vingt pages sur le pourquoi du comment l'adaptation télévisée du Red Riding Quartet de David Peace est ratée. Allons au plus simple : le choix du format est une erreur. Une erreur excusable, sans doute. Une erreur défendable, peut-être. Mais une erreur tout de même. Ne fût-ce des commentaires dithyrambiques un peu partout, on n'y serait allé qu'à reculons. Des fois, il vaut mieux écouter son instinct et ne pas le confondre avec son horrible cousin l'a priori. Car la seule idée de condenser l'œuvre de David Peace en trois téléfilms de 90 minutes, dans le fond, était assez risquée. Hormis des contraintes budgétaires, éventuellement un manque de conviction de la chaîne (l'ambitieuse Channel 4, qui produit également Skins), on a du mal à voir ce qui pouvait le justifier. Le résultat parvenu jusqu'à nos yeux embués de déception, on peut désormais s'autoriser à le clamer haut et fort : ... mouais. Le bon sens aurait dicté d'un peu plus étaler tout cela. Trois saisons de trois épisodes, par exemple. C'eut été un rythme acceptable. Faute de quoi Toni Grisoni, qui avait déjà sévèrement amoché Fear & Loathing Las Vegas pour en faire un très mauvais film de Gilliam, a été contraint de pondre du script comme je fais le ménage : par le vide. Sauf que l'élagage, on le sait peu, c'est aussi un art.
Si l'on part du principe qu'une adaptation est une œuvre devant être appréhendée pour elle-même, le résultat est regardable - quoiqu'un peu chiant par instant. 1974, surtout, contient énormément de longueurs, et son atmosphère se voulant glauque ne convaincra que moyennement les adeptes de David Peace, dont le style fou, violent, incantatoire, faisait évidemment beaucoup pour un premier opus dont l'intrigue était alors relativement loin du niveau de profondeur et de complexité atteint par la suite de la saga. En quelques scènes, on a déjà pigé toute l'ambiguïté du projet (ambiguïté frappant d'ailleurs nombres d'adaptations) : bien sûr, il faut trahir. Mais il faut pratiquer de la bonne trahison. Il ne manque pas grand-chose à l'épisode réalisé par Julian Jarrold pour convaincre : juste des idées autres que celle d'adapter. Jarrold fait dans le littéral, coupe les passages qu'il y a à couper. On ne peut pas lui en vouloir. On doit cependant noter qu'en échange, il n'apporte rien : il y aurait eu mille trouvailles de mise en scène, mille manières d'essayer de palier à l'absence de l'écriture inimitable de Peace. La musique, obsédante et omniprésente dans les bouquins ? C'était du pain bénit pour l'adaptateur ! Quel intérêt de remplacer le rock sombre du Bowie de Diamond Dogs par de la soul joyeuse et intemporelle, dont le propos n'a rien à voir avec l'action (contrairement à - au hasard - "We Are the Dead") ? Indicateur temporel essentiel, le rock'n'roll a été bouté hors de l'intrigue, contrairement au sex mais à l'instar des drugs. Esthétiquement, on le voit bien : le cinéaste n'essaie même pas. Résultat : 1974 est un thriller poisseux, pas mal fichu... totalement dépourvu de style. Même quand on n'a pas lu le livre, on n'a l'impression de l'avoir déjà vu. En revanche, si l'on n'a pas lu le livre, on doit trouver tout cela bien confus. Accordons cependant à Jarrold de ne pas avoir été aidé par un script accordant bien plus de place à l'histoire d'amour qu'à l'enquête et réduisant en purée de pois tout ce qu'il y a de plus fascinant dans le roman (à savoir l'étude de moeurs de cette petite communauté du Yorkshire). Appréhendée pour elle-même, disait-on ? Ok - c'est mal parti. Du coup on ne s'attardera pas sur le fait que le personnage principal est vidé de toute substance, devenu à l'écran un journaliste boy-scout comme on en a vu des milliers au cinéma et à la télé.
