Pour une fois, on se moque un peu du casting. Vous ne connaissez pas les Decemberists ? Aucune importance, nous non plus, du moins pas vraiment. Un ou deux morceaux par-ci par-là. Rien de probant, et rien de bien utile pour aborder ce side-project qui gagnera, n'en doutons pas, à connaître une progéniture et à s'imposer comme une tâche de premier ordre. Car avant d'être l'activité parallèle de trois membres d'un groupe à (relatif) succès, Black Prairie est une quête, une expédition aux origines de la musique américaine, balade crépusculaire sur des terres encore sauvages.
Dès les premières notes d'"Across the Black Prairie", alors que les violons s'élèvent et commencent à danser, on est projeté dans cet univers qui, pour n'en être pas moins familier, ne s'était plus présenté à nous depuis longtemps. En fait, comme on le confiait au camarade Thierry, qui nous rencarda sur ce Feast of the Hunters' Moon, on jurerait que l'on vient d'échouer à Deadwood à la fin du XIXe. Les pionniers arrivent de partout, avec leurs vieilles rancœurs et leurs illusions mort-nées, le fantôme de Jane "Calamity" Canary hante les lieux, et du saloon du coin s'évade une musique à la fois dansante et poétique que l'on s'en voudrait de ne pas écouter.
L'allusion à la regrettée série de David Milch1 est facile ; elle n'est pas pour autant absurde. Si Deadwood était évidemment une fiction, l'univers qu'elle dessinait a bel et bien existé, et la musique qui l'illustrait n'était pas bien éloignée de celle de Black Prairie. Une country ancestrale, agglomération étrange et mouvante de folklore celte, de musique tzigane, même d'un soupçon d'Afrique (car le banjo, par exemple, vient de là), qui à chaque nouvelle vague d'immigration s'enrichissait de nouvelles influences, de nouveaux instruments, élargissait sa tradition pour devenir au fil des siècles (nous parlons-là d'un genre né au XVIIIe !) la musique charnelle et rugueuse que l'on connaît.
Black Prairie s'inscrit dans cette tradition, en y ajoutant bien entendu quelques zest contemporains (façon de parler s'agissant d'un idiome blues, d'une voix jazzy ou d'une digression tango). On pourrait dire, en guise de synthèse, que le collectif de Portland équivaut, dans sa démarche, à une version nord-américaine des travaux de Matt Elliott - qui lui aussi va puiser aux origines, mais du côté de l'Europe Centrale. A la première écoute, on peine à en retirer quelque chose tant on est fasciné par une musique semblant évadée d'une autre dimension. Il en faut encore un certain nombre pour réellement mesurer l'étendue du travail ici fourni, tout à la fois traditionaliste et expérimental - c'était donc possible. Si l'image que vous vous faites de la country est celle de cowboys de bazar genre Garth Brooks, et si la folk-music est pour vous synonyme de "protest-singers des 60's/70's", vous risquez d'être un brin déstabilisés. Ce n'est pas le moindre des mérites de Feast of the Hunters' Moon que de parvenir à la fois à sonner comme l'aboutissement d'une recherche créative pertinente ET comme une porte d'entrée à idéale à un versant de la musique américaine finalement peu voire pas abordé sur la plupart des ouvrages prétendant pourtant s'inscrire, par définition, dans cette tradition.
Le genre de disque qui - est-ce bien utile de le préciser ? - mérite sa place dans toute discothèque digne de ce nom.
(1) Incroyable fresque historique, western tantôt baroque et tantôt burlesque, Deadwood fut diffusée sur le HBO entre 2004 et 2007, et en France sur Canal + durant la saison 2006-07, avant d'être brutalement arrêtée, jugée trop couteuse et pas assez rentable. ...
