Tout cracher

...
En ces temps de trouble, est-il réellement nécessaire de bouleverser les traditions, qui après tout sont bien tout ce qu'il nous reste ? D'ordinaire, la coutume veut que le premier édito de la saison soit consacré à la rentée littéraire. Un exercice sympathique ne prêtant pas à conséquence, jovial en tout point, où l'éditorialiste (c'est moi) est tenu de dire que trop de livres sortent en même temps, que de toute façon on s'en fout, qu'il y a des choses plus importantes... et les commentateurs d'applaudir comme un seul clavier, dans la joie et l'allégresse (Je n'ai pas lu ce livre mais je trouve  Christine Angot trop conne quand elle passe à la télé).

Seulement voilà : cette année, c'est pas possible. Le contexte est vraiment trop pourrave. Tout est tout pourrave. Partout. J'aurais l'air de quoi si je débarquais à la rentrée en faisant comme si de rien n'était ? Comme si la seule croisière estivale gratuite pour le pauvre peuple n'avait pas navigué de dépit en consternation, de désolation en surréalisme ? Tout l'été j'ai regretté la fermeture saisonnière de Golb this World!. Tous les jours j'ai pensé à vous (oui, même à toi), qui auriez bien eu besoin que je vienne vous golber ce triste monde. Il n'aura échappé à personne que cette rubrique est autant mon défouloir personnel que celui de ses lecteurs. On me dit que cette rubrique est de plus en plus sombre ? C'est oublier le nombre de personnes ayant usé de ses commentaires pour y exprimer, parfois ouvertement, parfois à mots-couverts, un désarroi profond que nous sommes nombreux, trop nombreux à partager - sinon parfois à entretenir. Alors allons-y gaiment, mes amis. Soyons méchants, soyons pourris, soyons de sinistres et odieux mauvais Français. Histoire de bien commencer la saison, indignons-nous en choeur en nous livrant à un petit best of de tout ce qui nous a le plus ulcéré durant l'été. Comme le dirait si bien Christian Estrosi : 2011 sera démagolbogique ou ne sera pas.

Casse-toi pauvre con de sélectionneur

Ayant toujours aimé les bad boys, j'ai toujours aimé Nico Anelka. Étant un punk dans l'âme, je ne peux décemment pas lui reprocher les mots qu'il n'a pas dits. Étant fan de foot, je suis bien obligé de reconnaître la médiocrité crasse de ses prestations. Je n'ai pas pu, en revanche, me joindre à la curée. Tout a beau être question de contexte, impossible pour moi. Autant je peux moquer cruellement les semi-mongoliens Evra et Ribéry, autant Anelka... non. Je passe sur le fait qu'on en a fait un portrait (crétin vulgaire et égoïste ne s'intéressant qu'au fric) qui est presque l'inverse absolu de tous les portraits qu'on en faisait jusqu'alors (discret, fou amoureux de son sport et farouchement indépendant), que les journalistes semblent avoir tous mystérieusement oubliés au gré des évènements. Qu'Anelka est l'inverse du footballeur moderne, coincé, consensuel, langue de bois, incapable d'aligner trois mots. Que les premiers à le fustiger soient les mêmes déplorant que le foot soit devenu un sport lisse dépourvu de grandes gueules charismatiques, mauvais joueurs et/ou bagarreurs... c'est consternant. En d'autres temps, on aurait fait mine de s'offusquer en trouvant le garçon culotté et rock'n'roll. A présent il faut s'agenouiller, faire acte de contrition, se livrer à d'humiliantes excuses publiques (merci à lui de ne pas être tombé aussi bas), le tout sponsorisé par un quotidien national faisant mine, sans rigoler, de ne pas savoir qu'il s'en passe de belles dans tous les vestiaires de la planète. Il faut jeter l'opprobre, fustiger le fautif et plaindre la maman de Raymond Domenech (c'est le mieux ça, j'imagine à quel point ma mère se contreficherait qu'on me traite de fils de pute... elle ne se sentirait même pas visée).  N'importe quelle rock star (et même n'importe quel rocker débutant) peut faire un doigt à un photographe juste pour la pose, mais que William Gallas s'avère faire de même et il devient le symbole de cette France des  racailles qui ne connaissent pas plus la politesse que l'effort. Non. Tout cela est navrant est tristement représentatif des dérives consensuelles et policées que cette rubrique dénonce à longueur d'années. Cela l'est moins, heureusement ou malheureusement, que le sous-texte profondément raciste qui est venu se greffer par-dessus. Les voyous, les caïds, on sait quoi à cela renvoie. C'est la novlangue officielle du gouvernement lorsqu'il entreprend de stigmatiser les plus faibles et les plus colorés, lorsque vraiment il ne peut plus se retenir et a besoin de soulager ses besoins naturels. Ce qui nous fait une introduction idéale au second point.

Tu la sens bien ma grosse France ?