Le second épisode est paradoxalement bien meilleur. Paradoxalement car vraiment, pour le coup, très différent de 1980 - ne fût-ce que pour cette raison évidence que 1977 est totalement passé à la trappe (or les deux se suivent de manière directe, constituant quasiment une série dans la série). Ce qui joue également, c'est que l'on comprend déjà beaucoup mieux le projet de Toni Grisoni : réussir à recréer une dynamique narrative qui n'existait pas réellement entre les deux pôles du cycle de David Peace : 1983 est en effet une chute aux évènements de 1974, tandis que les deux tomes centraux s'intéressent à une autre histoire. Celle de l'Eventreur du Yorkshire, serial-killer qui terrifia l'Angleterre dans la seconde moitié des années soixante-dix, et qu'on trouve bizarrement absent de la série. Steve Hunter n'est plus un flic se consummant dans une quête perdue d'avance, mais un héros courageux se heurtant à la corruption de ses collègues. Pourquoi pas. Le fait est que James Marsh, excellent réalisateur de Wisconsin Death Trip, offre une proposition beaucoup plus convaincante et un récit bien mieux rythmé. Certes, David Peace n'a jamais paru aussi loin que dans cet épisode. Certes, on cherche en vain à retrouver sa rage, la violence de son œuvre et la noirceur désolée de son propos. Mais il faut bien le reconnaître : c'est bien. Y compris en terme d'écriture : difficile de nier que Grisoni a réussi avec une certaine habileté à raccorder 1974 et 1980 et à faire oublier l'absence de 1977.
Le revers de la médaille, c'est que cette bonne surprise sera la dernière de la série, au moment même où l'on s'aperçoit qu'elle méritait bien ce qualificatif. Une fois le principe de l'adaptation intégré, on n'a même pas besoin de regarder le dernier épisode pour comprendre le traitement subit par 1983, qui devient dès lors la conclusion logique à une suite narrative infiniment plus complexe dans les romans. Avec rédemption des personnages et punition des méchants. Exécuté de main de maître par Anand Tucker, il réussit la performance d'être le moins intéressant tout en étant à la fois le plus fidèle et le mieux filmé. Il faut le voir pour le croire. Il est vrai qu'à ce stade, il y a eu tellement d'élagage que ce n'est quasiment plus la même histoire. Enfin. Si, c'est la même, sans aucun doute. Mais on a l'impression de ne rien reconnaître, à part bien sûr ce Yorkshire ravagé par le chômage et l'exclusion, qui pourrait être celui de n'importe quelle époque tant les costumiers et accessoiristes ne se sont pas foulés niveau reconstitution (on est loin de Life on Mars... et plus encore de Mad Men !) Détail amusant : l'intrigue de ce troisième épisode est principalement centrée sur la révision du procès de Michael Myshkin, arrêté à tort en 1974. Comme dans le roman. Sauf que dans le premier roman de Peace, Myshkin jouait un rôle clé, personnage énigmatique et terrifiant... qui dans le premier épisode de la série n'apparaît guère que le temps d'une demi-scène et de deux répliques à tout casser. Autant vous dire que le gars n'ayant pas suivi attentivement pourrait aussi bien croire qu'il sort de nulle part. Pour que j'en aie été réduit à dire à ma femme, durant le premier téléfilm : "Attention, souviens-toi de ce personnage, on va le revoir après, si si j'te jure"... c'est tout de même qu'il y avait de quoi s'inquiéter.
The Red Riding Trilogy, créée par Tony Grisoni & David Peace (Channel 4, 2009)
Pas terrible, en effet. J'ai pas trop compris les super critiques qui ont été faites outre-Manche...
RépondreSupprimerPas lu les bouquins. Moi j'ai trouvé ça pas mal, mais sans plus.
RépondreSupprimer"Des fois, il vaut mieux écouter son instinct et ne pas le confondre avec son horrible cousin l'a priori."
RépondreSupprimertrès bien vu, à méditer...
Eh bien, moi, j'ai bien aimé. Je n'ai pas lu les livres, c'est vrai, mais les films (parce que, "téléfilm", c'est presque faire injure, vue la qualité), ils m'ont bien plu. Si je devais reprocher quelque chose, ce seraient les changement de styles. Les trois sont très différents, ce qui fait que pour moi, c'est moins une série, qu'une trilogie de films...
RépondreSupprimerJe dois dire que moi aussi, j'ai vraiment bien aimé.
RépondreSupprimerAh... eh bien le moins qu'on puisse dire est que c'est contrasté...
RépondreSupprimerOn peut dire ça.
RépondreSupprimerC'est surtout difficile de contredire ce très bon article ^_^
Celle-là je la ressortirai au prochain troll qui passera sur Le Golb ^^
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