"Le Système avait alimenté le marché international de l'habillement, royaume de l'élégance italienne. Chaque recoin de la planète pouvait être atteint par les entreprises, les hommes et les produits du Système. Système : un mot qu'ici tout le monde connaît [...] Le mot camorra n'existe pas, c'est un mot de flics, utilisé par les magistrats, les journalistes et les scénaristes. Un mot qui fait sourire les affiliés, une indication vague, un terme bon pour les universitaires et appartenant à l'histoire. Celui que les membres d'un clan utilisent pour se désigner est Système [...] Un terme éloquent, qui évoque un mécanisme plutôt qu'une structure."
Drôle de bouquin que ce Gomorra, qu'à force d'articles, de reportages, de portraits de son auteur... on finirait presque par avoir le sentiment de connaître avant même de l'avoir ouvert. Or il parvient malgré tout à surprendre. Comme si des milliers de coupures de presse ne l'avaient pas encore épuisé. Peut-être aussi parce que son vaste, fascinant et terrifiant sujet a eu tendance, trop souvent, à étouffer ses qualités formelles, l'intelligence de sa construction - ses nombreux défauts également.
C'est que l'on est vraiment en présence d'un ouvrage étrange, aux ambitions esthétiques un peu floues, qui commence comme un documentaire mais finit sur la phrase "Fils de pute, je suis encore vivant". L'entrée en matière est assez laborieuse, faite d'énumérations, d'un long cours d'histoire de la camorra où le lecteur est noyé sous les noms, faits, dates... un véritable annuaire du grand banditisme, pour reprendre les mots de mon estimée camarade Sophie Lenoir. Puis peu à peu, le texte dévie progressivement. Au fur et à mesure que Saviano s'éloigne des chiffres, des faits historiques, de la théorie... pour se rapprocher de l'humain... son reportage se métamorphose - l'immense article de quatre-cent-cinquante pages devient progressivement littérature. Plus construit, plus écrit, il n'en est que plus digeste, malgré certaines maladresses évidentes - quoique largement tues par une critique que l'on imagine volontiers à genoux devant le courage de cet homme et la beauté de son combat pour la vérité. On pense notamment à quelques formules se voulant choc et n'étant que toc, rappelant à qui en douterait encore que le plus grand des journalistes ne fait pas nécessaire un écrivain extraordinaire (et inversement, d'ailleurs). Formules que l'on est presque obligé d'excuser ; pas d'apprécier. Et qui cependant n'enlèvent rien à la qualité de ces passages se voulant sinon romancés, du moins témoignant d'une narration plus fluide, plus... d'une narration, en fait. Tout simplement. Qui manque cruellement à une première moitié un brin rigide et qui illumine la seconde, parvenant même à injecter une véritable émotion le temps d'un chapitre, sans doute le plus dur parce que le plus désespéré, consacré aux femmes dans la camorra.
Et donc ? On recommande ou ?...
... oui, oui, bien sûr que l'on recommande. Nul besoin d'être grand clerc, ni même un lettré de premier ordre, pour constater que Gomorra est un peu plus qu'une simple enquête et infiniment plus qu'un simple témoignage. Une œuvre littéraire avec ses qualités et ses défauts (formels), qui mérite d'être appréciée comme telle et n'a volé ni sa réputation ni ses prix. Reste une question, cependant, à laquelle je ne suis pas parvenu à formuler de réponse : pourquoi lit-on Gomorra ? Si vous avez des hypothèses...
Gomorra, de Roberto Saviano (2006)
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Drôle de bouquin que ce Gomorra, qu'à force d'articles, de reportages, de portraits de son auteur... on finirait presque par avoir le sentiment de connaître avant même de l'avoir ouvert. Or il parvient malgré tout à surprendre. Comme si des milliers de coupures de presse ne l'avaient pas encore épuisé. Peut-être aussi parce que son vaste, fascinant et terrifiant sujet a eu tendance, trop souvent, à étouffer ses qualités formelles, l'intelligence de sa construction - ses nombreux défauts également.
C'est que l'on est vraiment en présence d'un ouvrage étrange, aux ambitions esthétiques un peu floues, qui commence comme un documentaire mais finit sur la phrase "Fils de pute, je suis encore vivant". L'entrée en matière est assez laborieuse, faite d'énumérations, d'un long cours d'histoire de la camorra où le lecteur est noyé sous les noms, faits, dates... un véritable annuaire du grand banditisme, pour reprendre les mots de mon estimée camarade Sophie Lenoir. Puis peu à peu, le texte dévie progressivement. Au fur et à mesure que Saviano s'éloigne des chiffres, des faits historiques, de la théorie... pour se rapprocher de l'humain... son reportage se métamorphose - l'immense article de quatre-cent-cinquante pages devient progressivement littérature. Plus construit, plus écrit, il n'en est que plus digeste, malgré certaines maladresses évidentes - quoique largement tues par une critique que l'on imagine volontiers à genoux devant le courage de cet homme et la beauté de son combat pour la vérité. On pense notamment à quelques formules se voulant choc et n'étant que toc, rappelant à qui en douterait encore que le plus grand des journalistes ne fait pas nécessaire un écrivain extraordinaire (et inversement, d'ailleurs). Formules que l'on est presque obligé d'excuser ; pas d'apprécier. Et qui cependant n'enlèvent rien à la qualité de ces passages se voulant sinon romancés, du moins témoignant d'une narration plus fluide, plus... d'une narration, en fait. Tout simplement. Qui manque cruellement à une première moitié un brin rigide et qui illumine la seconde, parvenant même à injecter une véritable émotion le temps d'un chapitre, sans doute le plus dur parce que le plus désespéré, consacré aux femmes dans la camorra.