Au moins l'Équipe de France a-t-elle chauffé ce terrain-là, bien malgré elle quoiqu'on en dise. Les pauvres se croyaient sans doute arrivés, parvenus, blanchis par leur argent et leur succès, post-raciaux (non, n'abusons pas, ils ne connaissent sans doute pas ce mot-là). On s'est bien chargé de leur rappeler qu'ils n'étaient que des Noirs, des Musulmans, des sous-citoyens. Voire le montage en épingle de la pseudo "lutte ethnique" entre les bons Blancs Toulalan et Gourcuff et les vilaines racailles d'origines non contrôlées. Lire les commentaires sur Internet - n'importe quel site - à ce moment m'a filé une boule à l'estomac, et j'ai mis du temps à pouvoir enfin la vomir. Difficile de ne pas voir dans l'explosion xénophobe du mois dernier la suite logique à l'épisode de l'Equipe de France, qui s'inscrit d'ores et déjà dans le feuilleton plus global du retour de la haine raciale sur le devant de la scène. Les cyniques argueront à raison que lorsque l'on nourrit le peuple de chimères aussi grotesques que celle de la France Black-Blanc-Beur, le retour de flamme est forcément terrible. Je dirais bien que c'est la faute du gouvernement et du climat tout pourri qu'il entretient, mais la démagogie est affaire de couple : les torts y sont toujours partagés. Ou bien, pour adopter un langage que l'UMP comprend mieux : une affaire d'offre et de demande. Après un spectacle aussi navrant que les Français les plus viles dégueulant à longueurs de forums sur une Équipe de France trop foncée et banlieusarde (le seul spectacle, cet été, qui fut plus navrant que l'Équipe de France elle-même), les beaufs incultes qui nous dirigent jouaient sur du velours. Il faudra bien un jour cesser de déresponsabiliser cette partie de la population qui craint tant ses voisins, et qui s'excite comme un seul homme à l'idée d'opposer les bons et les mauvais Français - reconnaissables à leur couleur distinctive. Il faudra bien un jour cesser de distinguer, comme aiment tant à le faire les médias, le bon du mauvais raciste, le raciste de circonstances et le raciste idéologue. Il le faudra bien car les bons et les mauvais Français n'existent que dans l'imaginaire malade d'une population repliée sur elle-même. Je suis l'archétype du bon français, en blind-test on ne saurait différencier mes yeux de ceux du gentil Gourcuff. Pourtant je bois, je fume, je dis vas te faire enculer sale fils de pute, je parle même en verlan parfois, je fraude dans le métro à longueur d'années. Mais quand je fraude dans le métro ce n'est pas grave, je ne me fais pas prendre. Je m'assois à côté d'un ou deux blacks de préférence jeunes, comme ça le contrôleur à peine entré dans le wagon ira directement vers eux et j'aurai tout loisir de descendre du train pendant qu'il constatera qu'ils ont un passe Navigo.

Eric the King

Le panorama ne serait évidemment pas complet sans une pensée émue, en guise de conclusion, pour notre ami Eric Woerth, qui se débattit avec les médias des mois durant, jusqu'à ce matin encore. Non que je cautionne d'une quelconque manière la curée médiatique dont il est l'objet. Disons qu'on récolte bien souvent ce que l'on sème. Il aurait démissionné dès le départ, il n'aurait pas été harcelé de la sorte. Au moins est-il parvenu à prouver que l'on pouvait être mis en cause toutes les semaines (si pas tous les jours) et rester en poste. Bizarrement, le même gouvernement qui se targue si souvent de regarder du côté des pays anglo-saxons ne nous a pas entonné cette fois-ci le chœur du En Angleterre, ça se passe comme ça. Bah non. L'Angleterre c'est bien, les USA c'est sympa, mais à petite dose. Faut pas trop en abuser, ils ne font pas que des trucs biens. Par exemple ils font démissionner les ministres quand ils sont mis en cause dans des affaires, un truc complètement dingue, même que des fois les mecs démissionnent alors qu'ils n'ont RIEN fait. Juste comme ça, par précaution. Mais ça aussi, le principe de précaution, c'est un truc dont faut quand même pas trop abuser. Pour casser les burnes avec la grippes A, ok. Pour les choses sérieuses, prenons tout de même le temps de réfléchir. Le tout sécuritaire ça ne marche pas toujours, ils sont bien placés pour le savoir, au gouvernement. Et puis Eric Woerth est un homme comme ça. Honnête et loyal, et super compétent. C'est Juppé qui l'a dit, il s'y connaît Juppé. De toute façon je vais vous dire : tout ça, c'est la faute des journalistes. Enfin je crois. C'est des journalistes, à Mediapart ? Ah oui, vraiment ? Même sur Internet ? Sérieux ? Des vrais ? Ah. Si vous le dites.

Enfin ! Je ne sais pas vous, mais moi je me sens déjà mieux. Un peu défoulé. J'ai oublié Christian Estrosi (qui a détrôné Frédéric Lefebvre dans mon Panthéon des têtes-à-claques), mais je m'en garde un peu pour la semaine prochaine. Et vous alors ? Votre Top 3 de l'ulcère à l'estomac ?