[Mes livres à moi (et rien qu'à moi) - N°39]
Reservation Blues [Indian Blues] - Sherman Alexie (1995)
Il était mythe, oui... un mythe fondateur, le genre d'histoire répétée inlassablement, génération après génération, et refusant toujours de mourir.
Ce mythe, la plupart des lecteurs du Golb le connaissent, sinon parce qu'ils sont passionnés de musique en général et de blues en particulier.... au moins parce qu'il fut souvent revisité au cinéma ou la télévision (récemment encore, il faisait le miel d'une poignée d'excellents épisodes de Supernatural). C'est celui de Robert Johnson, bluesman pionnier, génie absolue dont la vie n'est qu'une accumulation de légendes plus ou moins avérées (souvent moins que plus), au nombre desquelles ce fameux pacte avec le Diable, une nuit au coin de la Dockery Plantation. Le Malin aurait été pile à l'heure ce jour-là, bricolant quelques notes sur la guitare de Robert avant de la lui rendre, artefact maudit faisant de lui le plus grand et le plus malheureux bluesman de tous les temps.
Dans son premier (et meilleur) roman, l'auteur amérindien Sherman Alexie se propose de raconter la suite de cette histoire, ressuscitant Johnson pour les besoin de la fiction et le projettant au début des années quatre-vingt-dix, dans une réserve d'indiens Spokanes pauvres et désœuvrés où il se fera un plaisir d'oublier malencontreusement la guitare maudite. Cette dernière tombe alors aux mains de Thomas Builds-the-Fire, pathétique leader des non moins pathétiques Coyote Springs... qui deviennent alors subitement le meilleur de groupe rock'n'roll spokane de tous les temps, ce qui n'était certes pas difficile, vu qu'ils étaient le seul.
La suite est écrite d'avance. Tragédie à forte teneur en burlesque, Reservation Blues ne ménage aucun véritable retournement de scénario et suivra dès lors l'ascension, la grandeur et la décadence de ce groupe peu commun. Ce qui fait la force du récit, en plus de la plume d'Alexie (qui fut l'un des plus grands écrivains de sa génération avant de malheureusement se perdre un peu par la suite), c'est son décorum et la mixité de son univers. Non qu'il propose des choses très inédites, justement - c'est tout l'inverse : ces indiens ne sont pas évadés d'une carte postale ni d'un western, mais se révèlent être des jeunes gens très ordinaires (donc très paumés), avec des préoccupations de leur âge et des rêves dont ils sont bien les seuls à ignorer qu'ils finiront par être annihilés par une réalité souvent sordide dès lors qu'elle s'attache au sort d'un peuple amérindien largement méprisé et mis au ban de la société américaine.
Pourtant, contrairement à son successeur Indian Killer, Reservation Blues n'a pas grand-chose d'un texte revendicatif. Il se fait plutôt, en creux, le chantre d'un brassage culturel dont seuls les États-Unis ont le secret. Secouant son grand shaker, Sherman Alexie fusionne le quotidien et les croyances des Spokanes à l'une des légendes les plus essentielles de l'histoire Afro-américaine (celle de Johnson, donc), secoue un grand coup, et recrache un groupe de bras-cassés grunge allant s'épancher sur les scènes de Seattle, temple de la musique white trash (le grunge, de toute manière, était avant tout une musique de teenagers blancs). Le choc des imageries est particulièrement efficace, conférant toute sa singularité à un roman refusant de choisir entre humour et noirceur... et parvenant à trouver, somme toute, un sain équilibre entre les deux. L'empathie de l'auteur pour ses personnages y est pour beaucoup, condition sine qua non à toute histoire de beautiful losers qui se respecte. Car finalement, ce n'est que cela : une poignante et poilante histoire de branquignols sortis du trou du cul du monde. Une de plus. Comme s'il s'était agi de rappeler que dans le fond, nous sommes tous égaux devant la lose... même si certains le sont un peu plus que d'autres...
Un autre livre pour découvrir Sherman Alexie (un seul) :
Indian Killer (1997)
...
Il est vrai qu'Alexie s'est perdu en route, après avoir été l'un des écrivains les plus prometteurs de sa génération.
RépondreSupprimerCeci dit, je trouve que vous le surestimez un peu, aussi. Mais c'est un auteur assez générationnel, donc vous êtes excusable.
BBB.
Je ne dirais pas que je le surestime... cette rubrique ne parle que des livres m'ayant considérablement marqué, à titre très personnel... pas obligatoirement des grands chefs-d'œuvre incontournables...
RépondreSupprimerJe ne connais de Sherman Alexie que "le premier qui pleure a perdu" et j'ai trouvé ça plutôt bien . La lecture de ce billet m'a donné envie d'aller un peu plus loin dans la lectrur de son ouevre .
RépondreSupprimerMerci donc .
De rien !
RépondreSupprimerJ'avais repéré La vie aux trousses (recueil)
RépondreSupprimerMamiiiiiie ! A ton âge !
RépondreSupprimerMiam miam, faudra que je goûte ce "Reservation blues"
RépondreSupprimerAttention tout de même, je crois savoir que c'est bourré de substances illicites ^^
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