Dès les premières notes d'"Across the Black Prairie", alors que les violons s'élèvent et commencent à danser, on est projeté dans cet univers qui, pour n'en être pas moins familier, ne s'était plus présenté à nous depuis longtemps. En fait, comme on le confiait au camarade Thierry, qui nous rencarda sur ce Feast of the Hunters' Moon, on jurerait que l'on vient d'échouer à Deadwood à la fin du XIXe. Les pionniers arrivent de partout, avec leurs vieilles rancœurs et leurs illusions mort-nées, le fantôme de Jane "Calamity" Canary hante les lieux, et du saloon du coin s'évade une musique à la fois dansante et poétique que l'on s'en voudrait de ne pas écouter.
L'allusion à la regrettée série de David Milch1 est facile ; elle n'est pas pour autant absurde. Si Deadwood était évidemment une fiction, l'univers qu'elle dessinait a bel et bien existé, et la musique qui l'illustrait n'était pas bien éloignée de celle de Black Prairie. Une country ancestrale, agglomération étrange et mouvante de folklore celte, de musique tzigane, même d'un soupçon d'Afrique (car le banjo, par exemple, vient de là), qui à chaque nouvelle vague d'immigration s'enrichissait de nouvelles influences, de nouveaux instruments, élargissait sa tradition pour devenir au fil des siècles (nous parlons-là d'un genre né au XVIIIe !) la musique charnelle et rugueuse que l'on connaît.
Black Prairie s'inscrit dans cette tradition, en y ajoutant bien entendu quelques zest contemporains (façon de parler s'agissant d'un idiome blues, d'une voix jazzy ou d'une digression tango). On pourrait dire, en guise de synthèse, que le collectif de Portland équivaut, dans sa démarche, à une version nord-américaine des travaux de Matt Elliott - qui lui aussi va puiser aux origines, mais du côté de l'Europe Centrale. A la première écoute, on peine à en retirer quelque chose tant on est fasciné par une musique semblant évadée d'une autre dimension. Il en faut encore un certain nombre pour réellement mesurer l'étendue du travail ici fourni, tout à la fois traditionaliste et expérimental - c'était donc possible. Si l'image que vous vous faites de la country est celle de cowboys de bazar genre Garth Brooks, et si la folk-music est pour vous synonyme de "protest-singers des 60's/70's", vous risquez d'être un brin déstabilisés. Ce n'est pas le moindre des mérites de Feast of the Hunters' Moon que de parvenir à la fois à sonner comme l'aboutissement d'une recherche créative pertinente ET comme une porte d'entrée à idéale à un versant de la musique américaine finalement peu voire pas abordé sur la plupart des ouvrages prétendant pourtant s'inscrire, par définition, dans cette tradition.
Le genre de disque qui - est-ce bien utile de le préciser ? - mérite sa place dans toute discothèque digne de ce nom.
👍👍👍 Feast of the Hunters' Moon
Black Prairie | Sugar Hill Records, 2010
(1) Incroyable fresque historique, western tantôt baroque et tantôt burlesque, Deadwood fut diffusée sur le HBO entre 2004 et 2007, et en France sur Canal + durant la saison 2006-07, avant d'être brutalement arrêtée, jugée trop couteuse et pas assez rentable. ...
En tous points d'accord, pour une fois ^^, même si je trouve bien plus difficile de rentrer dans l'univers de Matt Elliott. Black Prairie, ça passe tout seul ;-)
RépondreSupprimerTrès bonne conclusion sur la mauvaise image garthbrookerienne de la folk pour bovins bouseux ! Qu'est-ce qu'il a pu faire comme mal à la musique américaine, lui, tout en se garnissant le portefeuille. Plus de 100 millions de disques vendus rien qu'aux USA en à peine 10 ans. Honteux :-(
Je ne connais pas du tout, mais cet extrait est tout simplement : formidable.
RépondreSupprimerJe vais me jeter dessus, au plus vite.
BBB.
Thierry >>> "pour une fois" ? On est pourtant souvent d'accord, il me semble...
RépondreSupprimerBBB. >>> je n'en attendais pas moins de vous.