Et donc ? On recommande ou ?...
... oui, oui, bien sûr que l'on recommande. Nul besoin d'être grand clerc, ni même un lettré de premier ordre, pour constater que Gomorra est un peu plus qu'une simple enquête et infiniment plus qu'un simple témoignage. Une œuvre littéraire avec ses qualités et ses défauts (formels), qui mérite d'être appréciée comme telle et n'a volé ni sa réputation ni ses prix. Reste une question, cependant, à laquelle je ne suis pas parvenu à formuler de réponse : pourquoi lit-on Gomorra ? Si vous avez des hypothèses...
Gomorra, de Roberto Saviano (2006)
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Par curiosité ? J'ai trouvé ce livre tout à fait excellent. H.
RépondreSupprimerOui, sûrement. Ou par on-dit. Matraquage insidieux :-)
RépondreSupprimerTrès bon article, qui a l'intelligence d'attaquer par un angle très littéraire, sans se perdre en conjectures à propos d'un contenu, relayé jusqu'à l'écœurement par les médias. Comme d'habitude, je suis certain que vous pestez contre l'absence de commentaires. Je tiens à vous rassurer, commentaires ou non, vous demeurez une référence. Pour moi, en tout cas.
RépondreSupprimerAmitiés,
BBB.
Je suppose qu'on le lit parce que les avis sont dithyrambiques (presse comme lecteur). Je n'ai pas encore lu un avis négatif sur ce livre. Pourquoi tu l'as lu toi?
RépondreSupprimerBBB. >>> oh, je ne passe pas non plus ma vie à me lamenter sur les commentaires ! Les taux de visites du Golb feraient bien des envieux, je ne vais pas non plus faire un caprice :-)
RépondreSupprimerAuguri >>> je l'ai lu pour cette raison tout à fait stupide que j'avais oublié de prendre un bouquin pour le train, je suis donc passé au Relay H et au milieu de choix peu excitants, j'ai opté pour celui-ci.
Marrant ce post, en effet, tu prends totalement le contrepied de ce à quoi je m'attendais, vu que tu parles de littérature et pas du tout d'info! J'aime, d'ailleurs!
RépondreSupprimerParce que bon, faut avouer, un bon bouquin d'enquête d'un journaliste, surtout si le journaliste risque sa vie pour l'écrire, aura toujours une énorme couverture presse du type "ce bouquin est absolument génial (et j'aurais adoré l'écrire)", alors qu'il vaudrait mieux dire "cette enquête est absolument géniale (et j'aimerai être aussi couillu que son auteur).
Mais du coup, c'est rare que dans les journalistes contemporain, on s'attarde sur le style. C'était beaucoup plus courant avant, quand les journalistes étaient forcément écrivains, et vice-versa. Il reste quelques personnes capable de jouer sur les deux tableaux, mais c'est vrai que c'est de plus en plus rare, et que l'on (moi le premier) n'achète pas un livre d'enquète et un roan pour les mêmes raisons, et avec les mêmes attentes.
Oui. Et en l'occurrence ç'a été encore plus marqué pour Gomorra, puisque le livre est sorti en France quasiment en même temps que le film, ce qui a encore plus brouillé les cartes.
RépondreSupprimerCela dit il faut dire que ce livre se prête à une "lecture-littéraire". La plupart des ouvrages à caractère documentaires que je lis, je n'en parle pas ici ; ce n'est pas un hasard si j'ai fait une exception avec celui-là.
Je trouve que c'est difficile de faire des commentaires sur les billets de livres... dans mon cas, la plupart du temps, ce serait quelque chose du genre: "ça me tente bien" mais au vu de ma PAL, ce n'est pas une si bonne idée de les rajouter.
RépondreSupprimerJusqu'à présent, nous n'avons pas encore eu de lectures communes, je pense... mais je n'hésiterai pas à mettre mon grain de sel le jour où ce sera le cas.
J'attends ce jour de pied ferme...
RépondreSupprimerTu peux consulter ma PAL entretemps !
RépondreSupprimerEn même temps, je risque d'être "out" pour un moment vu la brique que je viens d'attaquer, en anglais en plus (Quicksilver de Neal Stephenson). Heureusement, il va faire beau ce week-end, je pourrai lire au jardin...
Attends, c'est toi qui lis à deux à l'heure et c'est moi qui doit consulter ta PAL ? Non mais hé :-)
RépondreSupprimerpeut-être est-ce un "étrange objet" parce que son auteur ne peut plus tout à fait faire son travail de journaliste de terrain, qu'il ne peut plus vraiment non plus vivre physiquement une vie normale, et qu'il se réalise dans un travail d'enquête qui se transforme en littérature, de création artisitque, pour des questions de "survie mentale"
RépondreSupprimerMiss >>> je vois que toutes les excuses sont bonnes. Genre tu lirais Saviano en anglais. Hinhin. ^^
RépondreSupprimerAlf >>> c'est une hypothèse tout à fait plausible en effet. Et jolie, puisqu'elle lie intrinsèquement vie et littérature...
ou Neal Stephenson en italien ???? quoique, en néerlandais, ce serait faisable...
RépondreSupprimerEn même temps faudrait avoir l'idée, quand même...
RépondreSupprimerje le Hagakure dans le texte si tu veus faire ton intéressant...
RépondreSupprimerC'est toi qui fais ton intéressant, là ;-)
RépondreSupprimerMauvais livre . Auteur courageux, certes , mais mauvais livre tout de même . Pas très bien écrit , pas très digeste surtout . Ampoulé , prétentieux .
RépondreSupprimerJe sais , je sais , el type a du cran . Ca , je l'ai déjà dit mais ce livre ...