Bien sûr qu'il y a autre chose que Garth Brooks, ce n'est juste pas très connu. Qui a entendu parler des excellents album de The Pines (Tremolo), Rachel Harrington (City of refuge), Eileen Jewell (Sea of tears), Axton Kincaid (Songs from the pine room), Wayne Hancock (Viper of melody), Justin Townes Earle (Midnight at the movies)... pour ne citer que mes favoris de l'année passée !
RépondreSupprimerJ'ai commandé Black Prairie mais pas encore reçu, je pense cependant que je pourrai l'écouter ce soir si diane le retrouve sur son iPod.
S'il ne te le passe pas préviens-moi, j'irai lui dire deux mots ;-)
RépondreSupprimerJe voulais faire allusion à nos récents avis divergents sur Viol et sur l'inclusion ou non de Bjarnason au CDB ;-)
RépondreSupprimerAbsolument d'accord avec toi ! on a l'impression d'être avant que la musique soit "américaine", d'être au confluent des cultures qui ont traversé l'Atlantique, il y a 2 siècles.
RépondreSupprimerTu as tout à fait raison de citer Matt Elliott qui est lui aussi bien avant que la musique que nous connaissons aujourd'hui n'existe, sauf que la sienne me fascine beaucoup plus que celle de Black Prairie ...
je me suis trompée, il ne l'a pas sur son iPod... il a même confondu avec un autre groupe... bref, il va falloir que je patiente !
RépondreSupprimerThierry >>> allons allons, cela n'empêche pas les sentiments ^^
RépondreSupprimerKlak >>> Matt Elliott a en effet un côté plus fascinant, sans doute aussi parce que beaucoup plus "moderne" dans son approche.
Sunalee >>> oh ! le petit paltoquet !
N'empêche, la soirée a été bien occupée par des discussions sur Fool's Gold et Dirtmusic (et des problèmes de classement qui ont très vite dégénéré en discussion sur l'archéologie informatique).
RépondreSupprimeron sait pas trop si on va voir dévaler les chevaux sur la prairie ou si une vieille Ford T va entrer dans une ville fantôme mais ca sonne plutôt bien aux oreilles...
RépondreSupprimerSunalee >>> l'archéologie informatique ?
RépondreSupprimerAlf >>> tu rigoles ? La Ford T n'existe pas encore ;-)
ou comment encore utiliser des systèmes datant du milieu des années 80 comme outil de travail principal... (et puis râler très fort tout le temps parce qu'on ne sait rien faire de bien mais ne pas être entendu par les personnes soi-disant compétentes)
RépondreSupprimerDes années 80 ? Vraiment ?... mais de quoi tu parles exactement ? Quels systèmes ?
RépondreSupprimerl'AS400 d'IBM !
RépondreSupprimerhttp://fr.wikipedia.org/wiki/AS400
Wow. C'est une pièce de colletion, non ? ^^
RépondreSupprimeroui, sans doute ! mais c'est pénible pour travailler...
RépondreSupprimerAh ben tiens, entretemps j'ai reçu le Black Prairie. J'écoute ça ce w-e.
RépondreSupprimerAh ah... c'est toi qui viens recentrer le débat. Un comble !
RépondreSupprimerMême que j'avais cité plein d'autres noms de groupes ou artistes du même genre mais que ça n'a l'air d'intéresser personne !
RépondreSupprimerJ'ai écouté distraitement hier soir Black Prairie. Je dois encore réécouter mais a priori, c'est pas mal, je pense cependant qu'il y a d'autres disques du style que je préfère. Dès que j'en trouve un nouveau, j'en parle haut et fort !!!!
T'as intérêt !
RépondreSupprimerExcellent disque ! Un bon substitue à Sixteen Horsepower. Merci pour la découverte !
RépondreSupprimerJe trouve Black Prairie beaucoup plus traditionnel et moins rock, mais le rapprochement n'est pas idiot...
RépondreSupprimervoilà, j'y suis arrivée !
RépondreSupprimerhttp://bruxellesbangkokbrasilia.wordpress.com/2010/07/06/black-prairie-sur-la-platine-juillet-2010-i/